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Emmanuelle Tardif (Traducteur)
EAN : 9782330173531
512 pages
Actes Sud (01/02/2023)
4.19/5   204 notes
Résumé :
« Nous étions deux piliers de guingois qui, dès lors qu'on les appuierait l'un contre l'autre, auraient plus de stabilité qu'un seul pilier à la verticale. Tout irait bien tant que nous resterions ensemble. »
Leo vit avec son petit ami Simon depuis dix ans. Lié par une enfance troublée, le couple vit parfaitement heureux. Jusqu'à ce que tout change : Simon rentre chez eux au milieu de la nuit et Leo ne le reconnaît plus, ni dans ses gestes, ni dans ses mots. ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (54) Voir plus Ajouter une critique
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La psychose découpée finement au scalpel…

Quel point commun partagent René Magritte, Luc Kaisin, Aline Dieudonné, Jacques Brel, Philippe Gelück, Arno, François Damiens, Cécile de France, Marguerite Yourcenar, Henri Michaux, Amélie Nothomb, Delvoye Wim (ah ce dernier je l'aime beaucoup) et l'auteur de cet incroyable livre, Lize Spit ?
Oui, iIs sont belges. Ma petite liste est le simple reflet des premiers noms qui me viennent en tête, elle est ainsi vraiment loin d'être exhaustive, mais elle me fait prendre conscience à quel point je ne cesse de m'émerveiller de la scène artistique belge que je trouve particulièrement foisonnante, audacieuse, fraiche, créative. Décalée aussi, souvent ne se prenant pas au sérieux. Réussissant à mêler le burlesque au tragique à coup d'images étonnantes. Oui, les artistes belges ont un petit quelque chose en plus. Une pétulance je dirais.

C'est vraiment le cas avec ce roman totalement addictif, « Je ne suis pas là », plus abouti que le roman qui avait fait connaitre Lize Spit, le fameux « Débâcle » paru en 2018 aux éditions Actes Sud dont la couverture déjà donnait le ton de son contenu particulièrement oppressant et glauque puisqu'il donnait à voir une petite fille fumant nonchalamment une cigarette. Si j'avais été marquée par ce récit devenu désormais inoubliable, j'ai lu son dernier roman littéralement en apnée, épatée par l'écriture de la jeune femme et sa façon très cinématographique d'y orchestrer le suspense.

Léonie, surnommée Léo, vit avec son petit ami Simon depuis dix ans. Leur couple est totalement fusionnel, tous deux fortement liés par une blessure commune en lien avec le décès prématuré de leur mère respective et une enfance troublée. le couple vit parfaitement heureux, comme peuvent l'être deux trentenaires qui réussissent à inventer leur propre monde régi par des règles et des rituels uniques, base d'une relation à nul autre pareil. Un amour tissé à coup de bouloches dans le nombril, de lavages de dos mutuels, de cave à fromage derrière les oreilles, de fous rires, d'intimité totalement dévoilée. Ils deviennent tout l'un pour l'autre, amants, amis, parents.

« Il était bien plus que mon havre dans la tempête, il était ces milliers de ridules formées dans le sable par la marée ou les courants et qui permettaient de marcher sur la plage pendant des kilomètres sans se mouiller les pieds une seule fois ».

Jusqu'à ce que tout change : Simon rentre chez eux au milieu de la nuit et Leo ne le reconnaît plus, ni dans ses gestes, ni dans ses mots, totalement décousus et mégalomanes. Lentement, l'existence méticuleusement construite de Leo s'effondre, jusqu'à mettre sa vie en danger...Lize Spit décortique au scalpel la folie qui s'invite dans ce couple, elle pèle couche après couche l'oignon écoeurant de la psychose qui gangrène le cerveau de Simon, qui ensevelit le couple, qui détruit à petit feu Léo. La jeune femme, face à la paranoïa délirante de son compagnon, voire parfois sa violence la plus abjecte, répond avec beaucoup de dévotion, qui force l'admiration, et parfois un peu de trahison pour tenter de tenir le coup. En se remettant en cause constamment. C'est à la fois terriblement touchant et très haletant, impossible de lâcher le livre tant nous avons peur, craignant le pire au côté de Léo duquel côté nous nous plaçons tout au long du livre.

