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EAN : 9782365776813
160 pages
Urban Comics Editions (21/08/2015)
3.14/5   7 notes
Résumé :
Humoriste en difficulté, Jerry Sullivan broie du noir. Il s'est déjà fait à l'idée de la mort, et va bientôt en apprendre bien plus sur elle qu'il ne l'aurait souhaité. Rescapé d'un terrible accident de voiture, Jerry va faire la connaissance d'un étrange personnage appelé Kid, récemment échappé des Enfers et en route pour une mission d'importance cosmique que lui aurait confié les forces du Paradis eux-mêmes. Mais pour mener à bien sa mission, Kid aura besoin de Je... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (2) Ajouter une critique
Une âme en errance
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Ce tome content une histoire complète, indépendante de toute autre qui ne nécessite aucune connaissance préalable du personnage. Il regroupe les 3 épisodes double initialement parus en 1991, écrits par Grant Morrison, et peints par Duncan Fegredo.

Sur une scène noire, avec un éclairage violet, Jerry Sullivan, un humoriste, fait son entrée et pose sa canette à terre. Il retrousse les manches de sa veste et s'approche du micro. Il déclare qu'il pense à la mort. Dans les urgences d'un hôpital, des brancardiers poussent une civière sur laquelle repose un individu qui vient d'avoir un grave accident de la route : Jerry Sullivan. Il a été repêché dans la Est River, et il présente des fractures au crâne, un pouls faible et irrégulier, des hémorragies internes. Quelque part dans un appartement de New York à une soirée, Jerry a décidé de faire une partie de Scrabble avec Denise. Il pose un E au-dessus d'un T. Ailleurs, Bob Goodfellow conduit en chantant, et en buvant du whisky. À l'hôpital, l'agent d'accueil est en train de faire un mot croisé derrière son comptoir. Il cherche un mot qui se termine par Y et dont la définition est un bonsaï dérangé qui veut vivre pour toujours. Jerry a posé deux lettres de plus : E et un R, sous le T. Dans son appartement, une femme arrose son bonsaï. À la soirée, les yuppies parlent culture contemporaine et gains financiers. Jerry a remarqué une jeune femme qui lui a tapé dans l'oeil : Val Hoffman. Elle lui lance un regard coquin. À Las Vegas, Bob Goodfellow joue avec une pièce qu'il lance en l'air d'une pichenette et qu'il rattrape : il se sent chanceux. Il rentre dans un casino.

Dans son appartement, la dame au bonsaï entend toquer, elle va ouvrir pensant que c'est son ami Richard : pas de chance. L'agent d'accueil a trouvé le mot correspondant à la définition. Dans la soirée, Jerry a également complété ce mot : Éternité. Tout d'un coup, juste sous le tableau de Pablo Picasso, sur la table où était posé le plateau de Scrabble se trouve Kid Eternity. Avec lui sont apparus un templier et un gangster des années 1930. Il se tourne vers eux en les prévenant que le Shichiriron les a suivis. Gordon, le responsable de la soirée, se tourne vers le kid pour lui demander ce qu'il fait là mais sa gorge est transpercée par derrière par une griffe. En fait ce sont ses propres vêtements qui sont en train de le tuer. Carmina Burana continue de retentir dans la stéréo. le personnage dans la peinture de Picasso s'anime et sort du cadre. Il s'en prend à Michelle et la lacère : elle fait un bruit comme Marie-Antoinette. Jerry a fini par réagir et il pousse tout le monde vers la porte pour sortir de l'appartement. Mais il se retourne comme Orphée et il ne parvient pas à détacher son regard du Kid. Il ressent comme un éclair dans son esprit, comme du bruit blanc. Son nez saigne. Il a un goût de métal dans la bouche. Il parvient à se retourner et à courir dans les escaliers. Ils descendent. D'autres ont préféré prendre l'ascenseur : les lumières s'éteignent dans la cabine, et ses parois deviennent brûlantes.

