En quatre-vingts pages petit format, Corinne Atlan, traductrice de nombreux romans japonais en France, dont ceux de Haruki Murakami, dresse un portrait fidèle et sans concession du Japon d'aujourd'hui.
Fidèle et équilibré à coup sûr, car elle y a vécu près de vingt ans et ajoute à son propre regard des entretiens avec trois experts de références : le Français Pierre-François Souyri, historien spécialiste du japon, notamment médiéval, et les Japonais Chikako Mori, sociologue et professeur d'Université à Tokyo et l'écrivain quadragénaire Keiichiro Hirano.
L'approche n'est pas celle d'un guide touristique, mais s'apparente plutôt à un reportage sur l'évolution sociologique du pays, une sorte de diagnostic sur l'état de l'archipel en 2016.
Non, ce n'est pas un guide touristique : si c'était le cas, nous aurions de magnifiques photos d'un Japon idéal et rêvé, temples shinto de Kyoto, geishas aux kimonos superbes, un Mont Fuji majestueux et visible de très loin, et bon, allez, quelques tours et constructions modernes et impressionnantes à Tokyo ou Osaka...
Au lieu de cela, après quelques pages sur ces attraits bien connus, Corinne Atlan émet de nombreux bémols. D'abord, les beautés du Japon ancien se perdent. Le pays sait trop bien l'impermanence des choses, pour être le plus exposé du monde aux risques naturels. Les destructions et reconstructions sont régulières, mais dictées là comme ailleurs par des intérêts économiques, le patrimoine historique n'est pas préservé.
Il conserve jalousement ses traditions et spécificités qui ne sont pas que des clichés (sa gastronomie, classée par l'UNESCO, l'empereur, les sumos, la floraison des cerisiers, le shintoïsme, le zéro retard des trains...), mais tire aussi une formidable vitalité de son hyper-modernité qui s'étale dans les longues nuits de la tentaculaire Tokyo.
Mais contrairement à ce que pourrait suggérer son titre, ce livre fait une très large place aux faces sombres du Japon, désormais bien connues et confirmées ici : vieillissement de la population, quartiers chauds de Tokyo où des mineures se prostituent, discriminations envers les descendants d'immigrés, peuplades anciennes, pauvres et sinistrés de Fukushima, une démocratie viciée, des jeunes apathiques et drogués aux jeux vidéos s'enfermant dans des univers artificiels.
Il y a une montée des inquiétudes, face aux démonstrations de la Corée du Nord et surtout au regain de tensions diplomatiques avec la Chine.
Un ouvrage intéressant à lire d'une traite, qui est avant-tout une bonne synthèse des interrogations qui secouent le Japon d'aujourd'hui, qui reste un géant économique, et aspire à sortir, non sans risque, de sa condition de nain politique.
Comme synthèse, il me semble qu'il a les défauts de ses qualités : si nous avons là un bon tour d'horizon des problématiques prégnantes aujourd'hui dans ce pays, il n'est qu'une simple introduction pour d'autres lectures passionnantes en perspective : le patrimoine et la nature, la gastronomie, l'histoire médiévale et récente, l'économie, la culture et la littérature, les problèmes environnementaux... les sujets d'approfondissement sont légions.
Précis, clair, factuel, et intelligent dans sa forme, ce petit ouvrage donne envie d'en savoir plus sur ce pays fascinant, et c'est déjà beaucoup !
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Très bon tout petit livre sur l'esprit, la culture japonaise. Ce livre reprend l'histoire du Japon, ses religions, ses us et coutumes, ses tendances politiques, économiques pour apporter un éclairage général et très global du Japon.
J'ai trouvé dommage que la fin se termine de manière abrupte par une des interviews, j'aurai apprécié une conclusion.
Dans l'ensemble c'est un très bon livre, facile, rapide à lire, et intéressant.
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Petit livre qui donne envie d'y aller mais qui a une petite note si pessimiste que se pose la question. Yin et yan sans doute. L'éphémère du quotidien. Fragilité de l'instant, de la vie.
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La ville elle-même, dans son écrin de montagnes, a toujours une grâce indicible : les innombrables jardins, que l'on n'a jamais fini de découvrir, la féerie des mousses, des érables et des ginkgos à l'automne, le rose vaporeux des cerisiers au printemps, les avenues spacieuses le long desquelles on file à vélo, la rivière Kamo, surplombée de terrasses où il fait bon dîner les soirs d'été. Sur les berges se croisent familles, étudiants, amoureux, retraités. Les uns promènent leur chien, d'autres font du jogging, jouent de la musique, ou contemplent, assis sur un banc, le ballet des aigrettes et des buses, les canards au fil de l'eau, les collines bleues toutes proches. Le canal de Kiyamachi, bordé de saules et de cerisiers, traversé de petits ponts, offre un choix inépuisable de petits bars à saké, clubs de jazz, cafés, restaurants, branchés ou traditionnels, fréquentés par la jeunesse locale (car Kyoto est une ville étudiante, qui abrite entre autres la très réputée Université de Kyoto). Nicolas Bouvier avait raison : cette ville est bien "une des dix au monde où il vaut la peine d'avoir vécu".
