Hit Girl, tome 2 : Hit Girl au Canada

Ce tome fait suite à Hit-Girl Volume 1 (épisodes 1 à 4) par Mark Millar & Ricardo Lopez Ortiz, qu'il n'est pas indispensable d'avoir lu avant. Il comprend les épisodes 5 à 8, initialement parus en 2018, écrits par Jeff Lemire, dessinés et encrés par Eduardo Risso, avec une mise en couleurs réalisée par Patricia Mulvihill. Ce personnage avait déjà eu droit à une première minisérie en 2012 : Kick-Ass 2 Prelude: Hit-Girl écrite par Mark Millar, dessinée par John Romita junior, encrée par Tom Palmer, avec une mise en couleurs de Dean White.

Hit Girl se trouve dans le grand nord canadien du côté de Kashechewan. Elle est assise adossée à un arbre, du sang sur le front et sur les genoux. Elle goute un flocon de neige qui lui est tombé sur la langue. Elle a sorti son grand couteau de chasse de son étui et s'apprête à s'en servir. Elle se trouve dans une étendue de neige avec quelques arbres, un cadavre devant elle avec un fusil tombé dans la neige, et elle a la cheville droite prise dans les mâchoires d'un piège à ours. Elle songe à utiliser son couteau pour se libérer. 3 jours plutôt, elle se trouvait dans un bar à Toronto, pour demander des informations. Elle avait commencé par commander une racinette (Root Beer) à Lou, barman assez incrédule et choqué par les gros mots émaillant chacune de ses phrases. Elle lui avait également demandé où se trouve Billy Baker, celui avait vendu de l'héroïne à New York, donc le fils du trafiquant Billy Baker pour le barman. Leur conversation avait été interrompue par l'arrivée de 5 gros bras et porte-flingues. Hit-Girl n'avait pas apprécié leur interruption.

Hit Girl avait commencé par casser la bouteille sur le comptoir et s'en servir pour taillader la gorge de la petite frappe qui lui avait tapé sur l'épaule. Dans le même mouvement, elle avait dégainé ses katanas et bondi sur le comptoir. Puis d'un coup de katana entre les jambes, elle avait émasculé un deuxième assaillant. Les 3 autres ayant repris leurs esprits avaient commencé à faire feu sur elle. Elle avait récupéré un flingue par terre, enfoncé une crosse de hockey cassée dans la tête du troisième et tiré une balle en plein front du quatrième. le dernier survivant avait levé les bras au ciel en signe de reddition sans condition. Elle lui avait reposé la question : où est Billy Baker ? Il avait commencé par une réponse sur le fait qu'ils avaient été avertis par New York. Elle a reposé sa question. Il a répondu que Billy était parti et attendait des nouvelles de leur réussite pour la tuer. Elle a reposé sa question. le survivant avait fini par lâcher le morceau : Billy Baker s'était dirigé vers le nord pour rejoindre Kashechewan. le train avait amené Mindy McCready jusqu'à un bled nommé Moose Factory, n'allant pas plus loin. Elle avait dû emprunter une motoneige. de son côté Lou avait averti Billy Baker père de la situation, de l'échec de ses hommes de main.

Mindy McCready est apparue pour la première fois dans l'épisode 3 de la première minisérie Kick-Ass en 2008. Il s'agit d'une jeune fille de 12 ans, élevée par son père superhéros, pour devenir elle-même un superhéros, ou plutôt une justicière masquée, sans superpouvoir. Elle manie avec la même efficacité meurtrière les armes à feu et les armes blanches. Elle porte un joli costume violet, avec un masque noué autour de la tête. Elle a même une petite cape attachée avec un cadenas, et elle porte 2 katanas à la ceinture. Sa morphologie est bien celle d'une fillette de 12 ans, à la fois en taille et en silhouette. Elle ne sait pas prononcer une phrase sans mettre dedans le mot qui commence par Fu. Elle n'éprouve pas de remords à tuer ou à torturer. En ce sens, elle se comporte comme une jeune fille de 12 ans, insouciante des conséquences, dépourvue de peur ou d'inhibition. Elle a déjà fait la preuve qu'elle peut neutraliser un groupe d'hommes adultes, en les tuant si nécessaire. Ainsi prévenu, le lecteur sait qu'il ne doit pas s'attendre à un récit de nature réaliste. En 2018, Mark Millar a décidé de relancer des comics sur Kick-Ass et Hit-Girl, en en écrivant le premier chapitre de chaque série, puis en passant la main à d'autres équipes créatrices. C'est ainsi que le canadien Jeff Lemire se retrouve à écrire un chapitre bref et rapide de Hit-Girl, alors que le tome 2 de la série Kick-Ass est réalisé par Steve Niles & Marcelo Frusin.