« Ce n'était pas seulement la maladie qui le rendait malade, mais aussi mon regard sur lui. Si je l'avais perdu, je m'étais perdue tout autant ».

La structure du roman, l'écriture cinématographique et les images décalées, très modernes, participent à ce côté particulièrement haletant. Là où un autre auteur aurait narré cette histoire de folie de façon classique avec beaucoup de pathos, Spit ose. Elle ose l'humour, ose l'horreur, ose les propos crus sans jamais franchir la frontière de la vulgarité, ose la prise de recul via des plans de caméra, des travelings, des zooms, et des arrêts sur image. Sans jugement, jamais. Elle réussit avec beaucoup de talent et de subtilité à faire éclore des images incongrues dans le suspense intenable qui surprennent, étonnent, font sourire tout en disséquant avec application son objet d'étude. C'est fascinant et vertigineux. Je suis sincèrement impressionnée.

Prenons la structure du livre tout d'abord. Nous alternons, de chapitre en chapitre, entre le présent et la passé. le présent, c'est onze minutes à pédaler pour éviter le pire après que la meilleure amie de Léo, Lotte, lui a envoyé un appel téléphonique terrifiant. Et durant ces onze minutes interminables, le passé ressurgit, un passé à la fois proche à savoir les dix derniers mois de cette vie commune durant lesquels la folie, dont l'engrenage implacable est décortiqué, est devenue un personnage à part entière dans ce couple, mais aussi un passé plus lointain, avant ces dix mois, où nous découvrons leurs moments fondateurs de complicité et d'amour pur. Nous comprenons ainsi, sur le vélo de Léo, avec laquelle nous pédalons à perdre haleine comment ces passés plus ou moins lointains projettent leur lumière sur l'effroi actuel de Léo, son comportement tiraillé entre dévotion, amour et horreur.

Prenons l'écriture cinématographique ensuite. Il faut préciser que Léo a fait des études en scénarisation, elle sait écrire, elle écrit d'ailleurs très bien mais a quelque peu délaissé cette voie. Elle travaille comme vendeuse dans une boutique de vêtements de maternité haut de gamme où elle a rencontré son amie Lotte. de ses études de cinéma lui sont restés quelques réflexes dans sa façon de voir et de relater les choses. Ainsi, dans ses pensées, fait-elle allusion par moment à certaines techniques de mise en valeur de la scène qui se joue ou des personnages que nous voyons littéralement avec elle. Cela donne une dimension supplémentaire au récit, à la fois une mise à distance mais en même temps une véritable immersion en décalant notre point de vue, en vivant les scènes autrement.

Enfin, parlons des images, des métaphores, du ton employé par Lize Spit. Il y a mille et une images surprenantes qui pétillent, explosent parfois en un blop étourdissant offrant de belles respirations dans cette plongée en apnée dans la folie. C'est rafraichissant, touchant, poétique et ce sont des images bien marquantes car surprenantes, novatrices, inattendues.

« Plus tard, pour éviter qu'il ne prenne une double dose, j'ai acheté un pilulier à la pharmacie, une sorte de longue boite à sept tiroirs divisés en quatre compartiments, que je remplissais en début de semaine avec les cachets adéquats. Lorsqu'elle était posée debout sur le plan de travail, elle ressemblait à un minuscule immeuble de sept étages avec, derrière les fenêtres, des petites bouilles blafardes ».

Un roman vertigineux dans lequel Lize Spit nous offre une écriture audacieuse et pétillante, plus aboutie que le déjà incroyable Débâcle, sur un thème tout aussi sombre, celui de la folie. Elle en décortique finement l'engrenage nous entrainant dans un suspense intenable jusqu'à la toute fin. Un gros coup de coeur !


