La frontière entre un très bon livre et un excellent livre est parfois difficile à placer. En ce qui me concerne, à propos de cette histoire, j'ai d'abord eu l'occasion de visionner la mini-série anglaise, en quatre épisodes, datant des années 1990 et qui en est issue : j'ai adoré. J'ai tout adoré : le ton, l'intrigue, le propos. de mon point de vue, ce fut une réussite totale.
J'ai même tellement aimé que cela m'a donné envie de lire le livre original qui a donné vie à cette série. Et là, mon enthousiasme est moins net. Pourquoi ? Est-ce si différent ? Non, absolument pas, c'est, au contraire, exactement pareil. Tout ce qui est présent dans la série est présent dans le livre et rien de ce qui est présent dans le livre n'est absent de la série.
En somme, on pourrait aller jusqu'à croire que l'un est le manuscrit du scénario de l'autre. Et c'est là que j'ai tendance à tiquer un peu. Je ne connais pas d'ouvrage excellent qu'une adaptation quelconque n'ait amoindri, même une excellente adaptation.
À aucun moment, pendant ma lecture, je n'ai ressenti ce petit plus inimitable du livre par rapport à l'audiovisuel. Pire, j'ai même eu le sentiment parfois que l'interprétation des acteurs avait apporté une dimension supplémentaire.
Donc, nécessairement je suis un peu déçue. Pourtant, ce livre contient, en soi, absolument tout de la mini-série qui m'a tant plu. J'en déduis, par conséquent, qu'il s'agissait là d'un très bon livre, mais probablement pas d'un excellent livre.
De quoi parle-t-il, ce livre ? Il évoque, au soir de sa carrière politique, le désir d'accession aux plus hautes instances d'un politicien anglais aguerri ayant toute sa vie servi son parti dans l'ombre. le déclic intervient lorsqu'au soir d'une élection, le nouveau premier ministre informe notre politicien en question, Francis Urquhart, qu'il restera, pour la magistrature à venir, exactement à la même position que celle qu'il a toujours occupée depuis des années.
Ouuuuuuh ! Mais Francis Urquhart — dont les initiales F. U. n'ont manifestement pas été choisies au hasard puisqu'on sait qu'elles résonnent forcément aux oreilles des Anglo-saxons comme une abréviation de Fuck You — n'aime pas ça du tout et décide alors de partir en croisade souterraine contre Henry Collingridge, le premier ministre.
Il n'hésitera pas, pour cela, à s'allouer les services d'une charmante journaliste aux dents longues, Mattie Storin, ainsi que d'un responsable communication du parti, Roger O'Neill, un homme compétent mais quelque peu en délicatesse avec son addiction...
Toutefois, ce que Francis Urquhart utilisera plus que tout, ce sont les prérogatives de sa fonction, à savoir " chief whip ", un intitulé de poste qui n'a pas tout à fait d'équivalent en France, mais qui serait plus ou moins assimilable au poste de chef de groupe parlementaire. C'est lui qui doit battre le rappel des députés de son clan lors des votes des lois importantes au parlement.
De par sa position, donc, notre homme est amené à savoir les petits secrets d'un peu tout le monde, normalement afin d'éviter que des fuites inopportunes n'aient lieu auprès des médias et qui pourraient compromettre l'action du gouvernement.
Bon, ça, c'est normalement… Mais imaginons maintenant que notre chief whip en question ait justement intérêt à ce que des informations compromettantes s'égarent avantageusement dans la presse, hein, qu'en pensez-vous ?
En tout cas, moi je pense que j'en ai assez dit. Et, selon la formule récurrente de l'ouvrage, si vous pensez le contraire, libre à vous de le croire, car je ne peux faire aucun commentaire. Au demeurant, ce n'est là que mon avis, un très modeste château de cartes qui ne demande qu'à s'écrouler, autant dire, pas grand-chose.
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Ce thriller politique ne manque pas de cynisme. Certaines phrases constituent de savoureux morceaux de bravoure. La satire des politiciens qu'effectue l'auteur, l'humour, le mordant qui caractérisent son ton m'ont beaucoup plu. Mais le monde qu'il décrit à partir de son expérience personnelle revêt aussi un caractère effrayant et sans scrupule. La lecture de ce roman est à la fois un exutoire divertissant et une source de réflexion, notamment lorsque l'auteur dépeint la collusion entre la presse et le pouvoir politique. Ce livre pose la question cruciale de l'indépendance des journalistes.