En 1989, Grant Morrison s'impose dans le monde des comics avec une histoire de Batman à nulle autre pareille : Batman : L'asile d'Arkham avec Dave McKean. Non seulement, il a réussi une histoire provocante et complexe, mais en plus la narration en peintures ne ressemble à rien d'existant auparavant, ou peu s'en faut. Les lecteurs sont donc à l'affut de tout produit qui y ressemble de près ou de loin. Cette histoire répond à ces critères : narration visuelle en peintures, événements brutaux, personnages dérangés. le lecteur est assailli de ressentis : ce comédien seul sur scène peut-être sans autre spectateur que le lecteur, parlant de mort, cette entrée fracassante aux urgences, l'accident de voiture, un prêtre au casino, une femme qui arrose son bonsaï, et pourquoi pas une partie de Scrabble tant qu'on y est ? L'approche visuelle évoque à la fois des éléments de Dave McKean en moins radical, une touche de Bill Sienkienwicz période Elektra: Assassin (Elektra - Intégrale, 1986/1987) avec Frank Miller, et enfin Paul Johnson par exemple dans ‎Mercy: Shake the World (1993) de JM DeMatteis. Couleurs expressionnistes, silhouettes aux contours imprécis ou tranchés, tâches de couleur pour le sang, les traînées des phares de voiture, mélange de peinture et de traits encrés, effets visuels (par exemple pour les néons des casinos), cases en biais, nombre de cases différent à chaque page, cadrages inhabituels, etc. C'est original et prenant. C'est déstabilisant et éprouvant à la longue.

Chaque épisode est découpé en deux chants (Canto) comme si le scénario avait été écrit pour une parution en fascicule mensuel habituel. Arrivé à la fin des deux premiers chants, le lecteur est épuisé, n'a pas compris grand-chose et en a pris plein les yeux. Il se rend compte que le scénariste s'est complètement approprié le personnage créé par Otto Binder & Sheldon Moldoff en 1942, ne conservant que le principe d'un jeune homme (et plus un enfant) qui peut appeler des personnages historiques dans le temps présent, et de Monsieur Gardien (Mister Keeper) une sorte de chaperon qu'il faut aller rechercher dans les enfers. L'artiste s'inspire vaguement de l'apparence de Morrison pour le kid. Mais bon, les situations sont imprévisibles, dérangeantes et dégageant un malaise empreint de poésie, et puis l'intrigue progresse de manière perceptible. Il ne reste plus qu'à faire confiance aux auteurs et à se laisser porter en s'accrochant. le lecteur profite du voyage avec des images saisissantes : Kid Eternity allongé sur le dos sur une table et réajustant ses lunettes rondes, la silhouette d'un tableau de Picasso prenant vie, Jerry continuant son numéro sur scène, un prédicateur sous une pluie de billets verts, un navire marchand explosé par une torpille, un escalier vers les Paradis, l'inconcevable silhouette du tribunal qui juge les âmes des défunts, des araignées ayant élu domicile dans la chevelure en choucroute d'une serveuse, une catabase spectaculaire et inventive, la vision de la cité de Dis, etc. Cela semble sans fin : le scénariste aligne les idées à un rythme effréné, et l'artiste se lâche de plus en plus pour des visuels plus entreprenants, plus téméraires.

Duncan Fegredo est tout feu, tout flamme tout du long. Il adapte son découpage de pages à chaque séquence, et parfois à chaque page : découpage traditionnel en cases alignées en ligne, illustration en pleine page, disposition en drapeau avec une case de la hauteur de la page sur la partie gauche et des cases comme accrochées sur ce mat, cases en trapèze pour rendre compte de la vivacité d'un mouvement ou d'une surprise venant bouleverser un individu, planche avec uniquement des cases de la largeur de la page, ou uniquement des cases de la hauteur de la page, cases en insert sur un dessin en pleine page, cases en spirale, etc. Il utilise la peinture pour composer des camaïeux expressionnistes en fond de case, mais aussi pour les textures, les effets spéciaux, le décalage entre des éléments matériels et des éléments surnaturels, etc. Il faut un peu de recul au lecteur pour prendre conscience de ce que l'illustrateur apporte au scénario, comment il donne à voir des concepts ébouriffants, de vraies visions qui ne devaient qu'être qu'évoquées dans le script. de son côté, le scénariste semble animé par une succession intarissable de visions et de concepts, nourris par les gros titres des faits divers et par des références culturelles parfois ésotériques, telles celles aux Séphiroth et aux Qliphoth de la Kabbale. Il invente les Shichiriron, ces êtres aux trousses de Kid Eternity.

