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EAN : 9791020908179
192 pages
Les liens qui libèrent (06/11/2019)
4.08/5   91 notes
Résumé :
Veut-on une écologie du consensus ou du conflit ? Faut-il en passer par la rue ou par les urnes ? Par la violence ou par les petits gestes quotidiens ? Par le haut ou par le bas ? François Ruffin s'adresse aux "Jeunes pour les climat" en traçant un chemin, en s'appuyant sur notre histoire sociale. Le mardi 23 juillet dernier, Greta Thunberg et ses jeunes amis visitaient l'Assemblée nationale. " La bataille pour le climat, nous la gagnerons tous ensemble ! ", entenda... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (11) Voir plus Ajouter une critique
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Voilà un livre que, du moins personnellement, je n'attendais pas. Après un printemps hyperactif où François Ruffin, député de la 1ère circonscription de la Somme, a été d'une production culturelle dense (je pense à son documentaire sur le mouvement des Gilets Jaunes et à son livre adressé à Emmanuel Macron), voici que le journaliste-député occupe encore une fois les tables des librairies en nous proposant un ouvrage consacré à l'écologie.

C'est avec un ton bien à lui, fait de ses phrases souvent courtes et de sa fébrilité colérique (aucun jugement négatif de ma part dans cette caractéristique) que François Ruffin s'adresse aux jeunes de la génération climat, les apostrophant d'un « vous » tout au long du livre. Se présentant comme un « animateur démocratique » [p.180], la motivation de l'ouvrage est assez simple : au contact des « jeunes » militants pour la cause climatique, une chose le dérange, l'interroge. Certes, cette génération maîtrise parfaitement les questions liées aux problèmes environnementaux, et l'auteur se trouve admiratif devant une telle maîtrise des causes, des conséquences et des enjeux, devant des personnes qui se trouvent parfois être adolescentes [p.70]. Mais cette acuité écolo s'accompagne souvent d'une naïveté politique. « Depuis l'automne, on manifeste, et rien n'a changé ! le gouvernement m'a déçu, il n'a pris aucune mesure. Comment leur faire encore confiance ? », demande à Ruffin un de ces jeunes [p.72], alors que livre s'ouvre sur cette phrase de la militante Lætitia, qui, dans le cadre d'une rencontre à l'Assemblée, somme à François Ruffin qu'« il est temps de mettre vos différences politiques et sémantiques de côté. » [p.14].

Tous sur le même bateau, sommes-nous sommés d'agir tous ensemble, main dans la main, pour lutter contre le dérèglement climatique ? Cette analyse, ce mode d'action, le député la réfute. Il rappelle que si il existe bien un bateau commun, les riches l'ont déjà quitté en prévision de la catastrophe : les banquiers londoniens de la City apprennent à leurs enfants le suédois, dans l'optique de déménager plus tard en Scandinavie ; des propriétés sont achetées en Nouvelle-Zélande, etc. La upper class investit déjà dans ses canots de sauvetage. Et, chiffres à l'appui, François Ruffin rappelle que, bien sûr, les pays les plus riches polluent plus que les pays les plus pauvres. Mais au sein même des pays riches, l'inégalité écologique règne aussi : en France, les 10% les plus riches polluent huit fois plus que les 10% les plus pauvres [p.38]. Intégrant dans le récit son travail de journaliste, le député évoque aussi le cynisme présent au sein des « premiers de cordée » : à l'occasion du Monaco Yacht Show, il découvre qu'une « Green Star » est attribué au projet le plus « écologique » ; discutant avec le président du jury, ce dernier lui confie que la consommation de fuel ne rentre pas en compte dans la remise de ce « label vert ». Ce à quoi l'auteur rappelle qu'un yacht consomme entre 600 et 1 000 litres d'essence par heure … [p.35-38].
Que dire aussi des lobbyistes qui officient pour les multinationales dans les cercles de pouvoir nationaux et internationaux ? Déployant argents ou avocats, enterrant des études en achetant (ou en essayant d'acheter) les chercheurs, la fin justifie les moyens. Rien ne peut se mettre avant le profit, ni les questions sociales, ni les impératifs écologiques.
Tous ensemble face à la question climatique ? Les pratiques de certains sont là pour nous rappeler qu'il n'en sera pas ainsi, et qu'il ne faut pas attendre après eux pour protéger Gaïa.

