Tout comme le chien de Goya de la couverture, le personnage de V. semble faire « un rêve éveillé » (c'est le sous-titre du
roman). Il songe en somme à l'abandon de sa thèse sur Kafka (plus précisément sur la notion d'impossibilité dans l'oeuvre de Kafka, soit un travail intitulé « Kafka ou la littérature comme questionnement aporétique ») et à l'écriture d'un portrait croisé de trois
héroïnes, avec bien sûr une part de fantasme dans son rêve inachevé. Ainsi, le lecteur ne saura pas si le rendez-vous avec celle qui est appelée simplement « la correspondante » aura finalement lieu (le 29 décembre 2005). le pari de ce rêve éveillé et d'en finir avec les fantômes (du passé, des racines, des origines, de la politique, etc.) pour que l'aventure commence enfin.
Le récit est organisé en deux parties presque égales, comme deux moitiés, intitulées respectivement « Pierre blanche » et « Noirs desseins » et portant deux pertinents exergues de
Iwan Gilkin et The Stooges.
« Pierre blanche » est le nom d'une série de photos. « Il s'agissait de montrer un homme, une femme ou
un enfant censés personnifier un moment à marquer d'une pierre blanche. La photographie de la célèbre chanteuse se voulait ainsi un résumé du 30 avril 1975 : la vedette faisait partie de la glorieuse époque d'avant la débâcle [au Vietnam]. » (p. 21)
Si la première partie traite surtout d'une célèbre chanteuse vietnamienne, ainsi que d'une maquisarde du Sud-Vietnam exilée à Paris, la seconde partie est construite autour de l'intrigante et mystérieuse demi-soeur de la première. (« La correspondante la surnomma le lys brisé, tant elle paraissait, cela dit sans verser dans le mélodrame, incarner l'innocence malmenée. » p. 146)
Ces trois
héroïnes prennent vie à travers les mails échangés entre V. et une pas moins mystérieuse correspondante qui préfère « rester dans l'ombre » (p. 175).
Une fois encore nous trouvons chez
Linda Lê de nombreuses références artistiques telles que : le film de
Billy Wilder, « Sunset Boulevard » (1950), la chanson de
Gil Scott-Heron, « The Revolution Will Not Be Televised »,
Fritz Zorn, ce jeune homme « éduqué à mort » comparé au Viennois
Thomas Bernhard, Pabst, la Miss Havisham de
Charles Dickens, les toiles de Madge Gill le médium, les poupées de chiffons de
Michel Nedjar,
Robert Walser,
David Hockney, les photographies de Joseph Sudek, le numéro de Rita Hayworth dans « Gilda », les
héroïnes de Lino Brocka, les jeunes filles d'Ostende dans les gravures de Spillaert,
Raoul Walsh ou
Roger Corman.
Voici ici un livre qui « palpit[e] de vie » (p. 151) et de
romanesque, car « les mots font l'amour » (p. 212).