Ainsi préparé, le lecteur sait qu'il plonge dans un récit sans prétention dont l'enjeu est de montrer Hit-Girl en train d'occire des criminels ordinaires, de façon brutale et inventive de préférence. Jeff Lemire ne prend donc pas trop de temps à expliquer la mission de Hit-Girl : tuer un trafiquant au Canada. Il consacre quand même 4 pages à un rêve de Mindy où son père lui parle et quelques pages à l'interaction entre elle et le trappeur. Conscient de la promesse qu'il doit tenir, le scénariste commence in media res, avec Hit-Girl coincée dans un piège à ours, la cheville abimée, en train de saigner. Dès cette introduction, le principe est posé : on n'est pas dans une histoire réaliste. Mindy McCready ne souffre pas outre mesure de sa blessure ou de la pression des mâchoires. Par la suite, elle ne boîte pas trop, voire pas du tout. Il n'y a que lorsqu'elle se retrouve face à Billy Baker père et qu'il la tient en joue, alors qu'elle est désarmée, que sa cheville se dérobe sous elle, fort opportunément pour augmenter la tension dramatique. Dans le même ordre d'idée, Hit-Girl est totalement autonome, sans jamais avoir besoin de l'aide d'un adulte. Elle débite les criminels avec une efficacité qui rendrait jaloux Frank Castle lui-même. Donc Lemire donne au lecteur ce qu'il attend : une jeune demoiselle prenant la pose le temps de se moquer des criminels, tuant ou handicapant sans remords, se montrant plus intelligente que les adultes, anticipant les situations. de temps à autre, Hit-Girl prononce une sentence bien sentie, avec un art consommé de la répartie que seul un adulte de plus de 40 ans, ou un comique professionnel maîtrise.

S'il fait abstraction de la petite taille de Mindy McCready et de sa silhouette fluette, le lecteur voit agir une adulte. Elle est capable de conduire une motoneige comme une adulte avec de l'expérience. Elle dispose d'assez de force pour que son shuriken s'enfonce dans la gorge de son ennemi à plusieurs mètres de distance. Elle manie le katana avec une telle force qu'elle tranche net les cous. À nouveau, il ne s'agit pas d'un récit réaliste, et finalement tout ce qu'il reste d'une fillette de 12 ans, à part sa morphologie, c'est son manque de peur et de considération pour les conséquences. Une fois cet ajustement fait par rapport à la nature du récit, le lecteur peut apprécier ce défouloir à sa juste valeur, d'autant qu'il est mis en images par Eduardo Risso, l'artiste de la série 100 Bullets de Brian Azzarello. Les caractéristiques de ses dessins n'ont pas changé : détourage des contours avec un trait fin, visages un peu caricaturés, aplats de noir bien solides aux formes un peu fluides, pas toujours raccords avec la ou les sources d'éclairage, utilisation extraordinaire des zones vides. le détourage simplifié participe à l'immédiateté de la lecture, avec des petites irrégularités dans le tracé qui apportent de la souplesse au dessin sans le complexifier. L'expressivité des visages est en phase avec la force des émotions mises en jeu. D'un côté, les adultes sont prêts à tuer une enfant, ce qui suppose un état d'esprit particulier, une forme de certitude nourrie par une forte émotion. de l'autre côté, ces émotions sans filtre correspondent tout à fait à l'âge de 12 ans. le lecteur sourit en voyant ces expressions outrées. Hit-Girl arborant une moue de dédain pour ses ennemis transcrit à la perfection sa certitude de victoire (il ne saurait en être autrement dans son esprit). L'étrange plaisir qui apparaît sur son visage quand elle goûte un flocon sur sa langue est presque d'ordre sexuel dans sa représentation, mais il est tout autant celui d'un enfant entièrement dans l'instant présent. Ce mode de représentation de Hit-Girl finit par former un métacommentaire sur l'âge mental des innombrables justiciers autoproclamés qui peuplent les comics, mais aussi les récits de divertissement de genre. Sans en avoir l'air, Eduardo Risso & Jeff Lemire se saisissent de la nature outrée du personnage pour en faire une caricature qui devient un reflet d'une partie des héros en vogue dans l'industrie du divertissement.