Alors, que faire ? C'est le sujet du livre, justement, la proposition d'une stratégie pour faire gagner la planète ET l'intérêt général. Ruffin ne se veut pas paternaliste, il n'ambitionne pas ici de donner à la génération climat une conception clefs en main à appliquer. Il expose, à partir du passé et de ses convictions propres, ce qu'il pense être la meilleure voie possible, à savoir une alliance de la classe populaire et de la classe moyenne, comme elle s'est déjà produite dans le passé (Front populaire en 1936, élection de François Mitterrand en 1981, Mai 68 en France), avec toutes les limites que l'on connaît à ces alliances. Concrètement, une alliance entre le rouge et le vert, entre le social et l'écologie. Il appelle de ses voeux la création d'un « front populaire écologique » [p.172]. Les petits gestes du quotidien, si important soient-ils, ne suffiront pas à inverser la tendance. Il reste la lutte, une lutte commune, entre rouges et verts, pour imposer un changement à la hauteur des enjeux climatiques. Une lutte qui doit précéder une prise de pouvoir par les urnes. Une lutte qui devra accompagner ce nouveau pouvoir à assurer son programme ambitieux. Une lutte qui mettra en place, au plus près des territoires et des gens, tous ce qu'il faudra faire pour changer notre trajectoire, comme ces centaines de militants et militantes de la CGT qui ont accompagné la création de la Sécurité sociale après la Seconde Guerre mondiale partout en France.

Quiconque s'intéresse aux questions environnementales sait que la production livresque y est foisonnante. Il suffit de pénétrer dans une librairie ou une bibliothèque pour s'en apercevoir. Les maisons d'édition traitent pleinement de ce sujet ô combien riche et complexe. La famille écolo est vaste, plurielle : ses membres tiennent difficilement dans un cadre rigide, et la désignation d'« écologie politique » est un fourre-tout pour lequel il manque encore une carte d'orientation précise. Malgré tout, le livre de François Ruffin n'est pas de trop. Il vient jalonner, par ses propositions (discutables, certes, mais c'est tout l'intérêt d'un livre) une stratégie politique pour concilier l'égalité des individus dans un écosystème harmonieux. le travail reste immense, alors que le temps presse …
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Peu de lecteurs pour ce petit pamphlet, cette lettre ouverte, cet essai de François Ruffin, je suis un peu étonné.
Mais bon, peu importe !
Je l'ai lu dans une longue soirée de confinement, après m'être longtemps demandé si c'était une bonne idée en cette période un peu tendue nerveusement. Bon, c'est passé, je ne suis pas en train de casser la banque en bas de chez moi à coup de marteau. Pourtant il y cite Marx plusieurs fois, Lénine aussi et même quelques anarchistes !

Bon trêve de blague, ce livre m'a tout d'abord énervé, révolté, fait fulminer, exaspérer ; puis il m'a redonné espoir et envie.
Je n'ai pas découvert grand chose dans ce court livre dans la réflexion et les pistes proposées, cela fait quelques années que je m'intéresse au sujet et participe à ce genre de "combat", ce qu'il dit est sans doute issu des mêmes pratiques et réflexions et on ne peut qu'y souscrire.
En revanche j'ai trouvé ses lectures enrichissantes et cela m'a ouvert des portes et donné de nouvelles envies. Pour sa bibliographie, sélective mais qualitative, ce livre est très intéressant car il en fait une synthèse habile, et il remet en quelques mots les pieds sur terre et l'envie de la garder en état vivable.

Je ne suis pas un électeur de la FI, loin s'en faut, mais j'ai toujours trouvé Ruffin intéressant et honnête, et je le crois sans arrières-pensées ou cynisme dans ses discours. Il fait parti de ces rares élus hauts placés qui connaissent encore la réalité des gens et s'y intéressent. Sa réflexion est donc particulièrement passionnante, entre la connaissance du haut de l'État, celle des gens normaux, sa position "d'intellectuel", ses apports de la gauche révolutionnaire et son côté écolo qui apparait depuis quelques temps. Un mélange détonnant qui nous met le nez devant notre avenir et nos responsabilités, à tous.

