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EAN : 9782843449307
128 pages
Le Bélial' (22/02/2018)
3.57/5   116 notes
Résumé :
Europe. Demain.

Dérèglements climatiques, terrorisme et guerres confessionnelles secouent les restes d'un ordre mondial en miettes et jettent des millions de réfugiés sur les routes. L'horizon est fluctuant ; le monde se recroqueville face à un futur incertain et menaçant. Et puis il y a les Elohim — ou prétendus tels. Des êtres exceptionnels, mystérieux, porteurs d'un espoir nouveau, et qui semblent s'incarner sur Terre de manière aléatoire.
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Critiques, Analyses et Avis (45) Voir plus Ajouter une critique
3,57

sur 116 notes
Lorsque j'ai aperçu « Issa Elohim » dans une petite librairie montmartroise, j'ai immédiatement été attiré par son titre énigmatique, qui mêle Issa, le nom donné à Jesus dans le Coran et Elohim le nom donné à Dieu dans la Torah. J'avais déjà découvert la superbe collection « Une heure-Lumière » qui s'attache à publier des pépites méconnues de Science-Fiction, à travers le très beau roman de Ian McDonald, « Le temps fut », qui explore habilement le thème du voyage temporel.

« Issa Elohim » nous conduit dans un futur proche, où le dérèglement climatique, le terrorisme et les guerres de religion ont bouleversé l'ordre mondial et jeté des millions de réfugiés sur les routes qui mènent à une Europe qui a fermé ses portes. L'agence européenne « Frontex » est ainsi devenue une véritable armée chargée de veiller à l'imperméabilité des frontières européennes.

Dans ce monde menacé par le chaos, des êtres étranges, possiblement extra-terrestres, appelés les Elohim ont fait leur apparition. La secte d'Aion regroupe les croyants pour qui les Elohim sont les nouveaux élus porteurs d'un espoir de rédemption. Les Elohim sont de jeunes hommes dont l'apparition soudaine en tenue d'Adam provoque des troubles électromagnétiques de courte durée, qu'il est impossible de photographier. Ils ont la faculté de disparaître soudainement pour réapparaitre quelques minutes plus tard à quelques dizaines de mètres du lieu de leur disparition, un phénomène appelé le « swap ». le plus célèbre d'entre eux, dénommé Noïm, a provoqué plusieurs milliers d'accidents cardiaques et au moins trois cents morts, lors d'un show gigantesque organisé à Rio au stade Maracanã.

La narratrice Valentine Ziegler est journaliste dans sa Suisse natale, aussi préservée que sécurisée. Elle entend parler de la présence potentielle d'un Elohim prénommé Issa, dans un camp de réfugiés tunisiens géré par Frontex. La jeune mère de famille, plutôt sceptique face à ce phénomène que de nombreux « croyants » qualifient de nouvelle épiphanie, entreprend le voyage jusqu'au camp où est censé se trouver Issa dans l'espoir de réaliser un reportage digne d'intérêt.

Elle va effectivement rencontrer le nouvel Elohim, dans le camp Frontex d'Araies, accompagné de Wissam, Joseph et Medhi, ses trois inséparables amis qui l'ont découvert, entièrement nu, dans une sorte de cratère au milieu du désert, tel un ange venu des étoiles. le jeune homme au physique délicat porte la robe traditionnelle islamique, la Jubba, et semble doté d'une sensibilité exacerbée. Et il n'apparaît effectivement pas sur les photographies que tente de prendre Valentine, qui va publier « Un Elohim au camp Frontex d'Araies ? » sur son flux d'information.

Cette rencontre avec Issa va bouleverser les certitudes de la narratrice et remettre en cause sa vision du monde. Elle va également chambouler son existence lorsqu'elle décidera de tenter d'aider le jeune homme à rejoindre la « forteresse » qu'est devenue la Suisse en compagnie de ses amis.

En imaginant une Europe recroquevillée sur elle-même et veillant à rester étanche à l'afflux potentiel de milliers de migrants parqués dans des camps situés à sa périphérie, le court roman dystopique de Laurent Kloetzer questionne sans manichéisme la question migratoire.