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To spit en anglais : cracher
Lize Spit nous crache à la figure, tout comme les crachats pouvaient atteindre le petit Simon, huit ans, victime de harcèlement scolaire à cause de ses oreilles décollées.
Spit, cela sonne comme le sifflement du serpent qui vient susurrer à nos oreilles avant de nous infliger son venin.
Le venin dont il s'agit ici est insidieux, celui de la maladie mentale, qui petit à petit, fait son nid, jusqu'à un beau jour où nous découvrons effarés, sous le masque, un autre visage que celui de l'être que nous avons aimé des années durant.
Léo, pour Léonie, a suivi des études de scénariste, mais son absence de contacts ne lui a pas permis de faire carrière dans le cinéma. Alors, en attendant des jours meilleurs, elle joue à la vendeuse dans une boutique de vêtements pour femmes enceintes. La présence de Lotte sa collègue, devenue sa meilleure amie lui facilite la tâche.
Léonie pas encore trentenaire se satisfait de sa vie de couple auprès de Simon, jeune graphiste bourré de talent, une immense complicité est née entre eux au fil des ans, après avoir mutuellement pansé leurs plaies, leurs deux mamans étant toutes deux décédées prématurément.
L'avenir semblait radieux pour Léo et Simon, il devait pouvoir se conjuguer au futur pour toujours. Tout semblait possible jusqu'à un certain point de basculement…
Un soir, Simon rentre trop tard, après avoir bu et en arborant un tatouage à l'arrière de ses oreilles anciennement décollées dans un curieux état d'euphorie et de mégalomanie que Léo ne lui a jamais connu auparavant.
Petit à petit, Simon bascule dans la paranoïa, entrainant inexorablement Léo dans sa chute dévastatrice.
Lize Spit décortique brillamment la maladie mentale, la manière dont elle atteint le couple, dont l'autre regarde le mirage de l'ancienne version de son âme soeur se ratatiner peu à peu au sol, comme une veille mue. Sans juger, elle expose les difficultés pour l'entourage de comprendre réellement ce qui se passe malgré sa bonne volonté ou bienveillance. Les liens se distendent entre Léo et Lotte, le fossé se creuse petit à petit, les incompréhensions se font jour…
J'ai eu peur de m'ennuyer au long de ces 510 pages, craignant les redondances, de me cogner dans la boite crânienne de Léo. Mais non, le rythme est haletant, soutenu, nous réalisons aux côtés de Léo une course contre la montre à vélo, dont l'objet ne nous est révélé que petit à petit dans un compte à rebours oppressant qui ne vient se terminer qu'à la toute fin du livre.
L'analyse psychologique des personnages est fine, la structure du livre époustouflante de maitrise, avec un grand art dans la mise en scène, provoquant des flashs visuels que ne suis près d'oublier. L'humour, le cynisme permettent au lecteur un sourire, de reprendre son souffle entre deux passages lus en apnée.
Je n'avais pas lu Débâcle, la couverture m'ayant rebutée, me voilà prête maintenant à sauter le pas afin de poursuivre ma découverte de cette auteure talentueuse.
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le décor est planté dès les toutes premières pages, et Lize Spit le compare au scénario d'un film : “ Donnez aux spectateurs quelques informations d'avance sur le personnage auquel vous souhaitez qu'ils s'identifient et ils seront tout ouïe, fébriles, dévorés par l'envie de crier des avertissements à son intention.”

le personnage ici est une jeune femme, Léo, elle habite à Bruxelles, vit une relation fusionnelle avec son compagnon Simon. Elle est au travail, son téléphone est loin d'elle, il n'arrête pas de sonner, elle ne l'entend pas, et lorsqu'à la fin elle le prend en mains, nous comprenons qu'elle n'a que onze minutes pour agir, qu'une catastrophe se produit peut-être, mais nous ignorons laquelle…
Léo prend son vélo et fonce à travers Bruxelles. Il faudra plus de cinq cent pages au lecteur pour parcourir ce trajet avec elle.