A nous de les mettre en face des yeux des décideurs et de leurs financeurs (-iers) qui nous dirigent... Courage, ce n'est qu'un monde à sauver !
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Journaliste, pamphlétaire, cinéaste et député de la Somme depuis 2017, François Ruffin est un électron libre.. Il se définit d'ailleurs lui même dans son livre comme un « animateur démocratique ». Belle formule qui dit bien ce qui anime Ruffin et qu'on retrouve aussi bien dans son journal Fakir que dans son film « Merci patron » ou celui coréalisé avec Gilles Perret, « J'veux du soleil » sur les Gilets jaunes.
Autant le dire tout de suite, j'aime bien Ruffin ! Parce que je le pense honnête, que j'apprécie ses combats et ses prises de paroles à l'assemblée où il est un des rares à porter avec constance la parole des petits et des sans grade, ancré dans son territoire, la Picardie, et qu'il redonne un peu d'espoir dans la classe politique.. J'ai aimé aussi ses films, drôles et touchants à la fois.

Ceci posé, que dire du livre ? Il a pour thème l'écologie mais , demande Ruffin, « quelle écologie voulons-nous ? »
Le livre est né a l'occasion de la venue de Greta Thunberg et des « Jeunes pour le climat » reçus en grande pompe au Parlement. Mais alors qu'il est frappé par leur conscience écologique et leur maîtrise des problèmes de la planète, il les trouve d'une grande naïveté politique, méconnaissant l'histoire des grandes avancées sociales . « Une écologie de consensus, zéro idéologie, ni de droite ni de gauche ? » Ruffin n'y croit pas et explique pourquoi dans la première partie du livre , dressant notamment la liste des grands mouvements sociaux qui ont fait progresser la société française : Il a fallu des luttes et des lois pour que soit supprimé le travail des enfants, instauré le repos hebdomadaire, limitée la journée de travail, accordés les congés payés .
Non, « nous ne sommes pas tous sur le même bateau », le chapitre consacré aux « Maîtres du Titanic » enfonce le clou. « C'est un conflit, oui. C'est une lutte pour le pouvoir, oui. C'est un combat pour notre survie. »

Alors face à ce constat plutôt noir, que propose Ruffin ? Pas de remède miracle mais, « à la lumière de Jaurès », un appel à reconnecter ce qu'il appelle « les deux coeurs », ou comme disait Gramsci, « intellectuels et peuple - nation », parce que , dit il, c'est ainsi que nous l'avons emporté dans les grands moments de notre histoire : 1789, 1936, mai 68, mai 81. «  C'est l'immense problème aujourd'hui : ces deux coeurs qui s'ignorent. Qui se tournent le dos. Qui ont divorcé. » Il faut donc trouver comment les rapprocher et Ruffin de proposer : «  qu'à la place de nous diviser, l'écologie nous unisse. Qu'elle rapproche rouges et verts. Qu'elle allie classes populaires et éduquées. Qu'elle rompe la molle « indifférence ».
Quelle écologie voulons nous ? Quelques pistes illustrées par des slogans qui claquent : « Consommer moins, répartir mieux »; «  Les liens plutôt que les biens »; «  C'est le plomb de l'angoisse, aujourd'hui, que nous devons muer en un or de l'espérance ».; « Chercher le bonheur autrement, le progrès ailleurs »....
Ruffin appelle de ses voeux un « Front populaire écologique »pour donner à la France d'autres espoirs. « Que cesse la bataille des nains pour qu'on puisse bousculer les géants. »

Le livre n'est qu'une ébauche, l'auteur lui-même même nous en avertit. Il a le mérite de poser de nouveau les problèmes sur la table et d'avancer quelques pistes parce qu'il est urgent de réagir et que « Pour vos enfants, et pour les enfants de mes enfants, il nous faut essayer quelque chose. 
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Parfait! François Ruffin, que j'apprécie particulièrement, plaide avec intelligence pour une union entre les classes défavorisées et les intellectuels afin que puisse advenir une Révolution, un changement de société; afin qu'un autre monde puisse être pensé, imaginé et concrétisé. Ce livre, qui ne dit rien que j'ignore pourtant, est une bouffée d'air, une oxygénation de l'esprit. Dans notre société dominée par une idéologie mortifère, où toute pensée alternative est raillée, déconsidérée et taxée d'utopiste comme s'il s'agissait d'une insulte, il est bon - et même jouissif - en effet, d'entendre la voix de celles et ceux qui disent NON au productivisme, au consumérisme, à la concurrence de tout et de tous, à la logique marchande. Il est bon de les entendre dire NON à un monde vide de sens! Non putain! Et OUI à une vie sensée qui fait du respect de l'Homme et de son environnement une préoccupation majeure. OUI à une vie digne!
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Il y a des livres qui commencent bien et se terminent bien. Il y en d'autres qui se caractérisent par l'inverse. Cet essai est malheureusement de la seconde catégorie.

