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EAN : 978B00FEJM2PS
Gigamesh (30/11/-1)
4.26/5   54 notes
Résumé :
Kalpa Impérial paraît juste après la dernière dictature argentine en 1983 pour des raisons de censure : comme de nombreux livres argentins de cette époque, il n’aurait pu être publié en cette période trouble. Sa poésie, son onirisme en font un exemple parfait de la littérature argentine, de son style, de sa force, de son originalité et de sa personnalité.
Au fil d’un récit caustique et ubuesque (souvent on pense à Alfred Jarry), mais aussi fantastique (à la m... >Voir plus
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Un conte des mille et une nuits venu d'Argentine…


« Tous les hommes ont un secret attrait pour les ruines. Ce sentiment tient à la fragilité de notre nature, à une conformité secrète entre ces monuments détruits et la rapidité de notre existence ».
Chateaubriand traduit bien le sentiment que j'éprouve à la lecture des contes contenus dans Kalpa Imperial, un sentiment mêlé de fragilité et d'éternité, d'éternel recommencement après les chutes, de décrépitude atteignant même ce qui semble immortel renforçant par là-même notre propre fragilité d'humains…Kalpa impérial, « l'empire infini », lui aussi détruit tel un monument qui semblait pourtant éternel…


Kalpa Imperial est un livre d'une élégance rare, d'une beauté délicatement surannée. S'il était une matière, il serait du marbre : une écriture lisse, sans aspérité, douce et poétique, pure, atemporelle, nervurée. S'il était une fragrance, il serait discrète infusion d'iris. S'il était une habitation, il serait palais antique aux colonnes immenses et fières. S'il était une couleur ce serait un blanc tirant sur le crème, légèrement cérusé. S'il était une chanson, ce serait un titre du groupe espagnol La Chica, l'énigmatique titre Oasis sans doute. S'il était un tableau, il serait un tableau d'Hubert Robert, ce peintre français de ruines antiques entourées d'une nature idéalisée…
Après avoir découvert récemment Ursula le Guin, je découvre une autre voix féminine des littératures de l'imaginaire, Angélica Gorodischer, contemporaine d'ailleurs d'Ursula le Guin. Une voix féminine sud-américaine, et voilà un récit de fantasy à nul autre pareil, très singulier. Chaque histoire contenu dans ce livre envoute, caresse notre âme et transporte notre imagination. Écrit en 1983 à la chute de la dictature argentine, il est considéré comme un classique de la littérature SFFF en espagnol et a remporté plusieurs prix littéraires.

Il faut dire que ce livre raconte, au sens premier du terme, il raconte la politique, la religion, les conflits, les relations entre les différentes cultures d'un empire. Sa naissance, ses soubresauts et sa fin. Quel empire ? Où ? Nous ne savons pas (je l'imagine empire babylonien mais il n'y aucune indication en ce sens), juste qu'il s'agit du « plus grand Empire que le monde ait connu ». Cela donne une dimension universelle à ce livre. L'absence de temporalité donne l'impression de se situer en des temps immémoriaux, le récit est ainsi retranscrit à l'oral, un peu à la manière des aèdes antiques. le récit se déroule ainsi dans un empire imaginaire appelé « Kalpa », à une période indéterminée mais qui semble très lointaine, et suit les aventures d'un conteur itinérant qui voyage à travers cet empire infini en racontant des histoires aux différents habitants et souverains qu'il rencontre.

« En plus d'être longue, l'histoire de l'Empire est compliquée : ce n'est pas un conte facile dans lequel on énumère un événement puis un autre et dans lequel les causes expliquent les effets et les effets ont la même ampleur que les causes. Non, ça n'a rien à voir : l'histoire de l'Empire est semée de surprises, de contradictions, d'abîmes, de morts et de résurrections ».

A chaque histoire le conteur nous interpelle, nous ordonne, nous gronde parfois afin que nous soyons bien attentifs à son récit qui va en effet livrer une importante tranche d'histoire. Des chroniques historiques racontées comme si nous étions sur une place publique, à écouter ce conteur scander fort son récit l'appuyant, j'imagine, de gestes amples et exagérés, usant d'un style éminemment poétique. Une ambiance hors du temps, une histoire transmise à l'oral offrant une parenthèse enchantée comme seuls peuvent le faire les contes ou les fables racontées autour d'un feu.

« Non, non, écoutez bien ce que je vous dis, ne vous laissez pas distraire et ne dites pas ensuite que je ne vous ai pas donné assez d'explications. S'il y a quelqu'un qui ne s'intéresse pas à ce que je dis, il peut partir ; c'est comme ça, pour ne pas déranger les autres ».

Le conteur, dans chaque récit, met en valeur des personnages marquants, picaresques, souvent proche de la folie, de l'abnégation, de l'étrange, de l'ignominie. Comme cet empereur sans nom qui s'est emparé de force du pouvoir et devint fou jusqu'à se terrer dans son palais, continuant à gouverner sans que personne ne le voit (Les deux mains), ou encore ce jeune prince qui, en découvrant la vérité sur son père et sa mère, mettra fin au royaume (La fin d'une dynastie ou L'histoire naturelle des furets, sans doute mon récit préféré tant l'ambiance est étrange). Comme cet homme, Bib, trop maigre, trop curieux et trop désobéissant qui fit revenir à la vie l'Empire (Portrait de l'Empereur), comme ce marchand de curiosités qui ravit le pouvoir grâce à une étrange chose qu'il va louer à l'Empereur ( Premières armes) ou encore ce médecin aux pratiques mystérieuses qui a don de clairvoyance (L'étang)…et tant d'autres.
Ces personnages, multiples et très variés, ne se retrouvent pas dans les différents récits, les chapitres de Kalpa impérial sont reliés les uns aux autres de manière thématique plutôt que narrative, en un temps très long qui semble éclaté et fragmenté, où se succèdent des empereurs stupides et des empereurs sages, des empereurs fous et des empereurs visionnaires. le ton est, dans tous les cas, toujours très caustique, le parti pris ubuesque et absurde. le lieu est chaque fois un lieu différent de l'empire avec des personnages différents mais on y retrouve des thèmes et des motifs similaires. Notamment le thème du pouvoir mais aussi, et surtout, celui de la vérité historique. Qu'est-ce qui est vrai, qu'est-ce qui est transformé dans ce qui est raconté ? Mieux vaut-il croire les livres d'histoire, les légendes, les chansons populaires ? Ne sont-ils pas une autre façon de raconter et donc de transformer les faits historiques ? le conteur itinérant voyage à travers l'empire en racontant des histoires qui sont souvent en contradiction avec les versions officielles de l'histoire, ce qui soulève des questions sur la manière dont les événements sont relatés et interprétés. Comment faire son devoir de mémoire et d'histoire dans ces conditions ?