En évoquant l'apparition inexpliquée des Elohim, l'auteur interroge la recherche de sens de notre société qui a abandonné toute transcendance, et questionne la possibilité d'une épiphanie qui viendrait bouleverser l'ordre matérialiste établi.

« Issa Elohim » est un récit métaphorique qui soulève de nombreuses questions auxquelles il ne répond que partiellement. le surgissement d'un « Jesus » musulman évanescent, qui n'a de cesse de disparaître pour réapparaître quelques instants plus tard, garde sa part de mystère et évoque davantage un conte qu'un récit de Science-Fiction « classique ».

Si le parti de pris de ne jamais dissiper tout à fait le halo d'incertitude qui entoure Issa fait le charme du roman, il est en aussi sa limite. Qui est cet Elohim au coeur pur, qui ne semble garder aucun souvenir de sa vie antérieure ? Un extra-terrestre ? Un imposteur ? Un prophète ? le sauveur d'un monde à la dérive ? Est-il le véritable Jesus dont l'Apocalypse annonce le retour ?

« Voici, je me tiens à la porte, et je frappe. Si quelqu'un entend ma voix et ouvre la porte, j'entrerai chez lui, je souperai avec lui, et lui avec moi » (Apocalypse 3:20)
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Laurent Kloetzer imagine un futur pas très lointain, une trentaine d'années dans le futur : dans ce monde, les lois et les moyens de freiner la migration se sont renforcés. Et il y a une part de mystérieux avec l'apparition de ce que l'on a nommé les Elohim, ils apparaissent et disparaissent, sont-ils des extraterrestres, des fantômes. Issa, L'un d'entre eux est repéré dans un camp de migrants en Tunisie, une journaliste s'y rend afin d'y faire un reportage, et de mener une enquête.

L'écriture est simple, elle apporte une ambiance de compassion avec le discours à la première personne du singulier par la voix de la journaliste. le récit est tout en douceur, le merveilleux semble presque naturel, et l'aspect procédural, de répression, de lutte contre l'immigration reste en arrière plan et pourtant, c'est bien en réalité le sujet principal de l'histoire. Par les chemins détournés de la science-fiction et du fantastique, l'histoire dénonce la privatisation des moyens anti-immigrations, de la politique sécuritaire, des moyens administratifs hypocrites. Pas de militantisme outrancier, au contraire, le système mis en place semble naturel pour les protagonistes et ne pose que de très légères crises de conscience.

Le récit est totalement politique, mais ne met jamais les gros sabots, et même il parvient à faire croire que ce n'est absolument pas politique, j'adore cette manière pudique de faire prendre des vessie pour des lanternes. L'auteur semble prendre des précautions : non non, c'est une jolie petite histoire anodine, et c'est effectivement le cas si on se contente du premier degré, par contre, on risque de passer totalement à côté si on ne fait pas marcher ses méninges. Il aborde aussi d'autres thèmes, les religions en particulier, et pareil, elle reste en arrière plan, il les présente comme un passage obligé, la nature angélique des Elohims favorise une certaine mystique, ce thème soulève en réalité plusieurs questions, de mysticisme, de charité, de récupération, d'interprétation subjective…