Le titre me heurte par sa forme. Qu'il soit interrogatif sans point d'interrogation, passe encore, mais pourquoi n'est-il pas tout simplement : "Où est le bonheur ?" plutôt que tourné sous la désagréable forme parlée qui consiste à désigner dans la même phrase le sujet une fois par un substantif et une autre par un pronom ? À la crèche, il arrive que l'on entende "Il est où le chat ?", mais pas dans la bouche des professeurs d'école, du moins je l'espère (*). Enfin, passons !

Dans les remerciements placés en fin d'ouvrage, François Ruffin s'excuse auprès d'un journaliste et écrivain auprès duquel il s'était engagé pour "un autre projet littéraire", comme si cet essai pouvait être considéré comme de la littérature... Nous n'avons franchement pas la même conception de la littérature. Passons de nouveau.

Et, entre le début et la fin me direz-vous, il y a-t-il matière à apprendre? Fort peu hélas ! L'écologie est au centre du propos et ne pourrait, selon l'auteur, être admise comme axe principal de l'organisation de la société qu'au terme d'une lutte entre classes ; François Ruffin nous parle de stratégie politique, mais un peu comme un candidat au baccalauréat qui, pour remplir ses quatre pages, disserterait en délayant sans originalité des idées maintes fois rabâchées. Au moins a-t-il l'honnêteté de préciser dans un avertissement que cet essai n'est qu'une ébauche. Cela apparaît une évidence : le député de la Somme, élu avec l'appui de la "France insoumise" et de "Europe Écologie les Verts", n'a pas consacré assez de temps à structurer ses idées. Trop vite écrit, comme bien des livres d'actualité, ce livre sera vite oublié.

Le but généralement poursuivi par l'auteur d'un essai de cette nature est d'acquérir à ses idées de nouveaux partisans. Il faut donc argumenter pour convaincre les tièdes. Dans mon cas, j'ai été bien plus convaincu par la logique implacable de l'encyclique « Laudato si' ».

Il y a François et François et Rufin et Ruffin...

