La Charlotte que voilà avait été malade ; elle avait eu une mauvaise fièvre qui l’avait ré-duite à rien : ni chair ni peau, rien que de pauvres petits os, menus, menus comme cela, – et elle montrait un fétu de paille. Le médecin, quand elle eut monté et descendu les allées du jardin pendant huit jours, et quand l’appétit lui fut bien revenu, dit qu’il fallait l’envoyer tous les jours boire un verre d’eau à la fontaine de la Herse, qui est là-bas au milieu de la forêt, sur la route de Mortagne. Maître Pierre, le fermier, acheta chez un de ses voisins une belle bourrique qui s’appelait Manette, et qu’on lui dit tranquille et douce comme un mouton, et il l’amena à la maison. On la trouva superbe ; les oreilles si droites et si bien faites, les pieds si mignons, le poil d’un si joli gris bien ras, que tout le monde en raffolait, et on commanda pour elle, chez le meilleur bourrelier, une bâtine à dossier, recouverte d’une housse bleue avec des glands et des passementeries rouges, jaunes, de toutes les couleurs ; c’est-à-dire que tout le monde, quand la bête passait, s’arrêtait pour regarder son habillement.
Le premier voyage qu’on fit à la fontaine, tout alla bien : on suivit la grande route ; la mère de Charlotte était assise sur la bâtine, Charlotte en croupe derrière elle ; son père, avec un bon bâton, gouvernait Manette, et moi je marchais à côté d’eux, ne m’inquiétant de rien, admirant Manette, comme chacun faisait, trouvant que les montées dans la forêt étaient commodes, les chênes et les hêtres bien ombreux, les jardins autour de la fontaine bien sablés et bien fleuris, et que le clocher de Bellesme était à deux pas de la source.
Monsieur, en rentrant, me dit : Rose, vous connaissez maintenant la fontaine et ce qu’il faut que Charlotte y boive ; mais, comme vous êtes du pays, vous savez aussi qu’il.....