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EAN : 9782707199706
280 pages
La Découverte (02/05/2018)

Note moyenne : /5 (sur 0 notes)
Résumé :
Dès l’après-Seconde Guerre mondiale, l’accès au travail rémunéré a été au cœur des revendications des mouvements féministes occidentaux. En parallèle, cette question de l’activité laborieuse a constitué un champ privilégié pour les travaux de recherche pionniers sur les femmes. En ce début de XXIe siècle, marqué par une « crise » économique de long terme, une augmentation de la précarisation et un chômage endémique liés aux politiques néolibérales, l’analyse de la p... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
Penser l'émancipation, construire l'égalité réelle entre les femmes et les hommes

Dans son introduction, Margaret Maruani, parle du travail et des études féministes, de la précarité des savoirs sur le genre, du genre comme « un outil indispensable à l'intelligence du monde social et non une variable facultative », des vertus heuristiques d'une lecture sexuée du monde social, des inégalités entre hommes et femmes, du chômage et de l'emploi,« Au fond , nous défendons deux idées différentes mais indissociables : la pertinence durable du concept de genre pour l'analyse du monde du travail, d'une part ; la centralité du travail dans les sciences humaines et sociales, et en particulier dans les études de genre, d'autres part », de la mosaïque de thèmes traités et des passerelles entre domaines souvent dissociés, de logiques « postcoloniales » et d'« intersectionnalité », des migrantes qui ne sont pas que des femmes de…

Dans le prologue, Angela Davis, aborde, entre autres, le travail des femmes, la racialisation du travail genré, le rôle des travailleuses domestiques noires dans l'histoire et dans les luttes, « le genre est toujours aussi une question de classe et de race », la dimension multiraciale et multinationale des travailleuses domestiques, le travail domestique qui « rend toutes les autres formes de travail possibles » (Certaines analyses réduisent la « sous-traitance » du travail domestique à un problème entre les seules femmes, oubliant les hommes et les rapports sociaux de sexe. J'ajoute donc, qui rend possible le travail salarié des hommes, qui se sont auto-dispensés de leur part de ce travail), l'intersectionnalité, la nécessité à « traiter les questions telles que la race, la classe, le genre, la nationalité et la sexualité ensemble », l'enferment carcéral massif et sa signification, le travail dit productif et celui dit reproductif, la reconnaissance du racisme et du colonialisme dans les évolutions socio-économiques actuelles…

Les mots et les notions sont utilisées dans des sens divers, quelques fois contradictoires. Christelle Avril rappelle « le caractère polysémique et imprécis de la notion » de care. Cette remarque vaut pour les multiples usages de mots ou de notions, qu'il conviendrait de préciser, d'historiciser, de contextualiser. Il y a donc parfois un certain flou dans les termes qui recouvre ou non des divergences d'appréciation. Je ne traiterai pas cela dans cette note. J'utilise pour ma part, le plus souvent, les notions de rapport sociaux de sexe (système de genre), d'imbrication des rapports sociaux (intersectionnalité), de consubstantialité. L'adjonction, entre parenthèses d'autres termes largement utilisés, indique que pour moi, il convient de dépasser les problèmes de vocabulaire, pour se concentrer sur les apports et les limites des différentes analyses. J'indique aussi que je regrette l'abandon du mot « sexe » dont la fonction ne peut être dissoute dans le « genre », la place prise par les « identités » aux définitions jamais explicitées ou une certaine confusion entre travail et emploi (voir par exemple, Patrick Rozenblatt : Razzia sur le travail (Critique sur l'invalorisation du travail au 21e siècle).
Je ne rends compte ici que de certains éléments et analyses. Il s'agit d'un choix subjectif impliquant, j'en suis conscient, des réductions et des mises à l'écart de thématiques riches.

Qu'en est-il du maintien d'inégalités, de la non-mixité des formations et des métiers, de l'invisibilité des femmes à temps et salaire partiel – chômeuses à temps réduit en somme -, des logiques non réductibles à une seule dimension, « Les logiques de genre n'ont pas neutralisé les logiques de classe sociales, bien au contraire, elles les alimentent et les renforcent » (il en est de même pour les autres logiques, à commencer par les procès de racisation), du « féminisme de marché », des inégalités plus invisibles et donc plus complexes à analyser ?