J'ai adoré la conclusion, je ne m'y attendais pas, et je trouve ce choix particulièrement judicieux, nous laissant dans le doute, mais un doute qui donne à réfléchir, qui ouvre sur notre présent, sur notre vision du monde, en gros, ce que j'attends d'un roman de science-fiction, et celui-ci, bien que très court, est en réalité très intelligent, très riche et très complet.
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Après « L'homme qui mit fin à l'histoire », « Poumon vert » ou encore « Un pont sur la brume », je poursuis avec toujours autant de plaisir ma découverte des novellas publiées par l'excellente collection « Une Heure Lumière » du Bélial. le principe est ici toujours le même : un texte court n'excédant pas une centaine de pages et une identité graphique particulièrement soignée confiée aux bons soins d'Aurélien Police. Après Thomas Day (qui avait ouvert le bal avec « Dragon » en 2016), Laurent Kloetzer est le deuxième auteur français à participer à cette collection qui, une fois encore, ne démérite pas. La novella met en scène une journaliste suisse, Valentine Ziegler, qui part en reportage dans un camp de réfugiés tunisien où aurait été signalée l'apparition d'un Elohim. Elohim ? Un être mystérieux d'apparence toute à fait humaine mais dont on ignore la nature (extraterrestre pour certains, divine pour d'autre) et sur lesquels une parte de la population a placé tous ses espoirs. C'est au cours de ce reportage que Valentine fait la connaissance d'Issa, le fameux Elohim, ainsi que de trois autres jeunes réfugiés qui l'ont recueilli lors de son apparition sur Terre et qui le considèrent désormais comme leur frère. Bouleversée par cette rencontre et par l'innocence et la douceur du jeune homme, la journaliste entreprend à son retour en Suisse de faire venir Issa et ses frères dans son pays, quitte à s'associer pour cela à un homme politique dont les idées sont pourtant très éloignées des siennes. le texte s'inscrit semble-t-il dans le même univers que d'autres oeuvres de Laurent Kloetzer (merci Xapur) : « Anamnèse de Lady Star » et « Vostok », deux romans qui sont depuis longtemps dans mon viseur (le second sort justement en poche chez Folio SF ce mois-ci) et que je suis d'autant plus impatiente de lire après cette lecture qui ne posera donc aucun souci de compréhension si, comme moi, vous n'êtes pas familiers avec les dernières parutions de l'auteur.

La première force du texte tient évidemment à son cadre très actuel qui permet à l'auteur d'aborder un certain nombre de sujets particulièrement sensibles. Située dans un futur proche ou alternatif, l'action prend ainsi place dans une Europe globalement similaire à la nôtre : de nombreux pays sont en crise partout dans le monde, que ce soit pour des raisons économiques, politiques ou climatiques, et leurs habitants se retrouvent forcés à migrer vers un endroit plus sûr. Dirigés ici par l'agence européenne Frontex, des camps de réfugiés font alors leurs apparitions aux frontières et posent dans l'ensemble des pays européens des questions qui continuent de faire débat parmi la population. le cadre nous est donc familier, tout comme malheureusement les catastrophes humanitaires qu'il engendre. Par le biais des témoignages des quatre jeunes réfugiés, Laurent Kloetzer souligne notamment les conditions de vie déplorables dans lesquels ces personnes en sont réduites à vivre dans les camps de réfugiés ainsi que la violence à laquelle ils se retrouvent malgré eux confrontés. le texte nous pousse évidemment à nous interroger sur les politiques migratoires européennes et sur leurs conséquences humanitaires. le passage de la traversée en mer fait ainsi bien sûr échos à la situation en Méditerranée et, quant bien même le ton n'a rien de plaintif ou de larmoyant, on ne peut qu'être remué par l'angoisse et la détresse qui transparaissent dans ces pages. La noirceur de ce futur déjà présent est fort heureusement contrebalancée par les personnages eux-mêmes, à commencer par Valentine et son entourage qui, par leur solidarité et leur générosité, font naître une lueur d'espoir bienvenue. C'est cette humanité dont la journaliste fait preuve ici qui se situe justement au coeur du texte et qui fait sa plus grande force : les réfugiés ne sont plus ici qu'un « simple » sujet polémique sur lequel se dispute de manière détachée mais des hommes et femmes bien réels face auxquels les étiquettes politiques et les considérations morales ou religieuses volent en éclat.