« Ils restèrent également dans la légende, ces récits que tout le monde dit ne pas croire précisément parce qu'ils ne sont pas très sérieux et auxquels tout le monde croit précisément parce qu'ils ne sont pas très sérieux. Et l'on chanta des chansons insidieuses et si faciles qu'on les répéta sur les places et dans les ports et dans les foires. Et il n'y avait aucune part de vérité, aucune : ni dans les origines romanesques ni dans les noms imagés et fantaisistes. Je suis celui qui va vous conter la façon dont les choses se sont déroulées, car il revient aux conteurs de contes de dire la vérité bien que la vérité n'ait pas l'éclat de ce qui est inventé mais cette beauté que les crétins qualifient de misérable ou de mesquine ».

Angélica Gorodischer est l'une des autrices de SFF de langue espagnole les plus reconnues au monde, comme en témoigne son prix World Fantasy, reçu en 2011 pour l'ensemble de son oeuvre, ou son prix Dignité de l'Assemblée Permanente pour les Droits de l'Homme, reçu en 1996 pour son action en faveur du féminisme. Son livre "Kalpa Impérial" est une oeuvre singulière, onirique et poétique, le premier livre de fantasy argentin que je lis pour ma part, et qui, par le biais du conte, constitue une incroyable allégorie du pouvoir, allégorie d'autant plus troublante lorsque nous savons que ce livre a été écrit au moment même de la chute de la dictature argentine. C'est un livre universel contant l'Histoire de l'humanité depuis la nuit des temps. Un livre qui pourrait être emporté sur une île pour s'abreuver et se bercer de contes sur la société humaine et ne jamais oublier la folie, l'ignominie, l'absurdité et la beauté du monde tout en étant plongé dans une ambiance à la tessiture du rêve…

« Cela eût pu se produire hier, cela pourrait se produire demain, ou un jour de l'an prochain ».

Un immense merci à @Dandine pour sa belle critique incitative et immersive et à @Bookycooky pour m'avoir orientée vers cette immense auteure argentine !

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Asseyez-vous, asseyez-vous! Ceux qui restent debout empechent les autres de me voir et de bien m'entendre, les empechent d'ecouter attentivement la saga de l'empire que je vais conter, les hauts faits des hommes qui l'ont construit et detruit depuis sa creation ou ses creations, car elles sont diverses comme les multiples traditions, toutes differentes, toutes multiformes et heteroclites, toutes mouvantes comme les sables du sud, mais toutes vraies car toutes ont retenu les pensees, les reves et les interpretations des conteurs qui m'ont precede depuis les siecles premiers, ceux qui connaissaient de pres l'exaltation du Soleil et le sang-froid de la Lune.


Mais qu'est-ce que je raconte et ou est-ce que je me crois? Il n'y a personne face a moi, et aucun son ne sort de ma bouche. Je tape comme un forcene sur un clavier, suivant sur un ecran des lettres qui apparaissent comme par miracle et s'amoncellent en mots et en phrases. Tout un message que je veux transmettre a des gens que je ne connais pas et que je qualifie quand-meme d'amis, des gens pour qui je me suis reve – un court instant – conteur et rapporteur de la memoire d'un empire. Mais je reviens vite sur terre et je comprends que ce que je fais, que la seule chose que je puisse faire, c'est transmettre mes impressions de lecture d'un livre, ce livre, Kalpa Imperial.


Ah, oui, mais quel livre! Et d'abord, comment le caracteriser? de la science-fiction? Non, il raconte des passes, et je crois que la science-fiction decrit plutot des futurs. de la fantasy? Peut-etre, mais j'en ai si peu lu que je ne suis pas sur de savoir distinguer ce genre. L'auteure remercie Christian Andersen, J. R. R. Tolkien et Italo Calvino pour “l'elan qu'ils m'ont donne", alors des contes? Des contes fantastiques? Je penche pour ce parti et crois meme qu'elle aurait tout aussi bien pu remercier Homere et les auteurs anonymes des Contes des mille et une nuits.


Et quel souffle! Quel epos! Chapitre apres chapitre, conte apres conte, a travers les pages de Kalpa Imperial s'animent empereurs imperatrices et usurpateurs du trone, generaux et rebelles, commercants artisans et medecins, mais aussi, and not least, villes palais et bicoques, routes et chemins, monts et fleuves et ces immenses etendues d'un sud faiblement explore, qui sont aussi importants que les protagonistes humains. Chapitre apres chapitre se revele un empire ou se succedent les dynasties, les epoques de gloire et les annees noires, un empire qui incorpore d'enormes volumes d'espace et de temps, en des regenerations infinies ou tout change tout le temps mais ou rien n'a ete, n'est ni ne sera reellement nouveau (“L'Empire a toujours existe. Il existe, il a existe, il existera, c'est ce qu'on nous enseigne a l'ecole avant meme que nous n'apprenions a lire. — Qui sait, dit madame Assyi'Duzmaul. — Comment peut-on penser que l'Empire n'a pas existe, dit un homme soucieux, en secouant la tete. — La dame a raison, dit le vieux. Qui sait. Il y a des legendes, il y a des histoires, et il se peut que tout ne soit pas qu'une fable inventee par des aveugles, des bardes et des mendiants.”).