Dans la première partie, « Inflexibles inégalités ? », sont abordées, entre autres, ce que disent et taisent les statistiques, la construction fortement genrée des carrières, la résorption de certaines inégalités mais pas de manière identique sur « l'ensemble du spectre social », le « substrat idéologique commun et la dimension transnationale » du néolibéralisme appliqué aux femmes, le cadrage élitiste de la notion et de la gestion de « diversité », la re-naturalisation de la « catégorie femme », l'imbrication des rapports sociaux de pouvoir, le mythe de « l'égalité-déjà-là », l'indifférence des privilégié·eset la défense de leur privilèges, l'illusion de la méritocratie, les inégalités sexuées produites par le marché, les questions autour du Droit, les régimes où les femmes mariées n'étaient pas des individu·es, ceux où les femmes étaient considérées comme incapables à exercer des droits civils, l'union d'un homme et d'une femme (mariage) et sa logique « étrangère » aux droits des êtres humains, le travail des femmes existant et sa négation (« les femmes ont toujours travaillé »), les processus d'individuation, l'arbitraire patronal, « l'employeur restait seul juge des compétences de ses salarié·es c'est-à-dire du caractère égal du travail », les courants familialistes et natalistes et les conceptions « antinomique de l'égalité et de la liberté des femmes », le droit fiscal (« l'individuation suppose des droits c'est-à-dire une imposition séparée »), les notions de « non-discrimination » et d'« égalité de traitement », la notion d'intersectionalité (ses apports et ses critiques,« raisonner en terme de cartographie revient à figer les catégories, à les naturaliser »), l'importance de raisonner en terme « rapports sociaux » et non de catégories (qui par ailleurs ne sont ni fixes ni préexistantes aux contextes socioculturel et politique qui les produisent), la nouvelle division internationale du travail et ses dimension genrée et « raciale/ethnique », les migrations internes, le care, les « concepts de précarisation, de travail informel et de vulnérabilité sont centraux », les dimensions subjectives et sexuelles de certaines activités, l'imbrication et la complexité des rapports de domination, les diplômes non reconnus et la déqualification des migrantes, la place des services d'accueil de la petite enfance, les formes concrètes d'existence, le continuumde positions hiérarchiques, les taux d'activité et la qualité des emplois, les sélectivités des politiques publiques d'accès aux droits, les travaux et les compétences perçues et/ou considérées comme relevant d'une « vocation naturelle », le travail salarié et la « normalité sociale », la rare socialisation des travaux relevant du care…

Des analyses détaillées abordent la situation au Brésil, aux Usa ou en Espagne par exemple.

La seconde partie de l'ouvrage est consacrée aux « Nouveaux objets, nouvelles frontières ». « Avec l'intensification de la mondialisation néolibérale depuis la fin du XXe siècle, les modalités d'organisation du travail et le rapport au travail ont changé et produisent des effets singuliers sur les rapports de genre ». Les autrices et auteurs analysent, entre autres, la marchandisation des activités domestiques, le travail dans les villes globales et dans les multinationales et leurs chaines de sous-traitance, la nécessaire prise en compte dans l'imbrication des rapports de la nationalité (dont l'origine géographique et citoyenne) ou des effets de la colonisation, l'absence des femmes dans « les sommets des mondes des arts occupés par les génies mâles blancs », la résistance aux actes créateurs des femmes, les figures féminines réduites à être des objets d'amour ou de désir pour les hommes, la restructuration des espaces pénitenciers, la « managérisation » de l'activité, la subordination du travail « des professionnels aux seuls objectifs de performance économique et financière des organisations pour lesquels ils travaillent », la brutalité et le caractère idéologique des restructurations, l'invisibilisation des effets genrés des politiques d'austérité, les études en Chine sur les effets de la « transition », les travaux d'aiguilles à l'école des filles dans les territoires algériens sous domination coloniale française, le travail des élèves et ses effets sociaux, le sexe des arts, les créateurs et les créatrices, la variété des pratiques et la présence bien réelle des femmes créatrices, l'artiste comme être sexué·e, l'invisibilisation du travail informel des femmes, le fantasme d'un lien entre « politique de modernisation nationale » mais bien capitaliste et le « progrès », la co-formation du genre avec d'autres rapports de pouvoir, la blanchité, les hiérarchies transnationales, les effets matériels et les dynamiques structurantes de la colonisation, le manque de travaux sur les migrant·es les plus aisé·es et celles et ceux nommé·es expatrié·es, les femmes migrantes essentiellement « pensées comme épouses de travailleurs migrants », les inégalités propres aux descendant·es d'immigré·es, les effets de l'immigration sur les femmes restées « au pays », la nécessité d'un perspective transnationale, les capacités d'action et les contraintes particulières pesant sur les femmes immigrées…