Léo vit avec Simon une histoire d'amour intense, en vase clos, lorsqu'une nuit tout bascule, Simon n'est plus le même, et de jour en jour, son comportement vire au cauchemar…

Léo nous raconte cela au fil des chapitres, certains égrènent le temps qui lui reste avant d'arriver à destination (« encore neuf minutes et trente secondes, boutique centre-ville », « encore neuf minutes, boutique centre-ville », …), ceux-ci sont entrecoupés de chapitres décrivant les événements antérieurs.
Cette construction fait la grande force du roman, nous suivons avec angoisse la course de Léo, il y a un vrai suspense et beaucoup de souffle. C'est oppressant !

Lise Spit a le souci du détail, elle nous décrit le magasin où Léo travaille avec minutie, y apportant même une touche d'humour, on peut suivre le trajet de Léo sur une carte, Bruxelles n'est pas épargnée quand elle décrit la saleté des rues du centre,
« on pouvait rejoindre n'importe quel quartier de Bruxelles en suivant un chemin de chewing-gums crachés par terre. »,
l'insécurité et les insultes faites aux femmes, et on sent qu'elle s'est bien documentée sur les hôpitaux
« La chambre correspondait exactement à ce que j'en attendais, c'était une variation des différents asiles psychiatriques que j'avais vus dans les films : surfaces lisses, pas de télévision, presque pas de jour, murs pastels », sur les différents traitements et médicaments, sur les rechutes.

J'ai ressenti de l'empathie pour Léo, elle se sent impuissante mais tente à travers tout de garder espoir. le souvenir de la belle histoire qu'elle a vécue avec Simon L aide à rester à ses côtés. Tout deux ont connu des traumatismes dans le passé et ensemble, les ont surmontés.

Lize Spit a souvent des comparaisons étonnantes :
« Son nez faisait tellement saillie qu'elle aurait pu fumer sous la douche sans aucun problème. »
« Il se déplaçait à travers l'appartement comme un état de coquille dans le blanc d'oeuf : dès que j'essayais de poser mon doigt dessus, il trouvait une façon de me glisser entre les doigts. »
J'ai peu apprécié certaines comparaisons peu ragoûtantes et assez crues.