(*) Pour la défense de l'auteur, on peut supposer qu'il reprend le titre d'une chanson de Christophe Maé ("Il est où le bonheur, il est où ? Il est où ? Il est où le bonheur, il est où ? Il est où ?"). Mais je ne me souviens pas d'avoir trouvé dans cet essai une référence qui puisse le confirmer.
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Citations et extraits (23) Voir plus Ajouter une citation
[ Travail des enfants ]
C’est en 1838 que Victor Hugo rédige sa complainte. Mais le poète ne prêche pas seul dans le désert : dans ces années-là, au sein de l’Église, chez les élus, le scandale des enfants ouvriers éclate. Grâce au docteur Villermé, notamment, qui, durant deux années, parcourt la France industrielle pour son Tableau de l’état physique et moral des ouvriers employés dans les manufactures de coton, de laine et de soie. Ce médecin militaire, dur à cuire, le proclame devant les Académies, devant la Chambre des pairs, devant les députés : « La condition de ces enfants doit nous émouvoir, car ils ne méritent pas leur malheur. » Et il les émeut, de fait, tous ces parlementaires. Au lendemain d’une séance à l’Assemblée, il constate avec joie : « Tous les orateurs ont reconnu le mal dont j’ai parlé en émettant le vœu de voir se réaliser les améliorations que je demande. » La cause fait la quasi-unanimité, comme la planète aujourd’hui, tous émus, pour de bon. Ce brave Villermé y a cru, alors, à ces discours.
Comment expliquer, malgré ce consensus, que ce musée des horreurs enfantines perdure encore un demi-siècle, jusqu’à la fin du XIXe ? Qu’après une première loi, en 1841, il en ait fallu une seconde, en 1874, sans plus d’effets ? Quel mystère se cache derrière cette inertie ?
Guère de « mystère », en vérité : devant le problème, on est tous d’accord. Devant la solution, il n’y a plus personne. Car la morale et les intérêts, voilà qui fait deux. Et, au Parlement, on les voit ressortir à nu, ces intérêts. Interdire le travail des enfants, personne n’y songe. Même réduire leur durée de travail à l’usine, ce serait « sacrifier l’industrie » : « Il s’ensuivra qu’il faudra dans les manufactures un plus grand nombre d’enfants, raisonne le pair Humblot-Conté. La conséquence du non-travail des enfants le dimanche sera de faire fermer la fabrique ce jour-là. » Mieux : c’est pour son bien, au fond, qu’on attelle tout le jour l’enfant à sa machine. Sinon, « cette diminution de salaire se fera surtout sentir sur sa nourriture, estime le député Taillandier. Il sera trop souvent réduit à ne s’alimenter que d’un pain grossier, tandis qu’avec un travail plus élevé il pourrait y ajouter des légumes et même un peu de viande ».
Qu’on laisse les patrons s’autoréglementer. Sans quoi, s’exclame le sieur Gay-Lussac, « malheur au pays si jamais le gouvernement venait à s’immiscer dans les affaires de l’industrie ! » À Saint-Étienne, on se fait les champions de l’éthique : « Dans une question d’éducation, il convient de ne pas oublier que le travail aussi est moralisateur ! » Et il convient, pour nous, de ne pas oublier ça : qu’elles sont prêtes à tout, les firmes d’alors, avec leurs PDG, ces ancêtres du Medef, pour justifier le pire. Même à invoquer la « morale », oui, la morale ! Quand le petit Auguste Desplanques, « rattacheur chez Choquet, ayant voulu lacer son soulier, a les cheveux pris dans l’engrenage d’un métier. Il est littéralement scalpé », c’est affaire de morale. Quand Léon Verbrugt, 13 ans, épousseteur de lin, « à sept heures du soir, épuisé, s’est réfugié entre deux machines. On l’appelle, il se relève, mais la manche de son gilet est prise par un engrenage : tout l’avant-bras est déchiré », c’est affaire de morale. Quand Henriette Dautricourt, 14 ans, nettoie, sur ordre, une machine en marche, elle a « le bras entièrement dépouillé de sa chair ; on doit l’amputer », et la voilà manchote à l’aube de sa vie : c’est affaire de morale… Et chaque fois, bien sûr, la faute incombe au jeune ouvrier.
Pour leur dieu Profit, ils l’ont fait, sans rougir, durant un siècle. Et un siècle plus tard, les mêmes, leurs descendants, hauts-de-forme et redingotes en moins, les Adidas, les Lee Cooper, les Nike, les Zara, ont exporté ce scandale loin de nos yeux, loin de nos lois, en Inde, en Indonésie, en Asie, « les anges dans un enfer ». Les mêmes, les mêmes qui, durant des siècles et des siècles, ont vendu leurs semblables, les ont écrasés, asservis, enchaînés à fond de cale.
Toujours, auprès du roi ou du pape, dans les salons dorés, dans les parlements, se sont trouvés les sieurs Gay-Lussac, les députés Tallandier, les pairs Humblot-Conté du jour, pour justifier ces crimes, pour endormir les consciences, pour couvrir la soif d’or, la pure et simple soif d’or, avec de la « morale » et de l’« âme ». Je les ai entendues tout à l’heure, encore, salle Victor Hugo justement, ces voix. « Ah, l’environnement, c’est important », nous ont-ils assuré, avant de nous dorloter avec la « prise de conscience en cours », la « pédagogie à mettre en œuvre », les « petits gestes, même s’ils ne suffisent plus ».
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[ Des patrons, y en a des bons ]
