Ecrit au début des années 50, ce récit romancé des années de prison de
Chester Himes aura connu bien des péripéties de censure avant de parvenir, dans une version fidèle au script d'origine, en 2002 en français ! C'est dire que certains aspects ont été considéré pendant longtemps comme totalement inacceptables pour les éditeurs, et ce malgré le succès fulgurant de l'auteur dans la collection Noire de Gallimard dès son best seller
La reine des pommes. le jeu consiste donc, hormis le plaisir évident de la lecture, à trouver ce qui a bien pu être refusé, retoqué et expurgé de la version Cast the First Stone de 1952.
Un récit assez surprenant puisque
Chester Himes choisit de faire à la première personne l'expérience d'un prisonnier, Jimmy, dont on ne précise pas s'il est blanc ou noir, donc blanc par défaut ! le racisme ne joue pas dans ce roman un rôle très important (contrairement aux 2 précédents romans de Himes où il est central) ; c'est ici le milieu carcéral qui est vécu de l'intérieur et la force de ce récit est certainement de ne pas tomber dans une vision caricaturale et manichéenne à laquelle on pourrait s'attendre dans une veine « pamphlet anti-institution ». Bien au contraire, on découvre que les prisonniers peuvent organiser des parties de cartes et gagner de l'argent, vivre d'authentiques histoires d'amour, s'entraider ou se prendre le bec sans que ça finisse forcément dans un bain de sang. Bref, un monde à part, certes, mais où l'on retrouve les hauts et les bas de l'humanité et des caractéristiques de toutes relations avec des partenaires de vie quotidienne obligés.
Et pourtant… pourtant, l'oppression totale est bien présente, la violence absolue de l'enfermement, celle qui rend fou, celle qui amène à des comportements auto destructeur, voire au suicide, celle qui pousse à fuir la réalité au profit d'un imaginaire fantasmé dans lequel une homosexualité plus ou moins latente et plus ou moins assumée est l'unique palliatif à la misère sexuelle. Comment peut-on inventer torture plus extraordinaire que l'enfermement total et annoncé pour 20 ans (la peine à laquelle est condamné Jimmy/Chester pour un braquage à main armée) ? C'est sans doute ce fait de société (enfermer les délinquants) qui est ici mis en procès, sans accusation ni des matons – certains sont de vrais salauds, d'autres plutôt humains – ni même de la hiérarchie carcérale ; personne n'est vraiment bon ou mauvais – certains détenus sont des indics qui vendent leurs infos contre biens et services – c'est le principe même qui est en jeu.
Au final, comme souvent,
Chester Himes nous donne un roman à base autobiographique qui constitue une véritable perle rare : qui d'autre, auteur de haute volée, a donné une vision d'une telle authenticité et d'une telle ambiguïté réelle sur l'univers carcéral aux Etats-Unis de l'époque? On oubliera les passages un peu trop « mélo collection Harlequin je t'aime mon chéri embrasse-moi non pas maintenant » de la troisième partie avec Prince Rico qui, à mon avis, ont dû subir les coupures des éditeurs cités au début de ma critique.
Une lecture fortement recommandée, en lien avec l'excellent biographie de
Chester Himes par
James Sallis que je lis en parallèle.