Si l'ouvrage préfère donc se focaliser avant tout sur l'humain, et n'a par conséquent rien du pamphlet politique, il se garde également de tomber dans une dérive religieuse qui aurait été du plus mauvais goût et que l'auteur esquive ici avec habilité. Alors oui, ces Elohims sont des figures considérées comme messianiques et ont été récupérées par certains cultes ou sectes pour faire la promotion de leur dieu ou leur vision du monde, mais à aucun moment l'auteur ne prend le risque de s'embourber dans des considérations de ce type. le lecteur comme les personnages sont ainsi totalement libres de se faire leur propre opinion concernant la nature et l'origine de ces Elohims, en fonction de leurs propres références culturelles. L'auteur s'amuse d'ailleurs à jeter un peu plus le trouble dans l'esprit du lecteur lorsque son protagoniste se met à questionner la véracité de la nature d'Issa. Était-il vraiment un Elohim ou un simple mystificateur ayant vu dans le mensonge une opportunité de se mettre à l'abri et d'échapper à sa condition de réfugié ? Car l'apparition de ces créatures mystérieuses n'a pas été sans s'accompagner au fil des années de quantité de hoax circulant sur internet et mettant en scène de faux Elohims cherchant à surfer sur le phénomène pour se faire connaître, ou tout simplement pour se sortir de la misère. Dans sa position, Issa aurait ainsi tout à fait pu être tenté par cette idée et, avec la complicité de ses camarades, monter une mascarade visant à le faire sortir du pays (la preuve le plus probante de la nature des Elohims vient du fait qu'ils disparaissent régulièrement l'espace de quelques minutes avant de réapparaître près du lieu de leur évaporation : une « ruse » compliquée à mettre en scène mais techniquement possible dans certaines circonstances). Les indices allant dans le sens d'une mystification comme dans celui d'une véritable apparition se succèdent au fil des pages, et, là encore, c'est au lecteur de choisir la version qui lui convient le mieux, l'auteur se gardant bien de nous donner une réponse définitive.

Laurent Kloetzer signe avec « Isssa Elohim » un texte court mais percutant consacré à un sujet actuel particulièrement sensible et traité avec beaucoup de délicatesse. La force de l'ouvrage tient d'ailleurs au fait que l'auteur ne nous donne jamais de réponse toute faite mais cherche au contraire à nous pousser à nous interroger, à la manière de ses personnages qui bouleversent avant tout par leur humanité. Une très belle découverte.
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Encore une belle réussite de la collection Une Heure-Lumière.

Le décor est hélas devenu conventionnel pour qui souhaite anticiper le futur proche : des camps au Maghreb et au Moyen-Orient, surpeuplés de réfugiés fuyant le terrorisme des hommes et du climat, gérés par des sociétés privées et où les émeutes sont sévèrement réprimées ; une Europe qui s'est refermée sur elle-même et qui accorde des visas au compte goutte. Est-ce encore de la science fiction ?
La SF est plutôt dans l'apparition impromptue et aléatoire de ces Elohim. Sont-ils de nature divine ? Des extraterrestres ? Leur aspect est tout ce qu'il y a d'humain mais peut-être n'est-ce pour eux qu'une sorte de costume…
Certains comportements surprennent quand même… quand on y croit. Des sectes montent cela en épingle pour les adorer. Ce qui est sûr, c'est qu'ils transmettent à leur entourage tout une atmosphère d'amour presque naïf tellement agréable.

Laurent Kloetzer nous raconte la rencontre de Valentine la journaliste avec Issa l'Elohim, et de leurs entourages respectifs. Depuis le camp de réfugiés d'Araies en Tunisie jusqu'aux montagnes suisses, Issa propage sa bonté candide autour de lui, jusqu'au lecteur qui est baigné d'ondes positives. Comme Valentine, on s'attache vite à ce gamin et à ses « frères », ceux qui l'ont vu apparaître. Quel plaisir de voir ces ados qui ont vécus les camps s'éclater sur les pistes de ski.
Et comme Valentine, on est déboussolé à la fin. Une fin ouverte où si peu est résolu… comme dans la vraie vie.