Je souligne l'article sur les violences faites aux femmes et l'accès à l'emploi, la minimisation de l'emprise des auteurs de violences, le manque d'estime de soi, l'instabilité émotionnelle et matérielle engendrée par la situation de violence, la spécificité des femmes victimes de violence…

J'ai particulièrement été intéressé par la troisième partie « Travail, genre et féminismes », les interrogations nouvelles à partir de la centralité du travail pour comprendre les hiérarchies de genre et de la dimension politique de l'analyse genrée du travail. « le potentiel subversif et revendicatif du travail, sa place comme levier de solidarité, comme lieu de production de soi, comme base de l'autonomie des femmes, comme lieu d'émancipation collective, demeurent et doivent demeurer centraux pour la sociologie du genre et pour la sociologie du travail ». Sont notamment abordés, la pluralité et l'enchevêtrement des mécanismes d'oppression, les divers ancrages des femmes concernées, la sexuation des corps des femmes, le féminisme comme perspective et revendication, comme perspective explicitement critique.

J'ai déjà signalé l'article de Christelle Avril sur le care. L'autrice souligne la polysémie du terme et développe certains éléments critiques. Elle parle des pratiques de travail, du travail comme aide à domicile « sans entrer en relation interpersonnelle avec les personnes âgés », du care comme pouvant faire partie ou non de certains travaux, des différentes contraintes non réductibles à une seule dimension, « le care constitue à mon sens une dimension du travail parmi d'autres, et non un terme générique pour qualifier le travail de tout un pan de femmes salariées », de la distinction entre sanctions d'ordre professionnel et sanctions d'ordre social, de travail gratuit pour les proches et de travail salarié envers les personnes âgées, de dénaturalisation du travail domestique, de ne pas écraser les spécificités du travail de service sous le terme générique de care…

Egalité professionnelle, mais quel(s) rôle(s) jouent le corps et la sexualité ? Nathalie Lapeyre met l'accent sur la sexualisation des corps des femmes dans les relations de travail, l'érotisation comme élément de pénibilité spécifique, les regards et les réflexions « donnant aux professionnelles l'impression que leurs collègues hommes n'ont jamais vu de femmes de leur vie », la désagréable impression d'être nue, la séduction comme vernis masquant les rapports de domination, le sexisme du quotidien et son déni, le continuum de violence, le rôle « du corps, de la corpulence et de la voix dans l'organisation », l'espace sonore réservé aux hommes, le corps des femmes comme rapport d'altérité, le corps et la sexualité comme facteurs d'exclusion, la force de la matrice hétérosexuelle…

L'Inde et le travail des femmes, la question de l'autonomie des systèmes de domination les uns par rapport aux autres, la non-neutralité des technologies de l'information et de la communication du point de vue du genre, la construction sexuée du numérique, la reconfiguration simultanée des conditions de travail et des statuts d'emploi…

Danièle Kergoat revient sur le travail, la base de la production du vivre en société, la double dimension de sa centralité (politiquement et sociologiquement), les positions des unes et des autres dans les espaces public et privé, les mobilisations des subjectivités des individu·es, la division sexuelle du travail, le continuum entre travail salarié et travail domestique, le concept de consubstantialité, « les rapports sociaux bien que distincts ne peuvent être compris séparément », la co-construction des rapports sociaux, la nécessité de ne rien nier dans la complexité des mécanismes d'oppression, l'émancipation individuelle etcollective…

Laure Bereni interroge « peut-on faire une sociologie féministe du féminisme ?,l'aveuglement de la science politique au genre, les rapports entre mobilisations féministes et savoirs constitués, l'objectivation possible du féminisme, les fluctuations du sens et les appropriations variées du terme « féminisme », le concept d'espace de la cause des femmes…