Dans le Canto II, le lecteur découvre que Grant Morrison connaît très bien ce personnage puisqu'il en reprend les origines avec son oncle et le bateau coulé, à la lettre. Puis au cours des canto III & IV, il commence à comprendre comment les pièces du puzzle s'assemblent. Les deux derniers canto expliquant clairement ce qu'il vient de se passer, dans une intrigue logique qui aboutit à un dénouement clair. Les éléments les plus hétéroclites trouvent parfaitement leur place : la partie de Scrabble, Pablo Picasso, le sous-marin en 1942, les légendes urbaines devenant réalité, la recherche d'une carte des enfers, les maîtres de l'Ordre et les seigneurs du Chaos, et même les chaosphères. La dimension ésotérique du récit, elle-même, fait sens avec la découverte des réels responsables des événements, et leur motivation parfaitement intelligible et compréhensible. En filigrane, le lecteur peut également saisir une métaphore sur les traumatismes subis par Kid Eternity dans son enfance, et voir dans les éléments surnaturels du récit, l'expression de son syndrome de stress post traumatique, par exemple Monsieur Gardien en doudou, le comportement de son oncle comme celui d'un prédateur, et Jerry comme un individu normal devenant une sorte d'ancre pour le kid. le lecteur est récompensé au-delà de ses espérances : son investissement dans une lecture très sensorielles aboutit à un récit bien construit et poignant.

Une autre histoire peinte par l'auteur d'Arkham Asylum : une pépite oubliée ? Au début, le lecteur ressent la force visuelle des situations, tout en se disant que le scénariste a écrit au fil de l'eau avec comme seul inspiration la volonté de créer des séquences surprenantes et bizarres, et que l'artiste aurait peut-être dû opter pour une narration sage et descriptive afin de compenser. Très rapidement la force des compositions transporte le lecteur ailleurs dans des montagnes russes émotionnelles, sollicitant à plein ses sens. Petit à petit, l'intrigue devient intelligible, tout en conservant son impact émotionnel, et son sens du péril. Étant moins accessible que Arkham Asylum et sans Batman, il est compréhensible que ce récit n'ait pas marqué les esprits de la même manière, pour autant c'est du Grant Morrison en pleine forme, avec un bon artiste qui ne ménage pas sa peine. Après cette aventure qui l'a ramené au temps présent, Kid Eternity a eu droit à une série mensuelle de 16 épisodes écrites par Ann Nocenti et dessinée par Sean Phillips : Kid Eternity Book One (épisodes 1 à 9, initialement parus en 1993/1994).
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Il y a deux types de lecteurs de comics, ceux qui aiment Grant Morrison, et ceux qui ne l'aiment pas. Pareillement, il y a deux types de comics de Morisson, ceux que tout le monde pourra aimer, et ceux que seuls les aficionados de l'auteur pourront apprécier à sa juste valeur. Kid Eternity est certainement à placer dans la seconde catégorie !


Car ce que certains qualifieront de chef d’œuvre, d'autres ne pourront l'apparenter qu'à une espèce de casse-tête morbide. Mais tous reconnaîtront sans doute qu'il s'agit en tout cas d'un "extrême exercice de style intellectuel graphiquement audacieux". car cette « œuvre atypique » qu'est Kid Eternity ne laissera personne, et je dis bien personne, indifférent.

Ce comics est une œuvre hors-normes qui ne s'encombrent aucunement de perdre le lecteur dans ses méandres narratives et semble vouloir se libérer de toute contrainte de compréhension, préférant livrer un récit à « vivre » plutôt qu'à « comprendre ».