Un conte moderne qui émet de bonnes ondes, cela ne se refuse pas.
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« Cher ami, je suis désolé que vous ayez dû endurer de telles épreuves pour parvenir jusqu'ici. Notre pays n'est pas très moderne, il y existe toutes sortes de règles tout aussi difficiles à connaître qu'à éviter, et aucune ne prévoit quoi que ce soit pour les extraterrestres. Je suis si heureux de vous revoir.
– Moi aussi, Mister Boris. Votre visite est très généreuse. »

Ce pays pas très moderne, c'est la Suisse ! Et c'est un politicien nationaliste qui parle à un clandestin, peut-être d'origine extra-terrestre ou peut-être illusionniste doué. On peut aussi, si on est croyant, penser à un prophète envoyé par Dieu, Quel-qu'Iel-Soit...

La narration est menée par une journaliste free-lance, Valentine Ziegler, qui oscille entre doute et envie d'y croire.

Cette novella est ma première incursion dans l'oeuvre de Laurent Kloetzer. le récit a du rythme, de courts chapitres bien pensés. Mais je ne suis pas vraiment parvenu à m'intéresser à cette histoire, lue juste après une lecture prolongée d'un roman d'Antoine Volodine. Tout paraît fade à côté...
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Citations et extraits (14) Voir plus Ajouter une citation
Qu’elle qu’ait été sa nature, j’ai aimé ce garçon. Je l’ai aimé non comme on aime parfois un enfant ou comme on aime un homme, je l’ai aimé pour lui-même. J’ai eu envie de le protéger, de le soutenir, de le croire. De le suivre. Les récits de Wissam et de Mehdi étaient clairs, sans lui ils n’auraient jamais parcouru la route, jamais fait ce chemin. Sans son charisme, sans le regard toujours aimable qu’il portait sur le monde et cet espoir qu’il tenait par dessus tout que les choses allaient s’améliorer…
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On pouvait croire ou ne pas croire aux buzz mondiaux orchestrés par la secte d'Aion. Les considérer comme les teasers d'un blockbuster étrange, vendant des séances de méditation de pleine conscience collectives dans des stades, des livres, des reportages, des récits de science-fiction mal bricolés nous expliquant que les Elohim "venus des étoiles" allaient nous apporter le soulagement spirituel auquel l'humanité aspirait. Je n'avais rien contre les believers, ni tous ces jeunes et moins jeunes qui se teignaient une mèche de cheveux couleur cuivre pour marquer leur attachement à Noïm, Christ new age de notre temps.
J'y croyais, n'y croyais pas, mon opinion n'avait pas d'importance, pas même pour moi. Mais là, envoyée en reportage sur une des frontières de notre forteresse Europe, j'avais assisté au plus étrange des phénomènes qu'on associe aux Elohim, cette disparition-apparition qui est le signe, la singularité de nos frères non-humains.
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L’Hôtel des Mines d’Araies était ma dernière escale avant le camp Frontex, un palace désolé datant du temps de la colonisation avec réseau satellitaire dernier cri, climatisation aléatoire et plomberie bruyante. J’ai envoyé un mot à Edward pour le rassurer et le faire rire et je me suis allongée une vingtaine de minutes sur le lit étroit ; le trajet depuis la capitale du gouvernorat dans le taxi surchauffé m’avait porté sur les nerfs, je voulais souffler un peu avant d’aller retrouver Gertrud. C’était mon tout premier reportage de ce type ; à dire vrai, j’appréhendais l’arrivée au camp.
Tout ça, l’hôtel, le voyage, avait été financé par un crowdfunding monté à l’arrachée et bouclé dans les toutes dernières secondes. Comme par miracle, juste après ça, une commande de pige était tombée de la part de la Zürcher Zeitung me demandant de pondre un papier sur les cadres supérieurs lancés dans des « vacances humanitaires », et un autre de la part des écoles polytechniques fédérales pour rendre compte de Sofar, un programme diplômant d’enseignement informatique s’adressant aux étudiants qualifiés bloqués dans les centres de réfugiés. Le monde entier conspirait à ce que je me rende à Araies, j’avais pris ça comme un signe. Je devais rester deux semaines, jamais je n’avais laissé les enfants aussi longtemps.
