Stéphane Malandrin est un conteur.
Quand il s'empare d'un sujet, même complexe, même grave, comme celui d'un fils écrasé par le génie de son père, comme celui d'un homme que sa mémoire empêche de vivre au présent, comme celui d'un créateur aux prises avec ses créatures, comme celui d'un musicien qui se se déteste d' être un interprète et non un compositeur, quand il rencontre un de ces sujets-là, d'abord, avec gourmandise,
Stéphane Malandrin n'en choisit pas un, il les prend tous, il les tisse ensemble avec la délectation d'un lissier à son métier, et plutôt que l'ennuyeuse route toute droite, il choisit, comme le petit Chaperon rouge, les petits chemins de traverse, les sentiers qui sentent la noisette et où ça grouille de papillons...
Quitte à différer le plus longtemps possible l'arrivée du loup.
Si vous n'acceptez pas cette royale fantaisie, cette divine gourmandise qui va de pair avec celle des mots, celle des parenthèses, celles des " listes" chères à
Rabelais et au vieux Mátyus de ce récit , si vous ne vous sentez pas l'estomac pour cette boulimie baroque, cette faim encyclopédique des domaines inexplorés -de celui des hongroyeurs à celui de l'oeuvre de Ludwig van- , si un labyrinthe, pour vous, c'est un défi à trouver la sortie au plus vite et pas comme chez
Borgès (ou chez Malandrin), un art de se perdre pour voir l'envers des choses, alors retournez vite à des lectures plus disciplinées, plus rigoureuses et moins folles.
Ne lisez pas
Je suis le fils de Beethoven.
Pour moi, j'attendais cette profusion, cette générosité exigeante- j'ai adoré
le mangeur de livres, son premier roman-. Je me doutais qu'il fallait être dans des dispositions particulières d'éveil, d'appétence, de lâcher prise pour apprécier ce deuxième livre. ..j'ai donc attendu un peu avant de me hisser à la hauteur du cadeau.
Je suis le fils de Beethoven est un cadeau!
Après l'emboîtement compliqué d'une filiation qui remonte à un unijambiste au visage bleu et à la barbe tousse, soldat du tsar
Pierre le Grand, on entre dans le vif du sujet: la naissance d'Italo Zadouroff, fruit des amours ancillaires et néanmoins passionnées de Roszá Zadouroff, servante au château de Martonvásar, et du célèbre compositeur autrichien -d'ascendance belge, note avec malice
Stéphane Malandrin qui a fait de la Belgique sa patrie d'adoption.
Pauvre Italo, deuxième du nom, bâtard obscur et sans talent, né de père inconnu trop connu, bientôt orphelin de mère et rempli d'un désir de vengeance qui le gonfle comme une outre, lui qui n 'est pourtant qu'un vaste trou où s'engouffrent les souvenirs qui lui dévorent l'esprit et le corps, l'habitant d'une mort vorace, lui dérobant jusqu'à la réalité du monde...
Cocasse, imaginatif, mais aussi profond et bouleversant, oui,
Je suis le fils de Beethoven est un cadeau.
Une surprise aussi, comme cette " mort du père " si longtemps imaginée, jouée, projetée, cette "mort -du -pere- délivrance- du- fils" que n'eût pas désapprouvée, plus tard, un autre viennois appelé Sigmund, et qui devient un des moments les plus tendres, les plus touchants du récit. Un instant de grâce comme seule la musique peut en donner...
Si vous avez aimé
le Mangeur de Livres, vous retrouverez la faconde de l'auteur, cette jubilation à raconter...et le fameux Codex lisboète dans une nouvelle péripétie de sa dévoration. Mais ce deuxième livre, plus complexe, moins gratuitement ludique, dit aussi beaucoup de choses à l'oreille du lecteur captivé mais attentif....
Sur les fils et les pères.
Sur la musique qui console et qui fait vivre.
Sur les minces cloisons entre réel et fiction.
Sur la mémoire qui ronge et tue le vivant.
Sur le champ des possibles, celui des souvenirs non vécus qui sont la manne de toutes les créations, musicales, poétiques et romanesques..
Une belle et forte lecture.