Mainte fois reconnu pour son talent et son influence sur le monde du comics, Grant Morrison est également connu pour ses récits complexes et inabordables, presque abscons, et ce même pour les plus tenaces. Et ce Kid Eternity est en effet loin d'être à la portée du premier venu ! Pourtant, le profane, soit non connaisseur du travail de l'auteur, soit habituellement hermétique à son style, pourrait néanmoins saisir, grâce à ce Kid Eternity, à la fois concis et condensé, l'occasion d'en apprendre plus sur les thèmes majeurs de Morrison.


Mais encore faudra-t-il faire preuve de courage et de concentration, accepter d'être plongé dés les premières pages dans un récit fourre-tout et onirique, où tout est possible.Et qu'il se rassure ce lecteur terre à terre, car passé cette amorce vertigineuse dans l'esprit torturé du créateur, de nombreuses pistes d'ordre et de compréhension sont à saisir, et c'est ce que nous allons tenter de trouver aujourd'hui.



L'Histoire



« - Mais je suis mort !
- Je sais. C'est là qu'on commence à se marrer. »




Pour comprendre Kid Eternity, il faut remonter aux années 40, alors que le protagoniste était un héros de comics classique apparu sous la plume d'Otto Binder et le pinceau de Sheldon Moldoff dans le numéros 25 de « Hit Comics », un périodique de bande-dessinée américaine :


« Nous sommes en 1942 et la guerre mondiale fait rage, un jeune garçon est torpillé avec son grand-père alors qu'il sont à bord d'un navire marchand, attaqués par un U-Boat. C'est alors morts qu'ils se retrouvent sur un magnifique pont semblant mener au paradis. Mais sur le point de passer la grille céleste, le jeune garçon apprend qu'il est décédé 75 ans trop tôt et qu'il n'a donc pas sa place aux cieux. N'ayant pas d'autre solution, l'ordre suprême des choses renvoie l'enfant sur terre.


L'enfant devient alors une entité bloquée entre la vie et la mort, chargé d'une mission et imprégné de super-pouvoirs. En effet, il sera dorénavant capable d'invoquer n'importe quelle figure historique ou littéraire afin que celle-ci lui prête main forte, simplement en prononçant le mot « Eternité » car « La justice jamais ne disparaîtra. Elle existera de toute éternité. » Kid Eternity, puisque ce sera désormais son nom, sera accompagner de M. Gardien, l'être divin ayant commis l'erreur au paradis, et leur principale mission sera d'installer des « sphères du Chaos » aux quatre coins de la planète, un dispositif permettant le maintien de l'ordre sur le monde.


Mais cette mission ne se fera pas sans mal puisque des êtres démoniaques, les Schichiriron, n'auront de cesse de le traquer lui et « Gar » (le diminutif de M. Gardien). C'est ainsi qu'un jour, Kid et son compagnon seront tout deux arrêtés et envoyés en enfer, sans possibilité de retour... »


Nous sommes 30 ans plus tard lorsque le récit de Morrison commence :
« Jerry Sullivan, un humoriste pessimiste et timide mène une existence où son quotidien se résume essentiellement à broyer du noir et à rire tant bien que mal de la mort. Un soir, suite à un accident de voiture sur un pont glissant, il se retrouve à moitié conscient dans un bloc opératoire où des visions cauchemardesques vont se mêler aux dialogues peu rassurants des urgentistes. Dans son délire de patient entre la vie et la mort, il rencontrera un certain Kid Eternity, un super-héros étant parvenu à s'échapper de l'enfer pour se réfugier dans l'esprit affaiblit de Jerry.


Jerry, bien qu'il s'était fait depuis longtemps à l'idée de la mort, va en apprendre bien plus sur elle qu'il ne l'aurait jamais souhaité. En effet, Kid lui explique qu'il a besoin de lui afin de retourner aux enfers et y délivrer son meilleur ami, M. Gardien. Va alors suivre une véritable catabase, une descente aux enfers, dans un au-delà torturé et cruel, où les deux hommes tenteront de découvrir la vérité dans tous ces concepts complexes et farfelus dans lesquels ils sont embarqués.


Kid découvre alors au plus profond des enfers qu'il a été trompé depuis tout ce temps. M. Gardien lui aurait en effet menti et les « sphères du Chaos » ne seraient pas un dispositif censé sauver le monde mais bien une arme élaborée par des êtres surpuissants enfermés en enfer il y a bien longtemps et bien décidés à en sortir prochainement.