Y aurait-il une spécificité propres à certaines autrices belges qu'elles soient de langue néerlandaise comme Lize Spit (lisez aussi son roman antérieur, Débacle) ou de langue française comme Aline Dieudonné (La vraie vie) ou Isabelle Wéry (Ponney flottant) ?
Toutes les trois nous livrent des oeuvres originales fortes qui ont le don de me secouer !
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Dix mois difficiles, éprouvants, violents, bouleversants, racontés par Léo, la narratrice, sur deux plans temporels : onze minutes qui s'égrènent et semblent s'étirer indéfiniment, venant sporadiquement entretenir le suspense généré par l'inéluctable, et le récit des événements qui se déroulent du 5 mai 2018 au 22 février 2019. Très habilement, l'autrice, Lize Spit, nous décrit d'ailleurs brièvement les mécanismes du suspense de manière théorique en résumant un cours de scénario qu'elle a suivi. Ce vendredi 22 février 2019, dans la première de ces onze minutes, on ne sait encore rien de Léo sinon qu'elle se sent moins seule depuis qu'elle travaille dans une chaîne de vêtements pour femmes enceintes. C'est son premier jour chez ce nouvel employeur. Son téléphone sonne, mais il est loin d'elle et elle ne l'entend pas. Rétrospectivement, elle se regarde agir ce matin-là comme si elle tenait une caméra et détaille les plans au bénéfice du lecteur. Après ces deux pages et demie déjà très prenantes, Léo va nous raconter ce qu'il s'est passé… Simon, son compagnon depuis 10 ans, rentre au petit matin sans l'avoir prévenue comme ils en ont convenu, et ce n'était encore jamais arrivé depuis qu'ils vivent ensemble. Il lui montre un tatouage tout frais : derrière son oreille, une ligne pointillée, « sorte de guide pour les petits ciseaux tatoués à côté »… Complexé, Simon a subi une chirurgie esthétique parce qu'il avait les oreilles très décollées, ce qui lui avait valu un sévère harcèlement à l'école et même plus tard. Il est surexcité, fébrile, énervé, suspicieux, bref, il n'est plus lui-même.
***
Dans Je ne suis pas là, Léo éprouve fréquemment le besoin de remonter dans le passé, quand tous les deux avaient une vie « normale » avec ses joies, ses peines, ses coups durs et ses bons moments, leurs divergences et leurs nombreux points communs (mort des mères et absence des pères, par exemple). Plus le temps passe, plus les bizarreries de Simon s'intensifient, plus elles inquiètent Léo et déteignent sur les relations de la jeune femme avec ses amis. Simon est un graphiste talentueux qui travaille pour Koen, le compagnon de Lotte, la meilleure amie de Léo. Leur harmonieuse amitié se délite à cause du comportement de Simon, qui vire à la paranoïa : il soupçonne Koen et ses anciens collègues de lui vouloir du mal. Il faudra qu'il perde complètement pied pour accepter enfin de consulter, et admettre que quelque chose ne va pas chez lui… Mais le diagnostic posé, la situation est loin de s'améliorer... La délicatesse de Léo, son amour pour Simon, son dévouement, son empathie finissent par lui pourrir la vie : elle n'agit plus pour elle, mais en fonction de ce qu'il va penser, de ses possibles réactions, tout entière tournée vers ce nouveau Simon qu'elle ne connaît ni ne comprend et qui est venu phagocyter l'homme qu'elle aimait. La maladie prend toute la place chez lui, c'est logique, mais elle aussi se laisse consumer. Elle réussit à ne pas sombrer grâce à un coup de chance qui lui permet de réaliser un de ses rêves les plus chers, mais là encore, rien ne sera simple. Au cours de ma lecture, je me suis dit deux fois que le récit allait devenir long, qu'on finirait par tourner en rond… mais je me suis passionnée pour ce récit difficile et dérangeant, cette plongée dans la maladie mentale qui réussit à être à la fois un documentaire sans concession et un récit lucide absolument passionnant, sans temps morts ni redites, avec une solide dose d'autodérision, jusqu'à la dernière ligne. Chapeau bas !
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Léo (pour Léonie) et Simon, la trentaine, sont en couple depuis dix ans. Un couple fusionnel, d'une solidité sans failles, qui a pris racine, paradoxalement, dans leurs enfances/adolescences lézardées par le décès prématuré de leurs mères respectives. « Nous étions deux piliers de guingois qui, dès lors qu'on les appuierait l'un contre l'autre, auraient plus de stabilité qu'un seul pilier à la verticale. Tout irait bien tant que nous resterions ensemble ». Chacun est l'univers de l'autre, et le monde extérieur n'a pas grand-chose à y faire.
« Tout irait bien tant que nous resterions ensemble »...
Et donc, quand Simon, ou son cerveau, se fait la malle, rien ne va plus. La descente aux enfers commence une nuit de mai 2018, quand Simon rentre d'une soirée dans un état d'excitation excessive, arborant un tatouage bizarre derrière l'oreille. Au fil des jours et des semaines, il sombre dans une psychose et une paranoïa délirantes qui vont peu à peu détruire le cocon qu'avec Léo ils avaient tissé si patiemment. La maladie met en danger non seulement Simon, de plus en plus isolé et inatteignable dans sa bulle pathologique, mais aussi Léo, qui, au bout de la patience et de la compréhension, s'efforce de cacher l'état de Simon à leur entourage, mais qui s'épuise et s'oublie dans cette spirale infernale.
Au fil de ces 500 pages, on s'enfonce de plus en plus loin dans le calvaire de Simon et Léo, de plus en plus profondément dans les strates de la folie et de la psychose. Lize Spit décrit avec une finesse psychologique remarquable la paranoïa de plus en plus prégnante de Simon, ses délires, sa violence, son autodestruction, et l'attitude de Léo, protectrice et compatissante mais intérieurement rongée par le désespoir et la solitude. Au bord de la rupture mentale, elle finit par comprendre qu'elle doit trouver un exutoire, mais ce à quoi elle se raccroche implique de trahir Simon, d'une certaine façon, et donc un énorme dilemme moral et un sentiment de culpabilité.
Comme dans l'impressionnant « Débâcle », Lize Spit entremêle plusieurs fils narratifs : celui d'un compte à rebours de onze minutes, au cours duquel on suit Léo qui traverse Bruxelles à vélo à toute vitesse pour empêcher une catastrophe. Et celui qui s'étale sur dix mois à partir de mai 2018, lorsque Simon commence à ne plus « être là », jusqu'à la potentielle catastrophe en question. S'y ajoutent quelques flash-back sur leur enfance et leur rencontre.
Comme dans « Débâcle », l'écriture de Lize Spit est très visuelle et cinématographique, méticuleuse et sensorielle, parsemée de métaphores d'autant plus marquantes qu'elles sont décalées ou inattendues. Il y a de l'humour (parfois noir), de l'empathie, un sens aigu de l'observation. C'est parfois cru et totalement impudique, mais jamais vulgaire ou voyeur. Cela pose la question de la folie qui transforme le malade, mais aussi tous ceux qui l'entourent et qui tentent de s'adapter à lui. L'amour peut-il résister quand l'un est « absent » ? Notre identité se réduit-elle à notre cerveau ? Est-on encore soi-même quand on sombre dans la folie ? Est-ce réversible ? Peut-on encore être aimé de la même façon par les mêmes personnes ?
Autant de questions (liste non exhaustive) posées par ce roman qui vous tient jusqu'à sa dernière ligne. C'est poignant, oppressant, totalement maîtrisé, impressionnant.

