Laurence a quarante ans. Après plusieurs vaines tentatives pour être enceinte et quelques échecs professionnels retentissants, elle décide presque du jour au lendemain de se lancer sur le chemin de Compostelle. Nous sommes fin septembre et, comme une métaphore à sa propre vie, les beaux jours semblent derrière elle...
C'est ainsi qu'un pluvieux matin d'automne, elle part du Puy-en-Velay pour un périple de 1700 kilomètres à travers les campagnes de France, de Navarre, de Castille et de Galice.
Mais ce qui fait la particularité de cet excellent récit de pérégrination, c'est avant tout la sincérité autobiographique de son autrice qui évoque ses émerveillements et ses profondes souffrances à la troisième personne du singulier, comme si cette illusoire mise à distance lui permettait d'aller encore plus loin dans le dévoilement de son errance personnelle.
La franchise est telle qu'on a parfois l'impression que
Laurence Lacour comptait publier ce livre à titre posthume, une fois son suicide acté. Heureusement, il n'en fut rien et c'est aussi en partie grâce à de magnifiques rencontres sur le chemin, notamment celle de Sébastien Ihidoÿ, à l'époque (1998) curé de Navarrenx au Pays basque.
Elle émaille d'ailleurs son carnet de route d'extraits de sa longue discussion avec lui, réalisée en partie un an plus tard dans la cure de ce prêtre hors norme qui a joué un rôle clé dans l'accueil bienveillant de milliers de pèlerins venus de tous horizons.
Alors que la plupart des hommes d'Église rencontrés sur le Camino se contentent de tolérer et parfois de bénir les pèlerins, comment expliquer l'extraordinaire bienveillance de cet ecclésiastique ? La réponse tient en quelques mots.
Né dans une ferme isolée près de la frontière espagnole en 1932, S.I. a vu défiler des dizaines de républicains opposés à Franco durant son enfance. Ses parents, simples agriculteurs apolitiques, les réconfortaient, les soignaient et les nourrissaient avant de les laisser reprendre la route. le leitmotiv qui dictait leur conduite était : « Jendia, jendé ». En basque, cela signifie « tout homme et homme » et à ce titre on doit lui venir en aide comme si c'était notre propre frère.
On comprend dès lors beaucoup mieux les motivations profondément altruistes du prêtre de Navarrenx : « Il était des rares qui avaient compris et vu qu'à chaque révolution de société des gens se mettaient en marche pour trouver ou consolider le sens de leur vie. Et il soutenait, comme personne, chacune de ces démarches individuelles qui, une fois agrégées, reflétaient le sort d'une part de l'humanité. »
En l'occurrence, « son accueil fit à Laurence l'effet, magique, d'être attendue. Elle se trouvait déjà dans la cuisine quand Sébastien entra, sans marquer la moindre surprise, l'appelant d'emblée par son prénom, soucieux de savoir si elle avait trouvé le réconfort et la chaleur espérés (...) Ses paroles simples, mais éclairantes portaient loin. Il parla des autres, ce qui était un excellent biais pour parler d'elle. »
Pour ne pas révéler le dénouement de ce roadtrip qui nous interpelle en posant des questions que nous préférerions laisser dans l'ombre « comme si de rien n'était », donnons le mot de la fin à Sébastien Ihidoÿ : « Les gens cherchent. C'est le propre de l'homme. Ceux qui ne cherchent plus sont éteints. Mais il faut accepter d'être un chercheur et de ne pas trouver quelque chose d'exaltant. Accepter de marcher avec une petite lueur au lieu d'une lumière éclatante. Accepter cela dans sa vie professionnelle, dans sa vie personnelle. Il faut savoir faire le deuil de certains absolus (...) On fait trop rêver les gens... »