— Maintenant que nous nous connaissons mieux, jeune homme, nous pourrions de conserve vider une bouteille de vin d’Arbois. Connaissez-vous les vins d’Arbois ?
Je n’ai pas relevé le « jeune homme », qualité abusive, car j’avais plus ou moins le même âge que Galmiche, ni le « maintenant que nous nous connaissons mieux » alors que lui seul avait péroré et qu’il ne savait sans doute rien de moi. Il avait profité de ma visite pour vider son sac, peut-être pour se persuader que jadis il avait été « quelqu’un ». Je lui avais servi de défouloir. Il avait craché sa bile, alors pourquoi ne pas trinquer avec un bon petit savagnin des familles ? Il parut étonné et comme flatté que je connaisse le vin d’Arbois. Sa réserve de savagnin était épuisée, il ne lui restait que du chardonnay. Le rodomont ignorait que deux fois l’an je faisais route vers Montigny-lès-Arsures pour me réassortir chez les vignerons des quartiers de la Boutière et Saint-Laurent et que je participais régulièrement à la fête de la percée du vin jaune. La « prise de voile » du savagnin et du chardonnay n’avait aucun secret pour moi. Jean-Claude Pirotte m’avait introduit dans cette congrégation il y avait très longtemps. Le chardonnay, même voilé, adoucit, lénifie, tempère et rafraîchit le sang des carnes les plus hargneuses, le remède est avéré depuis Rabelais, médecin et grand amateur de vin blanc d’Arbois. Au troisième verre, le fulminant pourfendeur de la pensée sartrienne était joliment accoisé. Bénie soit la Fruitière vinicole d’Arbois dont j’avais détecté l’étiquette !
Pour certains, la bibliophilie tient lieu de religion, une religion avec ses commandements, ses cérémonies, son rituel. Les prosélytes se retrouvent dans les arrière-boutiques des marchands, dans les salles des ventes, dans les clubs de bibliophiles, autant de lieux où les initiés pratiquent leurs dévotions. Religion sans charité, car il n'y a pas de fidèles plus égoïstes que les bibliophiles. (pp.62-63)
Le bonheur conjugal, comme tous les bonheurs d'ailleurs, ça n'est pas gai tous les jours. (p.182).
Dans « Je me souviens », Gérard Oberlé revient sur son premier émoi érotique devant la bouchère de son village d'enfance ou encore de sa fureur face à l'inspecteur d'académie qui a mis fin à sa carrière de professeur de latin. Il nous parle aussi de son amour des mots et des livres, de sa passion pour la littérature. Il replonge dans ses souvenirs pour nous raconter des anecdotes personnelles et culturelles.