C'est un livre singulier, qui intéressera autant les amateurs d'histoire, que ceux des récits de voyage. Très bien écrit, pétri de références, je n'ai guère rencontré de récit analogue, fidèle à représenter le quotidien des travailleurs du passé, et de cette caste particulière du compagnonnage. Ces gens avaient l'amour du métier, mais cherchaient une dimension spirituelle dans leur tour de France, bien au delà des buts avoués de la perfection des gestes. On pense à la chanson de geste justement, aux ordres de la chevalerie et à ses idéaux en lisant ce livre. le compagnon est en filiation avec le troubadour, le chevalier de la table ronde, rempli de désirs pas toujours conscients. Ses rituels, son esprit magique pourraient faire sourire, mais il nous subjuguent, tant ils semblent éclairer la route, et lui élèvent l'âme et rendent notre époque réaliste et trop pondérée bien indigente.
On peut retrouver des accents et des péripéties dignes de la "beat génération" dans ces itinéraires. Les auteurs ont inclus bien des brides de journaux de voyages de ces voyants, à la route parfois bien difficile, aux heures de travail sans nombre, nous laissant stupéfait de leur courage et de leur résilience, quand après mille difficultés, ils repartent d'un pas vaillant. L'esprit d'entraide et de communauté c'est vrai n'était pas un vain mot.
Bref, un beau livre qu'on a envie de partager, au coeur de ce covid qui a fermé les frontières, les pays, et qui donne envie de lire les autres productions de ces deux auteurs. Je viens de commander celui qu'ils ont écrit sur les pèlerins de Compostelle
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Le propos de cet ouvrage est de nous présenter en seize chapitres méthodiques le processus et les séquences du tour de France des compagnons au XIXème siècle.
Ils reprennent en détail le départ, l'itinéraire, le déplacement, l'embauche, les sociétés, la Mère, les assemblées et rencontres, la vie professionnelle, la Réception, les violences et batailles...
Tous les éléments sont puisés dans six récits de mémoire (menuisier, boulanger, serrurier, charpentier, bourrelier, Maréchal-Ferrant) dont les cartes retracent les itinéraires.
Ce sont des souvenirs que nous ont laissé quelques compagnons instruits qui savaient donner le détail sur leur vie et sur leur temps. "Le grand secret que porte ce livre, qui a obtenu la bourse Goncourt du récit historique, c'est que l'homme porte cachés en lui tous ses chefs-d'oeuvre"
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A leur âge, on déniche les pies, on use ses sabots sur les mares gelées, on ornemente au canif des bâtons de coudrier, on galope de toutes ses forces d'un bout à l'autre de soi-même et s'il faut traverser seul quelque pan de nuit, on siffle fort pour faire le brave.
Mais en ce siècle-là, le XIX°, les enfants des pauvres gens ne vivent pas longtemps leur saison d'innocence. A huit, dix ou douze ans, ils doivent assurer leur part d'ouvrage, à la maison ou au dehors, mettre leurs bras maigres dans des gestes trop grands pour eux, entasser des heures qui n'en finissent pas avec, pour solde de tout compte, le répit - et quelle fierté - d'un fond de litre et d'un quignon frotté d'ail.
Ils ont huit, dix ou douze ans, on leur appuierait sur le nez qu'il en sortirait du lait, et trouvent tout naturel de devoir déjà faire l'ouvrier....
(extrait du prologue inséré en début de volume)
Le temps d'une révolution, dirait-on, et l'époque n'est plus la même. Le siècle s'est cassé en son milieu. L'industrie crée un type d'ouvrier nouveau. La fabrique ignore la belle ouvrage, et on ne chante pas en servant la chaîne. Quant aux autres raisons d'être du compagnonnage - secours aux chômeurs, placement, maintien des salaires - une nouvelle forme de groupement de travailleurs va commencer à y répondre (...) : le "syndicat", qui s'adresse aussi bien aux éléments les moins qualifiés professionnellement qu'aux nouvelles professions nées de l'industrie. Le compagnonnage ne veut pas se transformer en syndicat, même pour bénéficier des protections de la loi : il lui semble essentiel de rester un monde à part, ni avec ni contre un pouvoir officiel, idéalement sans aucun rapport avec lui.
L'étude du compagnonnage au XIX° siècle soulève la question de ses relations avec la franc-maçonnerie. La double appartenance est fréquente, surtout à partir de la fin de la Restauration (...) L'influence maçonnique est très visible, notamment dans les rituels qui sont profondément modifiés à partir du début du siècle. Certains en ont conclu trop vite que les deux organisations étaient nées d'une même source. Les documents actuellement connus montrent que le compagnonnage est beaucoup plus ancien que la franc-maçonnerie mais que celle-ci a influé sur celui-là au XIX°, lorsqu'elle a cessé de recruter exclusivement dans la noblesse puis la bourgeoisie pour s'intéresser aux ouvriers. Mais il ne faut pas oublier que les constitutions d'Anderson qui sont à l'origine de la franc-maçonnerie ont été établies d'après les "old charges", règles des corporations anglaises sédentaires, alors que le compagnonnage, association ouvrière, était assez naturellement l'adversaire des corporations.
Anthelme Corbon, l'un des trois « représentants des ateliers » à l'Assemblée constituante de 1848, auteur en 1863 d'un livre singulier, "Le Secret du peuple de Paris", pousse la réflexion plus loin : « Partout où va le compagnonnage, dit-il, l'ouvrier est habile, même s'il n'est pas compagnon ; le travail est relativement bien fait ; et quoique le salaire soit plus élevé qu'ailleurs, la main-d'œuvre est en définitive moins chère, sans compter que l'ouvrier est généralement sain de corps et de cœur.
« Au contraire, partout où le compagnonnage ne pénètre pas, ou bien l'esprit de corps fait défaut, l'ouvrier est moins habile, le travail est plus mal fait, le prix de revient est relativement plus élevé et le travailleur est à un niveau plus bas que là où l'esprit de corps a conservé sa puissance, c'est-à-dire là où la résistance collective est à peu près permanente. »
La règle, c'est parole d'évangile - transgressions et sanctions comprises. Le règlement de 1814 des blanchers-chamoiseurs rappelle solennellement aux compagnons de ce Devoir qu'il doit leur être « ce que sont le Talmud pour les juifs, l'Alcoran pour les turcs, la Bible pour les chrétiens. » Il n'en existe que quatre exemplaires, un par ville de boîte, ainsi nommée justement parce que le règlement y est serré dans une boîte, le maître chez les tailleurs de pierre, coffret de bois à triple serrure. Le document n'est que rarement exposé. Non seulement on ne peut le sortir devant un étranger, mais, dans la plupart des sociétés, in ne peut même pas être montré aux aspirants. Exposer le livre de règles, c'est exposer maître Jacques, c'est montrer le Maître : lors de cette cérémonie, les frères doivent garder une attitude respectueuse.
A la recherche du temps perdu
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Jacques LACARRIERE, auteur de "
Promenades dans la Grèce antique", dit s'être inspiré, pour écrire cet ouvrage, des
récits de Pausanias, géographe et historien
grec du deuxième siècle. -
Jean Noël GURGAND et
Pierre BARRET, auteurs de "Priez pour nous a Compostelle" racontent leur
voyage à pied de Paris à Compostelle sur la trace des pèlerins du
moyen âge. -
Claude VILLERS, auteur...