Toutes cette epopee, ou ces epopees, nous sont transmises par la bouche d'un conteur de rues ou de places (“Ecoutez-moi sans vous distraire […] On attire mon attention et on me flatte pour que je raconte de vieux faits oublies […] Je suis celui qui va vous conter la façon dont les choses se sont deroulees, car il revient aux conteurs de contes de dire la verite bien que la verite n'ait pas l'eclat de ce qui est invente mais cette beaute que les cretins qualifient de miserable ou de mesquine […] Je vais vous raconter qu'il y eut une fois un enfant […] Et moi je vous le raconte a present, vous qui n'allez jamais etre empereurs. Je ne le raconte pas pour que vous compreniez, j'ai deja renonce a une telle pretention ; ni pour que vous compreniez le Prince Furet. Je le raconte parce que les sages disent que les mots sont les enfants de la chair et qu'ils pourrissent si on les garde prisonniers.”), mais aussi par un archiviste (“Ma vie, messieurs, se passe dans les papiers. Je n'ai rien vu et j'ai tout lu […] Cela est aussi vrai et aussi faux que tout ce que racontent les hommes […] Mais qu'en serait-il des annales de l'Empire si nous autres archivistes nous nous mettions a fantasmer comme les conteurs de contes?”), et des fois meme une femme de chambre ou un officier de la sentinelle peuvent prendre la parole. le dernier chapitre, le dernier conte, nous est narre directement par l'auteure, sans l'artifice de devoir asseoir un conteur. Et la elle se permet des clins d'oeuil tres accentues, parodiques, a notre monde et a notre realite. Cela romp avec la solemnite de tout le reste du livre. Ce n'est qu'une petite partie du chapitre, mais c'est la partie du livre que j'ai le moins aime. Alors je reviens au conteur, il sait surement aussi charmer les serpents, comme il sait charmer son auditoire, comme il a su me charmer, moi.


En ecoutant le conteur nous assistons a des batailles sanglantes (“Les hommes chargeaient, se dechiraient la gueule, se mettaient en pieces ; ils se repliaient puis chargeaient a nouveau. Lorsqu'on raconte toutes ces choses on eprouve du degout pour cette creature qu'est l'homme"), a la creation de nouvelles villes, comme la ville des collines qui devint capitale de l'empire. Phare du Desert, on l'appela, et aussi Perle du Nord, Etoile, Mere, Guide, Berceau, Mere des Arts, et enfin Mere de la Religion Veritable. Nous l'ecoutons raconter un grand mouvement messianique, qui attend Celui Qui Revient, celui qui doit revenir pour instaurer ou reinstaurer la justice (“Et ce sera celui qui doit venir qui consolidera les toits et les fondations de ta maison, celui qui ramenera de la mort et des profondeurs ceux qui sont sur le point de partir, celui qui verra ta ville et ta maison car il peut voir le monde, celui qui ne sait rien et qui sait tout, celui qui depuis le coeur de ta terre se leve et par tous est vu tel qu'il est”). Et nous ne nous etonnons presque pas de l'entendre chanter plus de louanges d'imperatrices que d'empereurs (“l'Imperatrice Nargenenndia Ire, celle qui entra dans l'histoire avec le sobriquet etrange de « le Chat », celle qui aux dires des conteurs de contes fut presque aussi sage que la Grande Imperatrice Abderjhalda mais beaucoup plus joyeuse ; presque aussi valeureuse qu'Ysadellma mais beaucoup plus belle ; presque aussi forte qu'Eynisdia la Rouge mais beaucoup plus compatissante ; celle qui inaugura son regne avec une question adressee au vieux qui se tenait debout a la droite du trone d'or : — Quelles sont les vingt voies du monde, p'tit pere ?”).

En ecrivant un empire Angelica Gorodischer a creee un monde. Son livre est un livre monde ou on trouve de tout, bonheur et affliction, allegresse et abattement, sagesse et deraison, courage et pleutrerie, loyaute et trahison, richesse et denuement, beaute et … autres beautes.
L'empire qu'elle decrit dure-t-il encore? Je ne sais. Je crois meme que nul ne le sait. Mais d'une chose je suis pratiquement certain: son livre, ce beau livre, est fait pour durer. Angelica Gorodischer est morte cette annee, mais on retiendra son nom: ANGELICA GORODISCHER.
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GORODISCHER (Angélica), Kalpa Impérial, [Kalpa Imperial], traduit de l'espagnol (Argentine) par Mathias de Breyne, [s.l.], La Volte, [1983-1984, 2001] 2017, 245 p.


