Avec quelle constance, quelle insensibilité malsaine « Los Angeles » broie les anges qu'elle glorifie, brûle leurs ailes sur l'autel de la renommée et après les avoir montés au pinacle, les enterre dans les affres de l'oubli !
En 1967, au moment de sa mort à 34 ans, Jayne Mansfield, dernière « movie star » de l'âge d'or du cinéma hollywoodien, était depuis longtemps déjà une « has been », tout juste bonne à alimenter la presse à scandale et à se produire dans des night-clubs de seconde zone où elle s'effeuillait devant un public de lourdauds en mal de sensations fortes.
La jolie «pin-up cheesecake » était devenue un de ces « monstres de foire » dont on se sert pour faire de la publicité, une « freak » dont les travers, le ridicule, le pathétique, la vie dissolue et la déchéance, maintenaient l'attention de médias médisants toujours à l'affût de ragots et de secrets d'alcôve.
Il faut dire qu'elle donnait volontiers dans la surenchère, agençant dans de grands cahiers, avec un « sens méticuleux du scandale et un mépris byronien pour sa réputation », tous les articles la concernant :
Relations amoureuses houleuses, abus d'alcool et de psychotropes, conduites indécentes, ennuis de justice, fréquentation de sectes satanistes…Sa fin tragique dans un accident de voiture une nuit du 29 juin 1967 est à l'image de ce que furent les dernières années de son existence, excessives, mouvementées, dramatiques.
Jayne Mansfield était pourtant un être beaucoup plus complexe et intrigant que ce personnage de bimbo qu'elle a endossé comme une seconde peau tout au long de sa vie.
Sous les perruques-poufs et les robes à paillettes, la blonde peroxydée affichait tout de même un QI de 163, parlait 5 langues, jouait du violon, possédait une « intrépidité de caractère, une impudeur joyeuse » propres au natures entières.
Mais « les époques de décadence n'aiment pas forcément les gens décadents et Hollywood redoute l'intelligence ». Les starlettes paient souvent de leur vie le prix de leur gloire éphémère…
Dans une forme d'hommage crépusculaire à l'ange déchu,
Simon Liberati retrace les dernières années de la « sex blond » transformée en attraction foraine.
Caméra au poing, comme un cinéaste underground, l'auteur de « L'
Hyper Justine » (Prix de Flore 2009), prend comme point de départ la collision brutale entre la Buick Electra bleu métallisé et le semi-remorque 18 roues, sur la route US 90.
Séquence serrée, zoom en contre-plongée, plein feu sur la voiture encastrée, amas de tôles et de chairs enchevêtrées dont la description crue et sauvage, d'une précision chirurgicale dans l'énumération des détails, projettent le lecteur, dès les premières lignes, dans un redoutable « scary movie » qui font de lui le spectateur-voyeur d'une scène de carnage.
Puis le champ s'élargit dans un travelling arrière, le geste s'affine, devient plus nuancé, le montage prend forme, l'auteur remonte le temps et fait jaillir en plans-séquences le portrait sans fard d'une reine en fin de règne : la passion amoureuse, destructrice, délétère avec Sam Brody - un avocat ayant abandonné pour elle femme, enfants et carrière - les membres, comme celui d'un ocelot, mouchetés d'hématomes sous les coups répétés de cet amant violent, les relations avec le fondateur de « L'Eglise de Satan », les représentations minables dans des endroits glauques, les expulsions des festivals, les problèmes de justice avec les ex-maris, avec les enfants…et puis le corps grossi et boudiné dans des robes trop moulantes, le visage ravagé par les psychotropes, la chair devenue flasque…la chute, la chute, la chute…
Simon Liberati n'a que faire de linéarité. Son tableau, fragmenté, éclaté, découpé en plans serrés, juxtaposé au drame de l'accident et comme en surimpression, révèle aussi la fin d'une époque, celui de l'âge d'or du cinéma hollywoodien dans lequel Jayne Mansfield joue le rôle de la victime expiatoire.
Alors faut-il être un peu voyeur pour apprécier une telle oeuvre ? Peut-être un peu…peut-être pas…car en écrivant sur « le dernier des diplodocus de la période Dumb Blonde du cinéma des années 50 », avec ce ton à la fois désabusé et poétique, cette nonchalance désenchantée, ce flegme faussement détaché,
Simon Liberati a su magnifiquement donner à cette actrice en mal de reconnaissance son plus beau rôle, le rôle tragique qu'elle rêvait d'interpréter lorsqu'elle déclamait pour elle-même des
sonnets de
Shakespeare sous le ciel violacé de Sunset Beach.
Avec la collection « ceci n'est pas un fait divers » où les auteurs écrivent de manière romancée sur les faits divers qui les ont marqués, les éditions Grasset offrent encore une fois un très beau livre.