#LisezVousLeBelge
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critiques presse (3)
LeDevoir
13 mars 2023
Avec son deuxième roman, «Je ne suis pas là», l’autrice belge confirme un immense don d’analyse et d’empathie.
Lire la critique sur le site : LeDevoir
LeMonde
03 mars 2023
Léo et Simon rejoignent ainsi la famille des personnages inoubliables que la littérature transforme en de bouleversants ­archétypes. Quant à Lize Spit, elle nous donne ici l’un des récits les plus déchirants qui soit des dérives et du naufrage de la maladie mentale.
Lire la critique sur le site : LeMonde
LeSoir
10 février 2023
« Je ne suis pas là », le deuxième roman de l’autrice belge, est autant un tour de force que « Débâcle ». Maîtrise du temps, du rythme, des mots, réalisme parfois cru, ironie souvent joyeuse. On est impressionné.
Lire la critique sur le site : LeSoir
Citations et extraits (67) Voir plus Ajouter une citation
Pour chaque compliment reçu, je devais d'abord accepter une remarque négative - la critique est l'épingle qui sert à accrocher les décorations.
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Simon écoutait toujours mes critiques, me donnait raison à chaque fois, j'étais sa Loulou, il m'aimait. Tout ce qu'il bâtissait, il le bâtissait sur notre sol commun, et moi je détenais le permis de démolir.
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Il était bien plus que mon havre dans la tempête, il était ces milliers de ridules formées dans le sable par la marée ou les courants et qui permettaient de marcher sur la plage pendant des kilomètres sans se mouiller les pieds une seule fois.
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Si on voulait vivre dans cette ville, d'après moi, il ne fallait pas s'installer en périphérie, c'était aussi absurde que d'apprécier la croûte comme étant le meilleur de la tarte aux cerises.
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Eux, ils faisaient partie des étangs, des étendues d’eau calme que la tempête parvenait tout au plus à rider, alors que nous, on entrait dans la catégorie des océans, soumis au mouvement continu des marées, avec leurs vagues qui s’écrasaient sur la rive puis battaient en retraite, avec un vent qui soufflait parfois du large, parfois des terres, qui se montrait violent à ses heures, écumant de rage. En tant que mer, on pouvait encore regarder de haut certains étangs (trop transparents, souvent artificiels, ou protégés de la moindre brise par de grands arbres), mais avec Lotte et Koen, ça ne marchait pas : leur constance n’avait certainement rien de forcé.
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