D'AUTRES LANGUES


En France, il n'est le plus souvent guère aisé d'avoir accès aux oeuvres de littérature de l'imaginaire composées dans d'autres langues que le français ou l'anglais. Ça n'est pas totalement inenvisageable, je ne le prétends certainement pas, et l'on peut bien relever, çà et là, telle ou telle traduction, mettons, de l'allemand, de l'espagnol, de l'italien, du russe, ou, en dehors de l'Europe, disons à tout hasard du japonais... À vrai dire, on peut relever à l'occasion des origines plus inattendues – à ceci près, bien sûr, qu'il s'agit d'exceptions qui confirment la règle, ce que l'on souligne inévitablement ; mais, certes, il y a somme toute peu de temps, j'ai pu lire du fantastique arabe (irakien, plus précisément), de la fantasy estonienne, de l'horreur suédoise ou même, attention, de l'anticipation groenlandaise. Et, si je ne l'ai pas (encore ?) lu, on peut relever qu'un prix Hugo chinois, ce n'est quand même pas tous les jours, et que cela pourrait indiquer une évolution bienvenue, à l'échelle mondiale sinon encore française... Oui. Mais c'est tout de même assez limité dans l'ensemble, pour l'heure – outre qu'il faut éventuellement y accoler une certaine ambiguïté tenant à la qualification de genre : ces auteurs ne sont pas forcément publiés dans des collections dédiées à la science-fiction ou à la fantasy, et ce quand bien même leurs oeuvres, prises « objectivement », pourraient parfaitement en relever.


Le cas de l'Argentine est peut-être singulier à cet égard. Au sein des littératures hispanophones, ce pays n'est sans doute pas le plus mal loti, loin de là, et plusieurs grands auteurs qui en sont originaires ont été abondamment traduits en français – parmi eux, un certain nombre se frottant régulièrement à l'imaginaire, mais le plus souvent guère associés à la science-fiction ou à la fantasy ou même au fantastique, et plutôt fédérés sous la bannière du « réalisme magique », le cas échéant : ainsi Jorge Luis Borges bien sûr (que j'ai évoqué sur ce blog à propos de L'Aleph et du Livre de sable), Adolfo Bioy Casares (dont j'avais chroniqué L'Invention de Morel ; compère de Borges, Bioy Casares avait parfois écrit à quatre mains avec ce dernier, comme dans Six Problèmes pour don Isidro Parodi), ou encore Julio Cortázar (que, honte sur moi, je n'ai encore jamais lu…). Des auteurs prestigieux, et bien diffusés en France.


Tous n'ont pas cette chance, et c'est sans doute regrettable – car la littérature argentine recèle probablement bien des merveilles inaccessibles à qui n'est pas hispanophone (comme votre serviteur). En témoigne donc Angélica Gorodischer, née en 1928, une auteure peut-être un peu plus connotée genre que les précités, néanmoins reconnue dans son pays (l'argumentaire de l'éditeur dit qu'elle est là-bas « aussi importante que Borges », mais je ne sais pas ce qu'il faut en penser...), et même au-delà (elle a obtenu plusieurs récompenses internationales, dont le World Fantasy Award en 2011 pour l'ensemble de son oeuvre), mais qui, pour l'heure, était totalement inconnue en France, où seule une de ses nouvelles avait été traduite...


Sans doute fallait-il une « ambassade » pour faire connaître ses écrits en dehors de la seule Argentine, et, par chance, même si c'était bien tardivement, à l'âge de 75 ans, Angélica Gorodischer a bénéficié de l'attention de la meilleure des plénipotentiaires – ni plus ni moins qu'Ursula K. le Guin (de la même génération, elle est née en 1929), l'immense auteure de science-fiction et de fantasy, La Meilleure, qui, je n'en avais pas idée, a aussi été traductrice. En 2003 paraît donc en langue anglaise, et sous ce patronage prestigieux, un étrange volume de fantasy (?), formellement une sorte de fix-up comprenant onze nouvelles, et titré Kalpa Imperial: The Greatest Empire That Never Was, reprenant deux brefs recueils en langue espagnole publiés une vingtaine d'années plus tôt, Kalpa Imperial, libro I : La Casa del poder, et Kalpa Imperial, libro II : El Imperio más vasto (qui avaient déjà été rassemblés en un unique volume en Argentine en 2001). Cette traduction a sans doute largement contribué à faire connaître Angélica Gorodischer au-delà des frontières de son pays natal – et pour le mieux, car il s'agit d'une oeuvre parfaitement brillante, et qui le mérite assurément.


Il n'en a pas moins fallu encore quatorze années d'attente pour qu'Angélica Gorodischer connaisse sa première publication française en volume à son nom, avec ledit recueil, traduit de l'espagnol par Mathias de Breyne (déjà responsable de la seule précédente traduction française de l'auteure, une nouvelle donc dans une anthologie bilingue), aux éditions de la Volte – qui méritent plus que jamais des applaudissements pour cette parution, eh bien... plus que bienvenue : nécessaire.


DES RÉFÉRENCES ?


On est souvent tenté, au contact d'oeuvres relativement méconnues, de jouer le jeu du name-dropping, afin de donner une idée au lecteur de ce qui l'attend, sur un mode superlatif qui n'est toutefois pas sans inconvénients car bien trop souvent réducteur, au risque même de diminuer la singularité de l'auteur que l'on pense honorer en lui accolant tant de noms prestigieux et intimidants.


L'éditeur, certes, ne s'en est pas privé, qui cite pêle-mêle, outre bien sûr des auteurs argentins au premier chef (incluant surtout Jorge Luis Borges et Adolfo Bioy Casares), d'autres références peut-être plus surprenantes : Mervyn Peake, Italo Calvino, et Doris Lessing. le cas de cette dernière est sans doute à part : l'idée, au-delà d'une éventuelle parenté des oeuvres, est probablement de mettre en avant une « grande dame de l'imaginaire », et, à ce compte-là, citer un prix Nobel peut paraître faire sens – surtout dans la mesure où La Volte a publié il y a peu Shikasta ? N'ayant pas encore lu ce dernier livre (mais je compte bien le faire, il serait assurément temps), je ne peux pas juger de la pertinence de cette association. Mervyn Peake, bien sûr pour sa « trilogie de Gormenghast » ? Je suis assez perplexe – guère convaincu, disons-le (à un détail près). Borges et Bioy Casares, cela paraît par contre couler de source, au-delà de la seule origine géographique ; si je ne connais pas assez le second pour me prononcer franchement, ce que j'ai lu du premier, par contre, soutient assez bien l'idée d'une parenté : les nouvelles d'Angélica Gorodischer, avec leur chatoiement, leur attention au style, leur magie narrative et leur subtile étrangeté, pourraient éventuellement côtoyer les Fictions, etc.