Les Japonais sont respectueux de tous les cultes, quels qu'ils soient, et ont gardé un sens du rituel qui fait souvent défaut dans les pays développés. Plus que des religions, bouddhisme et shintoïsme sont des modes d'être inscrits de longue date dans les mentalités. Au moment de l'introduction du bouddhisme sur l'Archipel, au sixième siècle, via la Corée, les notions d'impermanence et d'interdépendance des phénomènes du vivant ont dû s'intégrer sans mal au fonds antérieur de croyances animistes et chamaniques qui considèrent l'être humain à égalité avec les autres formes de vie, inscrit comme elles dans le grand cycle de la nature. Pour se distinguer de cette nouvelle religion, les anciennes croyances présentes depuis de nombreux siècles sont regroupées un peu plus tard sous le nom de shinto ("voie des kami"). Loin, bien loin du monothéisme et de la notion d'un dieu créateur transcendant, l'âme japonaise est vouée à l'immanence d'un "moi" peu défini, qui se confond avec son environnement. La langue même en porte la marque : le sujet n'est pas obligatoire dans la phrase japonaise, d'où le "je" est souvent absent. Une scène peut être décrite comme existant par elle-même, sans aucun sujet : à partir du réel lui-même, non à partir d'un témoin central tout-puissant, comme dans les langues occidentales.
Les discriminations subies par les Aïnou ou les Okinawaïens sont comparables à celles qui frappent encore aujourd'hui dans tout le Japon les descendants d'immigrés coréens ou les minorités burakumin, survivance des parias de la société féodale. Il en existait deux catégories : les eta ("nombreuses souillures"), exerçant des métiers en lien avec la mort, autrement dit les tanneurs, équarisseurs, fossoyeurs, etc. et les hinin ("non-humains") c'est-à-dire les condamnés, les mendiants, les prostituées, gens du spectacle et autres saltimbanques. Officiellement aboli en 1871, en même temps que le système de classes de la société féodale, le statut de burakumin existe toujours dans l'inconscient collectif japonais : il arrive que des familles s'adressent à un détective privé pour vérifier que le fiancé de leur fille n'est pas d'origine burakumin. Ils seraient encore 2 à 3 millions au Japon, voués à grossir les rangs des yakuza ou des journaliers du misérable quartier de Sanya à Tokyo, et largement recrutés pour travailler sur le site de la centrale de Fukushima. Les hibakusha ("survivants de la bombe") de Hiroshima ou Nagasaki ont également longtemps été ostracisés et rejetés comme époux ou épouse potentiel. Après l'accident de 2011, les habitants de la préfecture de Fukushima ont subi des discriminations similaires.
« On dénombre des hot spots radioactifs dans plusieurs préfectures voisines de Fukushima: Ibaraki, Tochigi, Iwate, Gunma et Chiba» me précise Kolin Kobayashi, journaliste indépendant qui rassemble et diffuse des informations de sources sûres, afin de sortir Fukushima de ce qu’il nomme « un silence maudit ». « Certaines parties de Tokyo sont aussi contaminées, poursuit-il, notamment la baie : le césium s’accumule à l’embouchure des rivières. Et les mesures montrent régulièrement une présence anormale de césium dans l’eau du robinet de la capitale. »
Pourtant le gouvernement, pressé de démontrer avant les jeux olympiques de Tokyo en 2020 que la situation s’est normalisée, a récemment mis en place une campagne de retour dans certaines parties de la zone interdite. La norme de radioactivité admise pour les populations de la région a été relevée dès 2011 de 1 à 20 milli sieverts annuels, soit la dose courante pour les travailleurs des centrales en France. « Aujourd’hui, m’explique Cécile Asanuma-Brice, directrice-adjointe du bureau CNRS Asie du Nord et résidente permanent au Japon, le niveau pour les travailleurs de la centrale de Fukushima est de 100 milli sieverts en situation normale et 250 en situation d’urgence. Pour les civils, la norme en situation d’urgence a été remontée à 100 milli sieverts, engendrant une norme en situation courante à 20 milli sieverts, ce qui devrait permettre la réouverture quasi-totale de la zone d’évacuation, prévue pour 2017 ». Relever les taux permet de minimiser l’ampleur de la catastrophe – et le montant des indemnités versées aux victimes.
Au Japon on a tendance à privilégier la cohésion et à éviter les conflits pour préserver la paix de la communauté, plutôt que se considérer comme des individus pensant différemment les uns des autres et pouvant exprimer clairement leur avis, quitte à trouver des compromis en cas de désaccord. Le précepte "l'harmonie doit être respectée et toutes les discordes évitées" est connu comme le fondement même du sens des valeurs japonaises. On considère l'esprit d'entente comme la vertu suprême, tandis que le comportement égoïste est méprisé. Cela rend la vie en société agréable, c'est un fait. Mais les Japonais ont, comme tout le monde, des personnalités différentes, et il y a forcément des frictions. Si on veut les éviter à tout prix, oppression et exclusion deviennent nécessaires.
Avec Zéno Bianu & Cleo T.
Accompagnés de Valentin Mussou & Emilien Pottier
Son par Lenny Szpira
Lumière par Patrick Clitus
Faisant suite à la récente parution du Pierrot Solaire de Bianu aux éditions Gallimard, la compositrice et chanteuse Cleo T. parcourt l'oeuvre du poète dans un dialogue recomposé. Piano, violoncelle, basse et instruments électroniques posent le cadre de cette traversée astrale où les voix glissent du poème au chant à la recherche d'une langue de l'émotion. Les fusains de Magdalena Lamri seront les décors de cette traversée, images d'un monde sublimé à la frontière du rêve.
Ce concert préfigure la sortie d'un album annoncé pour début 2023.
À lire – Zéno Bianu, Pierrot solaire, coll. « Blanche », Gallimard, 2022 – haïkus, trad. du japonais, préfacé et annoté par Corinne Atlan et Zéno Bianu, coll. « Folio bilingue », Gallimard, 2022.
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