Publié dans la collection Biographies de chez Gallimard, il s'agit d'un ouvrage monumental de plus de 800 pages, sans oublier les notes, une bibliographie, un index. Visiblement, il s'agit pour l'auteur d'être complet et exhaustif sur le sujet, d'écrire un livre de référence.
Nous suivons donc Racine, son histoire familiale, sa naissance, ses jeunes années, en particulier ses études à Port Royal, ses débuts dans le monde, sa carrière d'hommes de lettres, puis d'historien du roi et de courtisan, sa vie de père de famille. En même temps, nous avons quelques analyses d'oeuvres, des éléments sur l'histoire et le contexte, en particulier culturel de l'époque. En somme l'essentiel pour essayer de savoir tout, ou presque sur le célèbre auteur d'Andromaque.
En réalité, le constat est que beaucoup de choses nous échappent. Une grande partie des documents, et tout spécialement dans l'immense production de lettres, a disparu. Il reste quelques éléments, des documents officiels, des écrits de Racine ou de ses contemporains, des pages de gazettes pas toujours fidèles à la réalité etc. La personnalité, les pensées intimes, l'homme qu'il était garde en grande partie ses secrets, et chacun peut y voir des choses différentes. D'autant plus qu'un certain nombre d'à priori, des idées toutes faites construites progressivement autour de Racine se sont agrégées dans sa représentation. La vie du monde littéraire au XVIIe siècle n'était pas un long fleuve tranquille, il y avait des clans, des coteries, des conflits, voire des véritables guerres, dans lesquelles il s'agissait d'abattre l'adversaire, en n'hésitant pas à lancer des rumeurs, des calomnies, en noircissant au maximum. Racine en a été partie prenante, ses épigrammes ou propos désobligeants vis à vis de ses confrères ont été nombreux et il a été en retour victime d'écrits injurieux ou perfides qui ont brouillés son image.
Georges Forestier essaie de déconstruire tout cela, en partant des documents, de ce qui est tangible et vraiment prouvable. D'où de nombreuses citations, analyses de différentes sources, qui garantissent la fiabilité du propos, nous sommes clairement dans un travail universitaire documenté et du plus grand sérieux, mais qui peuvent rendre la lecture par moments un peu fastidieuse pour le lecteur moyen. Et de toute façon, même en analysant et en recoupant des sources, pas toujours fiables et parcellaires, les conclusions sont parfois juste des hypothèses, les plus vraisemblables dans l'état de nos connaissances, mais qui pourraient être en partie ou complètement invalidées, si par miracle un paquet de 200 lettres surgissait d'un jour à l'autre. Il faut accepter le fait que Racine va rester en partie un sphinx.
Tel que décrit dans ce vaste ouvrage, Racine paraît être un homme très doué, intelligent, cultivé, brillant. Très conscient de sa valeur également, et ne permettant pas vraiment aux autres d'en douter, prêt à en découdre pour affirmer sa supériorité, tout au moins dans le domaine des lettres. Il semble avoir décidé de faire carrière uniquement grâce à sa plume, et s'être saisi intelligemment des différents champs littéraires existants à son époque. Comme c'était indispensable à l'époque, il s'est aussi construit un réseau de relations, d'alliances, qui lui ont permis d'être lu et reconnu. Il a commencé par écrire des textes courts, comme des odes, qui lui permettent dès 1663, de figurer sur la liste des gratifiés royaux. Puis, meilleure façon de faire carrière dans la poésie, il se tourne vers le théâtre, avec le succès que l'on sait. Mais ce n'est qu'une étape, il n'hésite pas à abandonner cette voie, lorsqu'il a l'occasion de devenir historien du roi, carrière plus prestigieuse et plus lucrative. Les documents qu'il a rédigé dans cette activité ont disparu, il est donc difficile d'évaluer vraiment ce travail, auquel il s'est consacré avec application, mais on regrette évidemment qu'il ait renoncé, sauf à quelques exceptions, surtout commandées par Mme de Maintenon, aux autres formes de création littéraire.
Le caractère lacunaire des éléments biographiques est évidemment frustrant, je crois que tout le monde voudrait en savoir un peu plus sur les relations amoureuses qu'il a entretenues de façon affichée avec deux des plus célèbres comédiennes de son époque, Marquise Duparc et la Champmeslé. Et de bien entendu, il ne ne reste rien sur cet aspect de sa vie, sans doute les documents, en particulier les lettres, ont été détruits volontairement.
Pour conclure, il s'agit incontestablement d'un livre de référence, très fouillé, rigoureux, bien construit et écrit, à lire et surtout à consulter régulièrement, pour se rafraîchir la mémoire, ou pour en savoir plus sur telle ou telle oeuvre de Racine en complément de leur lecture. Il n'est pas forcément à conseiller pour quelqu'un qui souhaite une introduction rapide, ou quelque chose de spectaculaire, voire de croustillant sur l'auteur.
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En somme, ce que la postérité devait connaître des grands écrivains, c'était uniquement le monument qu'ils avaient eux-mêmes érigé dans l'espoir de permettre à leur gloire poétique de franchir les siècles. Quant à leur existence, elle était strictement d'ordre privé : dans une société chrétienne et aristocratique, on n'exhibait son moi social que pour mieux laisser ignorer le moi intime.
On ne sait ni quand Racine entreprit ni quand il acheva la révision de ses Oeuvres. La nouvelle édition ne porte pas d'achevé d'imprimer et porte simplement la date de 1697, mais elle a fort bien pu sortir des presses dans les dernières années de 1696. Toujours est-il qu'une page était définitivement tournée. Il pouvait désormais se consacrer - sans délaisser évidemment l'histoire du roi - à un autre ouvrage qu'il n'appartiendrait qu'à Dieu et à la postérité de juger : l'Abrégé de l'histoire de Port-Royal.
On ne doutera pas que, pur sa part, Racine ait rapidement dominé la rhétorique de la conversation galante, puisque tous les témoignages jusqu'à la fin de sa vie rapporteront qu'il possédait au plus haut point ce qu'on appelait alors "l'art de débiter agréablement ses pensées dans la conversations" - talent dont Corneille, incapable de paraître à son avantage dans le monde, s'était toujours senti cruellement dépourvu.
Les débuts de Racine coïncidèrent donc avec la commencement de la période la plus propice à la création théâtrale : celle où la concurrence entre les troupes accroissait la demande en nouveautés.
Rencontre proposée par Yves le Pestipon. Jean Racine, Lettre à La Fontaine, 11novembre 1661, de «De Lyon» à la fin.
On lit, on joue, on voit, on étudie beaucoup les tragédies de Racine. On a raison, mais on oublie parfois qu'il eut une vie, des amis, et qu'il écrivit des lettres. Ce qui nous reste de sa correspondance occupe presque tout un volume de la Pléiade. C'est passionnant, et c'est admirablement écrit. Parmi ces lettres, celle qu'il écrivit d'Uzès, le 11novembre1661, vaut par son ton, son humour, ses anecdotes, et son destinataire, le célèbre fabuliste qui ne l'était pas encore. On y découvre des complicités, presque de «loup» à «loup», une pratique de la langue, des styles, et du voyage, qui nous en apprend beaucoup sur le xviiesiècle français, et fait rêver.
Très petite bibliographie
Racine, Oeuvres complètes, II, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard.
Georges Forestier, Jean Racine, Gallimard, 2006.
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04/03/2024 - Réalisation et mise en ondes Radio Radio, RR+, Radio TER
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