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Il s'écoula douze minutes […]. Urquhart les consacra à observer d'un œil distrait les portraits des prédécesseurs de Collingridge accrochés aux murs de l'illustre escalier* [* l'auteur parle du 10 Downing Street, résidence du Premier ministre britannique]. Il ne parvenait pas à se défaire de l'impression que les derniers titulaires du poste étaient pour la plupart aussi falots qu'inconsistants. Ternes, sans souffle, absolument pas faits pour la fonction. En leur temps, ceux de la trempe des Lloyd George et des Churchill avaient été des leaders magnifiques, dotés d'une autorité naturelle. « Pourtant, songea Urquhart, les laisserait-on parvenir au sommet aujourd'hui ? » Le premier, aux mœurs légères, avait par ailleurs été impliqué dans un scandale autour de la vente de titres de chevalerie et de pairies. Quant au second, il avait consacré bien trop de temps dans son existence à boire, contracter des dettes et céder à son tempérament. Tous deux étaient des géants, mais ni l'un ni l'autre n'auraient franchi l'écueil des médias modernes. Le monde avait été livré aux pygmées, aux hommes sans stature ni ambition, choisis non pas pour leurs qualités exceptionnelles mais parce qu'ils ne dérangeaient personne. Des hommes qui suivaient les règles imposées au lieu de se forger les leurs. Des hommes… « Eh bien, des hommes comme Henry Collingridge. »
Première partie, chapitre 7.
Jeudi 10 juin
Il lui semblait qu’un instant à peine s’était écoulé depuis qu’elle était rentrée chez elle, d’un pas rendu chancelant par la fatigue. Pourtant, par l’interstice des rideaux, le soleil l’avait déjà rejointe sur l’oreiller pour glisser l’éclat tranchant de sa lumière derrière ses paupières closes. Agacée, elle se tourna de l’autre côté. Sa tête la lançait atrocement, ses pieds lui faisaient mal, et la place à côté d’elle dans le lit était vide. Participer à l’éclusage de cette seconde bouteille de vin blanc sucré allemand, du Liebfraumilch, avait vraiment été une idée à la con. Elle avait baissé sa garde, au point de se retrouver dans les cordes, coincée par un sale type du Sun, tout en acné et sous-entendus. Elle n’avait eu d’autre choix que de lui renverser le fond de son verre sur la chemise pour qu’il comprenne enfin et batte en retraite. Elle risqua un œil sous la couette, histoire de s’assurer qu’elle n’avait pas complètement merdé, et qu’il n’était pas tapi quelque part entre ses draps. Malgré elle, elle poussa un soupir de lassitude ; elle n’avait même pas enlevé ses chaussettes.
La carrière politique de McKenzie s'acheva au même endroit. Peu importait que le fauteuil ait été vide, que la blessée ne soit finalement que très légèrement touchée, et qu'en outre elle ne soit en rien une infirmière, mais une permanente d'un syndicat, rompue à la pratique des piquets de grève montés en épingle. Aucun journaliste ne prit la peine d'enquêter. Mais après tout, pourquoi l'auraient-ils fait? Ils tenaient déjà leur histoire. La marée avait tourné et repoussé le pauvre McKenzie vers le large.
La vérité est comme une bouteille de bon vin. C'est souvent dans le coin le plus sombre et reculé d'une cave qu'on la trouve. Il faut la tourner un peu à l'occasion. Et puis, avant de l'exposer à la lumière et de la servir, il peut également être utile de la dépoussiérer un peu.
— Monsieur Landless, cria le journaliste économique du Sunday Times. Ces dernières années, le gouvernement était d'avis que la presse britannique était déjà concentrée dans un trop petit nombre de mains. Les autorités ont toujours dit qu'elles useraient de leurs prérogatives en matière de monopoles et de fusion pour prévenir toute consolidation. Comment pensez-vous pouvoir obtenir le feu vert du gouvernement ?
Bon nombre de journalistes hochèrent la tête. Excellente question. Landless semblait partager leur sentiment.
— Un point très intéressant, dit-il […]. Vous avez raison. Le gouvernement va devoir adopter une position. Les journaux sont des rouages du secteur mondial des médias, qui connaît une croissance permanente et évolue chaque jour. Vous êtes tous bien placés pour le savoir. […]
Les choses devaient changer, vous le savez bien. Et il faut continuer à s'adapter. Nous ne pouvons pas rester immobiles. La concurrence est féroce. Pas seulement entre nous, mais avec la télévision par satellite, les radios locales, les émissions du matin à la télé, et j'en passe. Ils vont être de plus en plus nombreux à réclamer une information continue, 24 heures sur 24, et en provenance du monde entier. Ils n'achèteront plus de journaux qui paraissent des heures après l'événement, et qui laissent les doigts pleins d'encre. Si nous voulons survivre, il faut passer de l'ère du bulletin paroissial à celle de la fourniture d'informations à l'échelle mondiale. Et pour ça, il faut qu'on pèse notre poids. […]
Donc, il faut que le gouvernement fasse un choix. Est-ce qu'il continue à jouer l'autruche ? La tête dans le sable pendant que la presse britannique connaît le même sort que l'industrie automobile, c'est-à-dire morte d'ici dix ans, pendant que les Américains, les Japonais et même les Australiens prennent la main ? Ou alors, est-ce qu'il devient visionnaire et soutient le champion national ? L'alternative est simple. On rentre la tête dans les épaules et c'est le déclin. Ou on attaque le reste du monde et on le couche sur le dos.
Troisième partie, Chapitre 34.
N. B. : Ces lignes ont été écrites en 1989 !