La référence à Italo Calvino est cependant peut-être la plus pertinente – même si je suppose qu'il faudrait ici mettre en avant Les Villes invisibles (j'y reviendrai), que je n'ai toujours pas lu, re-honte sur moi… En tout cas, c'est une mention que l'auteure paraît d'une certaine manière revendiquer, elle qui, dans ses remerciements en tête d'ouvrage, cite l'auteur du Baron perché, etc., aux côtés de deux autres, Hans Christian Andersen et J.R.R. Tolkien, « car sans leurs mots galvanisants ce livre n'aurait pas vu le jour ». L'art du conte déployé dans Kalpa Impérial suffit peut-être à justifier la référence à Andersen, que je connais mal, voire pas du tout, mais je trouve particulièrement intéressant qu'elle cite Tolkien – car sa fantasy semble pourtant emprunter des voies plus que divergentes par rapport au « Légendaire » tolkiénien. le philologue oxonien a constitué de manière encyclopédique un univers cohérent couvrant plusieurs ouvrages de taille, riches de références et renvois internes, au fil d'une architecture narrative d'une complexité et d'une précision inouïes, presque maniaques. Mais pas l'auteure argentine, même en affichant au moins la façade d'un univers cohérent parcourant le recueil Kalpa Impérial (mais absent du reste de ses oeuvres, je suppose) : ce sont l'ambiance, le vernis, plus que le détail du fond, qui justifient l'association des nouvelles du recueil – la manière de faire, le style, avec notamment cette mise en avant d'un « narrateur » qui se dit lui-même « conteur de contes », et joue de l'oralité propre à son art de la manipulation. L'Empire est là, mais il est si vaste, dans le temps comme dans l'espace, que, d'un récit à l'autre, les mêmes noms (de personnes, de lieux, etc.) n'ont aucune raison de revenir (il y a au moins une exception, sauf erreur : la Grande Impératrice figurant dans « Portrait de l'Impératrice » est mentionnée, mais juste en passant, dans « La Vieille Route de l'encens » ; mais je crois que c'est tout – je peux certes me tromper), et la continuité a quelque chose de douteux. L'idée de l'Empire, davantage que son caractère concret, et l'art du conte, unissent donc les textes, mais la précision encyclopédique n'est certainement pas de mise.


On pourrait, éventuellement, mentionner d'autres auteurs encore – dont, en fait, Ursula K. le Guin, bien sûr ; je suppose qu'il n'y a rien d'étonnant à ce que la créatrice de l'Ekumen et de Terremer ait été séduite par la fantasy chatoyante autant que subtile d'Angélica Gorodischer ; ce même si la parenté entre les deux auteures n'a rien de frontal ; peut-être, en fait, faudrait-il d'ailleurs chercher plutôt du côté de l'Orsinie ? Et ce même si les Chroniques orsiniennes demeurent à ce jour le seul livre d'Ursula K. le Guin à ne pas du tout m'avoir parlé, pour je ne sais quelle mystérieuse raison…


Et d'autres noms encore, à titre plus personnel ? Oui – cette plume baroque et ce sens du conte, avec un certain humour parfois, peuvent rapprocher Kalpa Impérial de certains récits de Lord Dunsany, je crois. Et je crois aussi, à l'instar du citoyen Charybde 2, que l'on pourrait très légitimement, côté français, rapprocher Kalpa Impérial de certaines des oeuvres des rares mais brillants Yves et Ada Rémy, Les Soldats de la mer, avec cette Fédération qui grandit sans cesse, à la fois conformément à l'histoire et en la défiant, mais aussi le Prophète et le vizir – car ce petit ouvrage joue bien sûr lui aussi de l'art du conte, avec une atmosphère empruntée aux Mille et Une Nuits que l'on peut retrouver dans Kalpa Impérial.

L'EMPIRE LE PLUS VASTE QUI AIT JAMAIS EXISTÉ


L'Empire le plus vaste qui ait jamais existé… C'est ainsi que le conteur le désigne à chaque fois, ou en usant d'une périphrase du même ordre. C'est en fait son caractère déterminant – avec son ancienneté immémoriale.


En fait, l'Empire existe avant tout en tant qu'idée – à supposer qu'il existe, c'est ce qui est à la fois problématique et intéressant avec les idées. Dès lors, ses frontières, temporelles et spatiales, sont nécessairement floues. L'Empire n'est pas, disons donc, la Terre du Milieu de Tolkien, avec ses nombreux chroniqueurs jugés implicitement fiables et ses cartes soigneusement annotées dans un perpétuel souci d'exactitude ; car le récit est ici laissé à des conteurs qui, de leur propre aveu d'une certaine manière, ne sont pas à un mensonge près.


L'origine de l'Empire, dès lors, est particulièrement floue – et cela a un impact non négligeable sur l'ambiance qui lui est associée… et éventuellement, pour qui tient aux étiquettes, sur sa caractérisation dans le registre de la fantasy ou de la science-fiction. Sa technologie a priori plutôt archaïque, même avec des variantes au fil des récits (qui semblent couvrir des millénaires, et passer d'une époque à l'autre sans plus d'explications), fait semble-t-il plutôt pencher la balance du côté de la fantasy, mais, à vrai dire, la magie ou le surnaturel ne sont guère de la partie, et, à bien des égards, il pourrait bien davantage relever d'un imaginaire rationaliste, caractéristique de la science-fiction.