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Ma vie a repris, la course permanente contre le temps. Le voyage à Araies a duré bien plus que les quinze jours passés là-bas. J’en ai parlé, j’ai écrit dessus, pour moi, pour Edward, pour des amis. J’ai enquêté sur les réseaux d’Aion, je suis devenue « une amie d’El-Ze » et j’ai visité l’Elohim Zentrum, ils ont même proposé de me payer pour que j’en parle sur mon flux personnel, ce que j’ai refusé. Je n’ai assisté qu’à une seule des réunions d’opening, comme ils disaient alors. J’ai continué à suivre les apparitions d’Elohim à travers le monde ; il y en avait de plus en plus, avec le même taux de hoax qu’avant.
En parallèle, j’ai cultivé mes contacts à Araies et ai enrichi ma culture au sujet des politiques migratoires de la confédération. Centres de regroupement, mineurs non accompagnés, matière noire, théorie de la submersion, associations de soutien, collectifs populaires pour et contre, etc. Je suis principalement restée en lien avec Marie-Claude (Gertrud s’est envolée pour un autre camp, en Turquie), j’ai pu rassembler grâce à elle quelques autres témoignages de swaps d’Issa survenus dans le camp ; Marie-Claude m’a dit avoir assisté à l’un d’entre eux mais n’avoir pas pu le filmer…
Wissam, Issa et moi nous étions promis de nous parler une fois par semaine, pour suivre leur dossier, mais les rendez-vous étaient difficiles à honorer pour eux, les autorisations d’accès au réseau étant fluctuantes et difficiles à négocier. J’ai passé plusieurs vendredis après-midi à attendre qu’il soit disponible, pour passer des conversations toujours frustrantes. Ils me demandaient d’étudier une demande d’asile traditionnelle, ou alors d’envoyer de l’argent (ce que je n’ai jamais fait), ou alors d’essayer de contacter telle ou telle personne pour eux, d’un coup sur l’autre leurs plans changeaient.
En septembre, les émeutes ont éclaté dans le camp, organisées selon les médias par le cheikh Saïf Al Islam, accusé par les autorités locales d’utiliser les infrastructures européennes pour organiser des activités terroristes. Marie-Claude a immédiatement été évacuée, ainsi que la plupart des ressortissants européens à l’exception des agents de sécurité, et la répression très brutale a été menée par la police et les sociétés privées de sécurité mandatées par Frontex.
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Les jours passaient et nous commencions à nous inquiéter. Le moindre contrôle de police, la moindre question officielle ou la moindre dénonciation et nos trois garçons seraient emmenés dans un des centres fermés pour un traitement accéléré de leur procédure d’asile, et je savais comment ce traitement se terminerait pour au moins deux d’entre eux. Enregistrés dans un camp Frontex, ils seraient renvoyés dans un camp Frontex, au Maghreb ou en Turquie. Aucun avocat n’oserait défendre la nécessité pour un Elohim de rester avec ses frères. Nous avions entamé des démarches administratives, contacté les associations d’aide, un avocat, collecté un peu d’argent, et puis nous attendions. L’attente, les doutes, les incertitudes, tout ceci use les esprits et les volontés. Ceux des réfugiés, en premier lieu, ceux des personnes qui les aident. On est sans cesse inquiet, sans cesse à l’affut. C’est destructeur.
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Vidéo de Laurent Kloetzer
Cela se passe dans la plus grande ville du monde connu. La Cité de la toge noire, la Ville aux mille fumées, donnez-lui le nom que vous voulez, vous y êtes déjà allé… et nous vous proposons d'y retourner, en compagnie de L.L. Kloetzer. Qu'y a-t-il de plus amusant que discuter d'un roman, si ce n'est jouer dans l'univers dudit roman ? Fervents amateurs de jeux de rôle, Laure et Laurent Kloetzer feront jouer Nicolas Fructus (illustrateur au talent indicible) et Erwann Perchoc (n°1½ du Bélial') dans l'univers de “Noon du soleil noir”, partie à laquelle nous vous convions. Ce sera en direct, ce sera probablement un rien expérimental, et, nous l'espérons, amusant ;-) https://www.belial.fr/l-l-kloetzer/noon-du-soleil-noir Illustration : Nicolas Fructus
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