Le lecteur retrouve donc ces aplats de noir aux contours si particuliers qui donnent du poids aux cases, et qui attirent son attention sur une partie de la case, mais aussi qui dramatisent un mouvement, une ombre, une texture, avec une grande efficacité. Ainsi les dessins jouent sur les contrastes, faisant ressortir certaines formes sur un noir d'encre. Il retrouve aussi ces grandes parties de case vierges de tout trait. Chez d'autres artistes, c'est souvent la marque de la cadence qui leur est imposée en termes de rythme de travail. Ici, il y a bien une ou deux pages par épisode qui rentrent dans cette catégorie. Mais pour la majorité, la perception du lecteur est très différente. Pour commencer ces zones vierges reflètent les grands espaces de cette zone naturelle. Ensuite ils laissent de la place aux mouvements des personnages. Enfin Eduardo Risso pense ses vignettes à l'échelle de la page, ces zones vierges se répondent d'une case à l'autre, agencées de manière à guider l'oeil, à accentuer le mouvement, ou la force d'un coup, du grand art, totalement en arrière-plan, sans une once démonstrative ou d'autocongratulation chez le dessinateur. Les planches respirent, et l'action n'en est que plus intense. D'autant, que dans les scènes de dialogues ou de déplacements, l'artiste représente les décors : l'aménagement du bar de Lou, l'aménagement de la cabane du trappeur, la scierie. Inconsciemment, le lecteur absorbe ces caractéristiques qui participent d'une narration visuelle adulte, mise en oeuvre par un auteur utilisant sciemment des exagérations pour un récit dont il a conscience du caractère dérivatif et caricatural. La mise en couleurs est en phase avec l'approche graphique, Patricia Mulvihill ayant travaillé avec Risso sur la série 100 Bullets.

En ouvrant ce tome, le lecteur le sait bien : il va lire une histoire de justice expéditive réalisée par une fillette de 12 ans, totalement irréaliste. Les auteurs le savent aussi et décident de la jouer premier degré, sans intellectualisation, et sans être dupes de ce qu'ils racontent. le résultat est d'une efficacité exemplaire, très savoureux, sans tomber dans un goût malsain pour la violence et le sadisme. 4 étoiles pour un récit qui ne se prend pas pour ce qu'il n'est pas, parfaitement exécuté.

Piste de sang.
Coincée dans un piège à mâchoires dentées, Hit-Girl tergiverse mais envisage de s'amputer afin de s'extirper d'un piège mortel qu'aiguisent le froid, la faim et l'hémorragie. Ses souvenirs affluent. Trois jours auparavant, elle était dans un bar à Toronto, pistant Billy Baker dont le fils, Junior, a écoulé de la drogue à New York, provoquant la colère de Hit-Girl. Billy Baker, le caïd va donc tenter de reprendre les rênes et sortir la grosse artillerie en conséquence.
Nantie des accessoires idoines, cape, masque, sabres, etc., Hit-Girl n'a pas les super pouvoirs qui vont avec le costume. Elle n'en demeure pas moins justicière et ne s'en laisse pas compter malgré son jeune âge. Tout en incohérence, le scénario dévide des scènes d'action fortement chargées en hémoglobine. Tesson, manche de hockey, balle, tronçonneuse, poignard, hache, etc. tout est bon pour larder le vilain ordinaire, nervi à la petite semaine. Hit-Girl est une gamine, l'invective permanente à la bouche, incapable de desserrer un piège à mâchoires mais apte à décapiter un homme avec ses deux sabres. La jambe salement amochée, elle n'en gambade pas moins quelques cases plus tard. Jeff Lemire, scénariste talentueux, réalise le minimum syndical pour coller à la série sans la dépareiller, l'humour et le décalage en moins. Eduardo Risso, secondé aux couleurs par Patricia Mulvihill (le duo a déjà magnifiquement oeuvré dans 100 bullets (1999-2009) fait encore merveille. L'album s'avère donc dispensable sauf pour les aficionados du grand dessinateur argentin.