D'ailleurs, s'agit-il d'un monde secondaire, ou de notre monde ? La question se pose, pour qui tient à se la poser, dès la première nouvelle du recueil, « Portrait de l'Empereur », dont le contenu pourrait être d'une certaine manière « post-apocalyptique », au sens où nous y errons dans les ruines d'une société qui fût brillante, et dont pourrait surgir une nouvelle civilisation. À cet égard, l'Empire pourrait évoquer la Terre mourante de Jack Vance, ou le continent de Zothique chez Clark Ashton Smith – mais sans magie, donc.


La question du lien avec notre monde est sans doute d'une pertinence variable – mais il peut être utile de mentionner ici qu'à l'autre bout du recueil, la dernière nouvelle (qui n'est peut-être pas le dernier conte, car c'est le seul récit du recueil à ne pas être introduit par la formule rituelle « le narrateur dit », etc., désignant le « conteur de contes »), la dernière nouvelle donc, « La Vieille Route de l'encens », introduit quant à elle l'idée de ce lien avec un caractère bien plus explicite : le vieux guide y joue en définitive le rôle du conteur, au travers d'une « reprise », en forme de mythe des origines, de l'Iliade et de l'Odyssée… avec pour héros des noms propres clairement dérivés de notre histoire – et pour l'essentiel des stars d'Hollywood ! À vrai dire, c'est une dimension du récit qui m'a un peu décontenancé, et qui me fait le priser beaucoup moins que la plupart de ceux qui précèdent – mais je suppose que ça se discute, et, en tout cas, qu'il y a quelque chose à creuser, ici.


D'autant que cette nouvelle a une autre ambiguïté : elle oppose des individus ne pouvant croire qu'il y ait eu un temps où l'Empire n'existait pas, et rejetant l'hypothèse comme une baliverne, et d'autres qui son prêts à l'envisager… si cela permet une bonne histoire. Or l'idée même de l'Empire est tout à fait problématique au prisme de cette éternité supposée – car cela peut donc être d'éternité que nous parlons, ou peu s'en faut : le recueil ne s'en fait bien sûr jamais écho directement, mais le « Kalpa » figurant dans son titre est en fait une conception propre à notre monde ; c'est une notion issue de l'hindouisme, une unité de temps correspondant à une journée de vie du dieu Brahma… soit 4,32 milliards d'années ! L'Empire aurait donc duré aussi longtemps ? Cela paraît très improbable – mais surtout dans la mesure où nos conceptions historiques et même préhistoriques prohibent l'acceptation d'une telle durée dans le règne humain.


De toute façon, l'idée d'un Empire, qui semble si incontestable aux personnages figurant dans ces contes (dit-on...), est probablement sujette à caution pour le lecteur (et à cet égard pour le ou les conteurs, dont l'art est donc aussi celui du mensonge et de la manipulation). En effet, ce que tous ces récits semblent nous dire, c'est que la continuité de l'Empire est illusoire : tous ces contes ou presque nous parlent de crises, et de brutaux changements dynastiques ; peut-être y a-t-il ici quelque chose (outre la référence argentine, bien sûr, mais j'y reviendrai plus tard) de l'histoire de la Chine, disons, où le Mandat Céleste a toléré bien des ruptures chaotiques tout en maintenant l'esprit de l'unité de l'empire, mais on est ici d'autant plus porté à trouver suspecte cette continuité posée en axiome que les conteurs eux-mêmes semblent, mais avec discrétion (pour ne pas tomber sous le coup de l'accusation de subversion ?), témoigner explicitement de ce que cette histoire n'est qu'un rêve, et peut-être pire (ou mieux ?) : une contrefaçon. Sinon pourquoi parler de cette dynastie des « Trois Cents Rois »… qui n'a en fait connu que douze monarques ? À moins bien sûr que la manipulation soit le fait, non de l'histoire, mais du conteur narquois, assis en face de vous, et que vous payez pour qu'il vous raconte de belles faussetés...


Mais le récit, de manière générale, justifie bien des entorses à la vérité. Alors admettons : l'Empire est le plus vaste qui ait jamais existé, et il a toujours existé. Mobile, cependant – peut-être, ou plus qu'on ne le croirait ; car les seules choses qui semblent vraies du début à la fin sont donc l'idée même de l'Empire, sinon son existence concrète, et l'immémoriale certitude de ce que le Sud est rebelle, car « "Tel est le Sud" » (titre de l'avant-dernier conte, mais l'agitation dans le Sud est évoquée dans la plupart des nouvelles d'une manière ou d'une autre) ; en fait, le Sud est peut-être bien le meilleur critère permettant de définir l'Empire – mais par défaut : en étant, il constitue par opposition l'Empire qu'il n'est pas, dans une optique presque manichéenne où le tiers semble exclu.


L'ART DU CONTEUR DE CONTES


Reste que le conteur joue un rôle essentiel – qui va pr
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Ce livre a été traduit de l'espagnol par Mathias de Breyne. Que soufflent les vents cléments. A présent, il n'y a plus de délations d'exécutions secretes. Les archivistes archivent et les pêcheurs pêchent. La dynastie des Ellydrovides coupe une fleur dans les jardins. Bibarandaraina et Vorondesides le flûtiste, il pleut. Ekkementes cherche l'enceinte. Orbad le mystérieux. Car derrière le hasard ou le non-hasard tous soupçonnent un ordre secret. Épargnez-moi ce travail. Tout désavantage à des advantages disent les sages. Un jour, il mourra comme lui, l'empire aussi et stupides seront ceux qui le regretteront. Combien le monde est compliqué .
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Kalpa Imperial, de l'autrice argentine Angélica Gorodischer est un fix-up de nouvelles que l'on classera (faute de mieux) dans le genre de la fantasy. Ce livre nous narre l'histoire de « l'Empire le plus vaste ayant jamais existé ». Publié depuis 1990, le livre a déjà connu un certain succès en Argentine et dans le monde anglo-saxon (bénéficiant notamment d'une traduction d'Ursula le Guin) avant d'être traduit et édité en français en 2017 par les éditions La Volte.


