J'aime le sport de petit niveau

On ne peut savoir qui on est que si l'on participe ou l'on assiste à des événements. Même le traumatisme nous identifie : je suis celui qui a eu telle tragédie dans sa vie, je suis celui qui a surmonté la tragédie, ou n'a pas surmonté la tragédie. Je ne peux savoir qui je suis que s'il y a des épreuves. Et s'il n'y a pas d'épreuves, je ne sais pas qui je suis.D'où le goût que l'on a de se mettre à l'épreuve, ou d'assister à d' épreuves pour en faire des mythes. Le sport a cette fonction de tragédie sociale, comme le théâtre grec.

Pendant très longtemps, et encore aujourd'hui, les êtres humains se sont hiérarchisés. On a beaucoup de mal à militer pour la démocratie. Si on laisse faire la "nature" - un mot que j'emploie entre guillemets -, si on se laisse aller à nos pulsions, on va très vite retrouver des processus archaïques de socialisation : la loi du plus fort.
Les aristocrates étaient donc les plus forts, parce que c'étaient les seuls qui savaient se battre. Ils ont pris leurs titres, ils ont pris les terres par la bagarre, et ensuite ils ont imposé, racketté le peuple en lui demandant de payer des impôts de façon à pouvoir payer une armée et une police, qui permettaient de les racketter encore plus. Il y a une histoire de racket qui fait qu'ils sont devenus forts.
Ils ont aussi fait la beauté de notre culture, et de beaucoup d'autres cultures, en construisant des châteaux, en finançant des musiciens. Grâce à eux, on a des œuvres d'art magnifiques. Les aristocrates ont embelli toute notre culture, et beaucoup de cultures par la violence, en imposant leur loi.
On comprend mieux pourquoi les aristocrates ont été les premiers à pratiquer des sports de combat. Il n'y a pas si longtemps, les gosses de riches, d'aristocrates, apprenaient à se battre en duel et apprenaient la boxe française. C'était un signe de bonne éducation. Une ou deux générations en arrière, on pensait qu'un homme ne traversait pas la vie sans avoir à connaître deux guerres et quatre ou cinq bagarres de rue.
Un homme, un vrai, devait savoir se battre. Il n'y a donc rien d'étonnant à ce que les aristocrates aient été les premiers à faire de la boxe. Et puis, très rapidement, ils ont trouvé certainement que c'était plus avantageux d'utiliser des pauvres gars, qui, eux, acceptaient de se matraquer pour gagner un peu de monnaie.

Le sport est une chance.
Le plaisir d'utiliser son corps, de se sentir bien, le plaisir de réaliser des performances, le plaisir de rencontrer, le plaisir aussi d'entrer en compétition. C'est pour cela que j'aime beaucoup le sport de petit niveau, parce que, lui, il socialise. Lui, il moralise. cela n'empêche pas la compétition, mais, après la compétition, même si on a perdu, on ira au restaurant ensemble. C'est-à-dire qu'on parlera, on établira une relation humaine, on fera une épopée de son combat, de sa course à pied : on en fera une production humaine.
Alors si c'est cela la morale du sport : d'accord, le vote.

« On a quitté la dimension relationnelle pour entrer dans le monde de la réussite financière. Le prix humain n’a plus grande importance. » (p. 17)

Si la performance se fait en un match, si la sélection our une grande école se fait en une matinée, je ne vois pas pourquoi on se priverait de cette aide chimique, que l'on paie cher, qui fausse tout, qui est un triche, mais qui est une réponse adaptée à l'ensemble de notre système culturel, scolaire et sportif compris.En revanche, si la sélection se fait, comme de plus en plus de pays le font, sur toute nue vie - "Tous les jours, au travail, tu devras montrer tes compétences dans chaque relation, tu devrais montrer tes compétences dans chaque match de football..." -, alors, ce n'est pas sur un jour, ce n'est pas sur un match, c'est tout le plaisir d'une vie.Si tel était le cas, nous aurions sans doute beaucoup moins recours à la drogue.