C'est alors une véritable course existentielle contre la montre que vont subir les deux héros, surtout qu'un tueur sanguinaire (une réincarnation de Jack l'éventreur invoquée il y a bien longtemps par Kid Eternity qui ne put jamais être rappelée par le jeune garçon enfermé en enfer, qui ère depuis 30 ans sur terre à la recherche de victimes) à pris l'incarnation physique de Jerry comme cible… »




L'auteur




Aujourd'hui vénéré par les lecteurs de comics pour être un auteur audacieux et surprenant dont le travail ne déçoit que très rarement, Grant Morrison est avant tout un excellent créateur d'histoires. Connaisseurs presque encyclopédique (s'en est même inquiétant sous certains aspects) de l'univers lié à la firme « DC Comics » et son penchant mature « Vertigo » (celle pour qui il travaillera le plus souvent), le scénariste n'a de cesse depuis des années de jouer avec l'imagination et la mémoire du lecteur, laissant bien souvent les deux en parfait désordre après son passage, en témoignent par exemple ses runs acclamés et exaltés sur Animal Man ou Batman.


C'est à la sortie des années 80, alors que le comics subit une véritable révolution grâce à des auteurs innovant (et souvent britanniques) comme Alan Moore, Neil Gaiman ou encore Frank Miller, que Grant Morrison commence à s'emparer de vieux concepts bien souvent oubliés de la nouvelle génération, et ce afin de les moderniser et de les réinventer. Il le fera avec succès sur Animal Man et la Doom Patrol et décidera un jour de pousser le bouchon encore plus loin avec un jeune héros du nom de Kid Eternity…





Le scénario



« ON AIDAIT AUSSI LES GENS DE TEMPS EN TEMPS, POUR SE MARRER. »




Kid Eternity, avant d'être cette œuvre atypique de Grant Morrison, c'est un comics des années 40 dans tout ses clichés et ses attributs. Un personnage enfantin, des pouvoirs simplistes et presque sans limites, et surtout, un univers qui se plie littéralement aux besoins du scénario.


Prenons en exemple un scénario original d'un exemplaire du Kid Eternity des années 40 :
« Un jour, Kid Eternity croise le chemin de la première fusée martienne. L'Empereur martien a en effet décidé d'envahir la Terre. Mais la menace n'est pas prise aux sérieux par les autorités. Faisant appel au père Junipero Serra, Kid découvre la grotte ou se cachent les martiens. Ceux-ci construisent de petites fusées qui répandent une étrange moisissure verte sur Junction City. Tous les moyens conventionnels sont utilisés pour la détruire, mais rien n'entrave son inexorable progression, pas même un bombardement aérien. L'empereur martien donne alors huit heures aux terriens pour se rendre. Kid Eternity appelle Louis Pasteur afin d'examiner la moisissure, mais ce dernier ne trouve rien. Capturé par les martiens, Kid est ramené à la grotte. Ayant découvert que la moisissure est faite d'électrons, il invoque Steinmetz qui détruit la machine infernale. Privé d'énergie, le vaisseau martien plonge dans l'océan. » (Hit Comics 50 – Janvier 1948)


Mais cette simplicité fera la renommée du personnage et il deviendra très vite célèbre. Très vite mais très brièvement. C'est ainsi que dés 1946, il obtiendra son propre titre mais pour quelques numéros seulement. Il tombera alors dans l'oubli jusque dans les années 70 où la boîte DC Comics en racheta les droits à Quality Comics, son éditeur originel. Le jeune héros sera utilisé avec parcimonie par ses nouveaux papas mais ne parviendra jamais à s'imposer réellement. Il disparaît à nouveau, oublié de tous… ou presque.


Nous sommes dans les années 80 et le fameux « Brit Pack » fait son apparition dans le monde du comics moderne. Ce groupe d'auteurs britannique va littéralement s'emparer des créations américaines et, dans leur élan révolutionnaire et innovant, leur tordre tendrement le cou jusqu'à les réinventer totalement, mais toujours en respectant leur histoire, qu'ils connaissent parfaitement, en premiers fans qu'ils sont.