On retrouve dans l'ouvrage onze nouvelles, qui partagent le même univers, un empire immense et quasi-éternel qui nous est conté par un même narrateur (un conteur d'histoire). L'Empire est purement imaginaire mais situé dans un univers relativement proche du notre. Les récits restent suffisamment flous pour que le lecteur puisse se les représenter au sein de n'importe quelle culture (même si pour ma part je n'ai pu m'empêcher d'imaginer le récit au sein d'une Chine mythique) et, concernant la chronologie des récits, elle est volontairement très indistincte tant les évènements heureux et malheureux semblent être voués à se répéter indéfiniment. Notre narrateur va donc conter les hauts et les bas de cet empire au travers, généralement, de la vie de ses empereurs et impératrices qu'ils soient des gouvernants éclairés, médiocres ou même fous. On est peu à peu happé par le rythme, le charme et la musicalité de la narration, la vue de cet empire à la fois immuable et changeant avec ses périodes glorieuses et ses déclins. le conteur s'adresse à son auditoire comme un vieil homme sage s'adressant à des enfants au coin du feu ou à des sujets sur la place publique, il avertit ses lecteurs, installe un suspense, explique une ellipse et parfois, interpelle ou admoneste ses interlocuteurs.


le recueil commence avec « Portrait de l'empereur », un récit sur la vie de Bib, enfant chétif d'une époque sombre, qui ressuscita l'empire, il se poursuit un peu plus loin avec « Fin d'une dynastie ou histoire naturelle des furets » un récit très réussi où un jeune empereur prisonnier d'un pesant protocole apprendra la vérité sur sa filiation, un peu plus tard nous suivront l'ascension sociale irrépressible d'une impératrice venue des couches les plus basses de la société (« Portrait de l'impératrice ») puis l'autrice s'autorisera une incursion dans le conte fantastique via un récit où un commerçant rusé accède à la richesse et au pouvoir en s'appuyant sur un jeune garçon aux mouvements hypnotiques(« Premières armes »). Enfin, le livre s'achève avec un récit quasi-messianique grisant (« Tel est le Sud ») et le conte à hauteur d'homme d'une traversée du désert au sein d'une caravane marchande (« La vieille route de l'encens »).