En conclusion, Nicky le Feuvre parle des mouvements de fonds dans les sociétés occidentales, le « déplacement des injonctions normatives associées à l'accès des femmes à l'emploi rémunéré », la « dérégulation protéiforme du marché du travail », les « politiques de promotion de l'égalité dans une vaste palette d'espaces professionnels », des formes nouvelles de « néo-maternalisme », de la valorisation de la notion libérale d'employabilité, de la flexibilisation et des formes d'emplois, de la fragmentation du rapport salarial, de l'auto-entreprenariat (j'ajoute, forme particulière d'une subordination réelle des personnes au donneur d'ordre), des nouveaux outils à inventer en regard des spécificités de l'« ordre moderne postfordiste » (ce dernier terme me parait discutable car la taylorisation et le fordisme trouvent de nouvelles applications dans le secteur des services)…

En épilogue, Michelle Perrot et l'écriture du travail des femmes, celles et ceux qui ont osé parler des ouvrières « autrement que comme femme d'ouvrier », le travail en soi comme frontière du genre, le silence qui enveloppe « cet immense travail des femmes sans lequel les sociétés n'auraient pu subsister et croître », la notion de « salaire d'appoint », l'autonomie possible de celle qui gagne sa vie, les qualifications non reconnues car assimilés à « des qualités naturelles », la longue lutte des femmes pour accéder à la formation et au savoir (et le rappel que l'« extrême-gauche » du mouvement ouvrier en la personne de Sylvain Maréchal avait imaginé une loi « portant défense d'apprendre à lire aux femmes », sans oublier l'antiféminisme de Pierre-Joseph Proudhon ou de certaines organisations syndicales), la différenciation sexuelle des métiers « au croisement des matériaux, des opérations de transformation et des savoirs qu'ils mobilisent », la mixité et la non-mixité, les questions « des rapports de sexe à tous les niveaux du savoir, du pouvoir, de la décision, de la représentation »…

La sociologie féministe « est bien une sociologie critique en ce qu'elle ne se contente pas décrire la réalité et de chercher à l'expliquer, mais qu'elle dénonce aussi les mécanismes de domination, non pas d'ailleurs comme une pathologie ou un dysfonctionnement, mais comme une forme de structuration du social et qu'elle les articule avec les processus d'émancipation » Danièle Kergoat.

Lien : https://entreleslignesentrel..
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Au fond , nous défendons deux idées différentes mais indissociables : la pertinence durable du concept de genre pour l’analyse du monde du travail, d’une part ; la centralité du travail dans les sciences humaines et sociales, et en particulier dans les études de genre, d’autres part
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La sociologie féministe « est bien une sociologie critique en ce qu’elle ne se contente pas décrire la réalité et de chercher à l’expliquer, mais qu’elle dénonce aussi les mécanismes de domination, non pas d’ailleurs comme une pathologie ou un dysfonctionnement, mais comme une forme de structuration du social et qu’elle les articule avec les processus d’émancipation »
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Le care constitue à mon sens une dimension du travail parmi d’autres, et non un terme générique pour qualifier le travail de tout un pan de femmes salariées
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Le potentiel subversif et revendicatif du travail, sa place comme levier de solidarité, comme lieu de production de soi, comme base de l’autonomie des femmes, comme lieu d’émancipation collective, demeurent et doivent demeurer centraux pour la sociologie du genre et pour la sociologie du travail
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Avec l’intensification de la mondialisation néolibérale depuis la fin du XXe siècle, les modalités d’organisation du travail et le rapport au travail ont changé et produisent des effets singuliers sur les rapports de genre
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Vidéo de Margaret Maruani
Margaret Maruani est sociologue, directrice de recherche au CNRS. Elle répond à nos questions à l'occasion de la parution de son ouvrage "Travail et genre dans le monde, l'état des savoirs" paru aux Editions La Découverte : - Quels traits communs peut-on dégager concernant la situation des femmes dans le monde du travail dans les différentes régions du globe ? - Comment expliquez-vous que la tolérance au sur-chômage des femmes, à leur surreprésentation dans les emplois dits « atypiques », à une plus faible rémunération que celle des hommes soit aussi « bien » partagée dans toutes les régions du monde ? - Dans quelle mesure est-il possible de combattre les inégalités entre hommes et femmes dans le monde du travail au niveau international ?
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