« Mais pourquoi ne pas faire confiance aux entrepreneurs ? Des patrons, y en a des bons, non ? »
Oui.
Sans hésiter, oui. Et je n’ajouterais même pas, comme Jean Gabin dans Le Président : « Il existe aussi des poissons-volants, mais ils ne constituent pas la majorité du genre ! »
J’ai raconté la loi Villermé de 1841. Dans mon coin, la Somme, M. Lecomte, directeur de la fabrique d’Ourscamp, a joué le jeu. Il a reçu l’inspecteur du travail, alors « inspecteur pour l’honneur », bénévole, et le docteur Frary a convaincu le patron : dans son usine, lui va bannir le travail des enfants. Mais, deux ans plus tard, c’est une lettre que l’industriel adresse à l’inspecteur : « Depuis que je suis convenu avec vous, monsieur, de mettre à exécution la loi sur le travail des enfants, cette loi a été scrupuleusement observée dans nos ateliers. Aujourd’hui, je regrette véritablement d’avoir poussé à l’exécution de cette mesure. Tous nos concurrents de Rouen, de Saint-Quentin et compagnie vendent au-dessous de nos cours, et ils peuvent le faire parce qu’ils travaillent à grandes journées et sans aucun frais, nouveau résultat de la loi dont ils ne se préoccupent pas le moins du monde. »
Voilà : le bon patron est puni.
Il faut comprendre cette règle, qui vaut pour l’époque comme pour aujourd’hui, pour le social comme pour l’écologie : avec une concurrence libre et totalement faussée, la vertu n’est pas récompensée, mais pénalisée. Quand le vice, lui, permet d’être « compétitif », de « remporter des marchés ». Il ne s’agit plus d’hommes bons ou mauvais, alors, mais d’un système, un système qui les dépasse, qui encourage les actes nocifs.
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J’admire, immensément, Jean-Baptiste Godin, un inventeur génial, un inventeur social. Fils d’artisan serrurier, il fait son tour de France dans les années 1830 et découvre la misère ouvrière. Rentrant chez lui, en Picardie, Godin invente un poêle à charbon en fonte qui porte encore son nom, monte une manufacture, réussit dans les affaires, aurait pu faire fortune. Mais il décide, à la place, de fonder un « familistère » : à Guise, dans l’Aisne, il fait construire un « Versailles pour les ouvriers », avec école, théâtre, piscine, fanfare, jardins, etc., et je conseille à tous de le visiter. C’est un génie, un génie dans les détails : la piscine est à fond mobile, pour que les enfants apprennent à nager. Il conçoit le vide-ordures pour qu’on puisse se débarrasser des déchets dans les étages, sans avoir à descendre. Et surtout c’est un génie généreux : son entreprise, il la met sous forme de coopérative, que les salariés votent, participent au projet. C’est un génie, mais avec une illusion : puisque mon expérience marche, pensait-il, les patrons vont l’imiter ailleurs, la généraliser. Eh bien, non. Il en était déçu, meurtri, ne comprenait pas. Et je la trouve charmante, sa naïveté : il lui manquait Marx, il lui manquait la lutte des classes.
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"Mais en même temps qu'ils s'en saisissent, en même temps, ils vident l'écologie de sa dissidence, la rendent inoffensive, remplissent ce signifiant d'insignifiance. Ils en font un mot creux, une petite chose étriquée, défensive, des mesurettes technico-fiscalistes, mais sans toucher à l'ordre social, à l'ordre économique. Et même, je préviens, je prédis, je le devine : ils en feront une camisole de plus pour l'ordre. C'est sous entendu, déjà, parfois : " Vous revendiquez? Vous osez? Alors que la planète est à sauver? Alors que nous devons affronter ce gigantesque danger?" Ils feront passer, bientôt, l’exigence de justice pour un égoïsme. L'écologie se dégrade dans leur bouche, en une nouvelle "escroquerie intellectuelle", une hypocrisie permettant de "reporter" à plus tard toute volonté redistributive". Et mieux, toujours mieux : au cri de "tous ensemble", ils veulent nous faire embrasser nos tyrans...
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[…] en face, le pouvoir mène une offensive. Certes, ils se convertissent en série, d’un Premier ministre lobbyiste d’Areva qui fait sa « rentrée en vert » à un président qui n’en disait rien dans son programme et qui assure aujourd’hui avec des trémolos : « J’ai changé. ». Mais en même temps qu’ils s’en saisissent, en même temps, ils vident l’écologie de sa dissidence, la rendent inoffensive, remplissent ce signifiant d’insignifiance. Ils en font un mot creux, une petite chose étriquée, défensive, des mesurettes technico-fiscalistes, mais sans toucher à l’ordre, à l’ordre social, à l’ordre économique. Et même, je préviens, je prédis, je le devine : ils en feront une camisole de plus pour l’ordre. C’est sous-entendu, déjà, parfois : « Vous revendiquez ? Vous osez ? Alors que la planète est à sauver ? Alors que nous devons affronter ce gigantesque danger ? ». Ils feront passer, bientôt, l’exigence de justice pour un égoïsme. L’écologie se dégrade, dans leur bouche, en une nouvelle « escroquerie intellectuelle », une hypocrisie permettant de « reporter à plus tard toute volonté redistributive ». Et mieux, toujours mieux : au cri de ‘Tous ensemble », ils veulent nous faire embrasser nos tyrans…
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