Si certaines nouvelles m'ont paru excellentes et d'autres un peu plus ordinaires, j'ai trouvé de bonne tenue l'ensemble du recueil et apprécié ma découverte de l'autrice. Situé à mi-chemin entre le genre de la fantasy et le recueil de contes, c'est un livre à la fois agréable, immersif et bien écrit, un monde dans lequel il fait bon se plonger. Une des plus grandes qualités de l'ouvrage est sans doute sa gestion du rythme : aidé en cela par un style très plaisant, un zeste d'humour et une bonne alternance entre les nouvelles et un jeu constant avec le narrateur (un conteur, qui doit donc captiver et maintenir en haleine son auditoire), le livre se déroule avec plaisir et aisance sans aucun temps mort. Une agréable découverte.
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critiques presse (3)
Actualitte
07 juillet 2017
Kalpa Impérial c'est un souffle de liberté écrit lors d'une période trouble. C'est un roman empreint de noirceur et de lumière, de bajofondos et de lueur, souvent entremêlés, voire fusionnels.
Lire la critique sur le site : Actualitte
Telerama
22 juin 2017
La fable se charge d'ambiguïté, et Kalpa impérial devient aussi, voire surtout, une réflexion prophétique (le livre a près de 35 ans...) sur la communication, le mensonge et l'art de conter.
Lire la critique sur le site : Telerama
Elbakin.net
07 juin 2017
Livre somme porté par un souffle indéniable et une dramaturgie parfaitement maîtrisée, Kalpa Impérial ne s’érige jamais en ouvrage cherchant à faire la leçon à ses lecteurs.
Lire la critique sur le site : Elbakin.net
Citations et extraits (10) Voir plus Ajouter une citation
Le jour où la Grande Impératrice interdit le transport privé sur roues, beaucoup dirent qu’elle était folle. […] Elle avait raison, bien sûr. Les fiacres et les diligences et les calèches disparurent. Seuls ceux pour qui il était indispensable de se déplacer à plus de vingt kilomètres pouvaient monter dans un transport public sur roues. Les autres marchaient, ou chevauchaient un âne, ou, s’ils étaient riches, circulaient en chaise à porteurs. La vie se fit plus lente. Les gens devinrent moins pressés, car se presser était inutile. Les grands centres commerciaux, bancaires et industriels disparurent, ceux où tout le monde s’entassait et se poussait et s’irritait et s’insultait, et des petites boutiques et des services ouvrirent dans chaque quartier, où chaque commerçant, chaque banquier, chaque entrepreneur connaissait ses clients et la famille de ses clients. Les grands hôpitaux disparurent, ceux qui servaient à une ville entière et parfois à plusieurs villes, car un blessé ou une parturiente ne pouvait plus couvrir rapidement de grandes distances, et des petits centres médicaux ouvrirent où les gens se rendaient lentement et où chaque médecin savait qui étaient ses patients et avait le temps de causer avec eux du temps, de la crue de la rivière, des progrès des bambins, et même des maladies. Les grandes écoles disparurent, celles où les élèves étaient un numéro sur un formulaire, et chaque maître sut pourquoi ses élèves étaient comme ils étaient, et les enfants se levaient sans précipitation et marchaient en se tenant la main le long de quelques pâtés de maisons sans que personne ait besoin de les accompagner et ils arrivaient à l’heure en classe. Les gens cessèrent de prendre des tranquillisants, les maris de crier sur leurs femmes et les femmes sur leurs maris, et plus personne ne frappait les bambins. Et les rancœurs s’apaisèrent, et, au lieu de prendre une arme pour s’approprier l’argent d’autrui, les gens employèrent leur temps à d’autres choses qui n’étaient pas la haine et se mirent à travailler outre mesure puisqu’il y avait à réformer, maintenant que les véhicules véloces n’existaient plus et que les distances s’étaient allongées. Même les villes changèrent. Les villes monstrueuses dans lesquelles un homme se sentait seul ou inutile se démembrèrent et chaque quartier se sépara de l’autre et il y eut des petits centres, quasiment une ville en soi pour chacun d’entre eux, autosuffisants, avec ses écoles et ses hôpitaux et ses musées et ses marchés et pas plus de deux ou trois policiers blasés et somnolents assis au soleil, buvant une limonade avec un vieux voisin retiré des affaires. Les petites villes ne poussèrent pas et ne ressentirent pas le besoin de s’étendre et de s’agrandir, mais, le long du long chemin qui les séparait les unes des autres se fondèrent de nouvelles communes, petites également, tranquilles également, pleines de jardins et de potagers et de maisons basses et de gens qui se connaissaient et de maîtres et de médecins et de conteurs de contes et de policiers débonnaires.
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Le narrateur dit : À présent que soufflent des vents cléments, à présent que sont révolus les jours d’incertitude et les nuits de terreur, à présent qu’il n’y a plus de délations, de persécutions ou d’exécutions secrètes, à présent que le caprice et la folie ont disparu du cœur de l’Empire, à présent que ni nous ni nos enfants ne sommes assujettis à l’aveuglement du pouvoir ; à présent qu’un homme juste se tient sur le trône d’or et que les gens sortent tranquillement de leurs maisons pour voir s’il fait beau et vaquent à leurs occupations et planifient leurs vacances et les enfants vont à l’école et les acteurs jouent leur rôle du fond du cœur et les filles tombent amoureuses et les vieux meurent dans leur lit et les poètes chantent et les joailliers pèsent l’or derrière leurs petites vitrines et les jardiniers arrosent les parcs et les jeunes discutent et les aubergistes mettent de l’eau dans le vin et les maîtres enseignent ce qu’ils savent et nous autres les conteurs de contes contons de vieilles histoires et les archivistes archivent et les pêcheurs pêchent et tout un chacun peut décider selon ses vices et ses vertus ce qu’il doit faire de sa vie, maintenant n’importe qui peut entrer dans le palais de l’Empereur, par nécessité ou par curiosité ; n’importe qui peut visiter cette grande maison qui des années durant a été voilée, interdite, défendue par les armes, fermée et obscure comme le furent les âmes des Empereurs Guerriers de la dynastie des Ellydróvides.
(Incipit)
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Dans cette grande maison, dans une pièce obstruée par un toit écroulé, Bib trouva un jour à la fin de l’été un siège gigantesque, lourd comme une montagne, brillant comme les assiettes qu’il avait rapportées à sa mère en son premier jour d’homme, incrusté de perles dures comme celles du collier qu’elle portait depuis autour du cou à la place du chapelet de dents d’animaux chassés par Voro jadis un hiver alors qu’il n’était pas encore né. Il était si grand ce siège, si imposant, si massif, si démesuré, qu’il semblait à peine être fait pour un homme. Bib se dit que c’était celui d’un géant. Il se dit aussi que lui il était un géant. Ce n’était pas vrai, bien sûr, pour le moins s’agissant du corps : Bib était toujours un homme maigre et pas très grand. Mais il se dit ceci, il se dit que lui il était un géant et que le siège était fait pour lui. Et il gravit les trois marches de la base et s’assit. Seul, dans l’enceinte en ruine, dans l’obscurité quasi complète car il n’y avait pas plus de lumière que celle qui entrait par la brèche que le fils de Voro avait faite dans le toit tombé contre l’ancienne entrée de la salle, là, un barbare téméraire, curieux et désobéissant s’assit sur le trône d’or des seigneurs de l’Empire.
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Tandis que de la capitale partaient des ordres vers toutes les casernes et tous les camps du nord, dans les peuplades du sud était attendu l’homme qui devait venir. Si dans un village un enfant demandait qui et comment et pourquoi et d’où et dans quel but, ses parents, ou ses grands-parents, ou ses oncles, s’il avait perdu ses parents, lui répondaient : — Celui qui s’en est allé est revenu. Les plus petits ou les plus innocents continuaient à demander : — Et il va rester avec nous ? Et les aînés souriaient et disaient : — Il s’en est allé et il est revenu, et il s’en va et revient, et il s’en ira et reviendra. — Mais pourquoi ? — Parce que tout n’est pas joué, leur expliquait-on.
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— La trahison salit et corrompt tout ce qu’elle touche – disait-elle. Je promets aux cieux et à la terre et aux gens qui la peuplent d’expier pour le reste de ma vie la culpabilité d’avoir été ta femme, d’avoir partagé ton trône, ta table et ta couche.
À nouveau ils se taisaient tous. L’enfant prince prenait un fouet que lui remettait l’un des nobles, un fouet au manche de nacre, dix-sept queues et griffes en métal à leur extrémité, et avec celui-ci châtiait la statue, ce qui restait de la statue : vingt coups qui résonnaient au milieu des arbres.
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