"Il s'agit d'un genre grinçant où s’épanouissent des héros plus durs, guère ralentis par les états d’âme qui ont toujours balisé les actions des personnages Marvel sur le modèle de Spider-Man. Les super-héros y sont confrontés aux réalités de la vie et aux problèmes de société (chômage, violence, criminalité, armes à feu, drogue…)" ("Super héros! La puissance des masques" par Jean-MarcLainé)


Grant Morrison hérite donc de Kid Eternity et va livrer au monde un récit révolutionnaire, apogée d'une décennie d'exercices narratifs et artistiques issus de l'héritage d'Alan Moore et de son amour de la déconstruction des héros aux récits naïfs du golden age et du silver age. Mais à l'inverse des récits de Moore, qui resteront encore longtemps les références du genre (avec Swamp Thing et Miracle Man en tête), ou l'auteur accompagnait progressivement le lecteur depuis la naïveté originelle jusqu'au monde des adultes sans illusions, Morrison décide lui d'être plus direct et de choisir plutôt ce qu'on pourrait appeler "la douche froide".


Direct et percutant, Kid Eternity , sous la plume de Morrison, semble se révéler plus complexe qu'il ne l'était dans les années 40, comme si les récits naïfs et manichéens du golden age dissimulaient en réalité un message tortueux sur la mort et l'au-delà, sur la dichotomie des grands mythes de l'Humanité.


Dés le début du récit, le lecteur oscille entre plusieurs temporalités et niveaux de réalité, sans doute égaré dans ces histoires imbriquées les unes dans les autres. Et c'est pile au moment où il se résigne à abandonner toute espoir de compréhension que le lecteur se voit happé par le héros (dans toute sa splendeur), Kid Eternity nous livrant quelques clés permettant de rester finalement encore un peu. Et le lecteur de sombrer alors dans l'histoire avec Jerry, le protagoniste, mener par le bout du nez jusqu'en enfer !


Morrison livre alors au lecteur un enfer personnalisé, où chacun des deux personnages, étranges et torturés, vit cette épreuve différemment, l'au-delà diabolique s'adaptant à chaque visiteur. Une fois les motifs de Kid exposés, le lecteur saisit enfin l'histoire qui va se dérouler devant ses yeux, il a enfin trouvé une bouée de sauvetage lui permettant de tourner les pages avec bien plus de confiance qu'avant.


Cet enfer reflète d’ailleurs parfaitement les intentions de Grant Morrison. A la fois lieu de perdition et de souvenirs d'enfance, cette partie de l'histoire est le symbole même du désir de l'auteur d'user d'une histoire de héros pour enfants sortis de nulle part pour la transformer en une épopée pour adultes, les souvenirs naïfs et manichéens se transformant sous les yeux du lecteur en de profondes réflexions existentielles.


Car Kid a profondément changé ! Depuis sa première apparition en 1942 jusqu'à sa réapparition aux yeux du lecteur des années 80, le héros aura passé trente ans en enfer, métaphore de l'oubli dont il fit preuve par l'ensemble des lecteurs de comics et de sa disparition totale des étales des comics-shops. Bien sûr il a conservé son pouvoir farfelu, celui de pouvoir invoquer en prononçant le mot « éternité » des personnages de l'histoire ou de la fiction qui combattent dés lors à sa place ses excentriques ennemis, bien sûr M. Gardien, l'éternel sidekick du très jeune héros, est lui aussi toujours présent, mais c'est à peu près tout. Le monde a bien changé en trente ans…


Et pour cause, Kid Eternity, en tant que projet de ramener un passé lumineux issu du golden age n'est qu'un prétexte. Une feuille blanche que Morrison va littéralement retourner, triturer, gratter et chiffonner dans tous les sens en la personne de l'auteur créatif et expressionniste qu'il est. Il profite de ce jeune garçon que les années 40 ont liées naïvement aux concepts de mort et de paradis pour nous livrer sa propre version de la Divine Comédie, voire des grands récits de Catabase des auteurs antiques que sont Homère ou Virgile.


Kid Eternity se révèle alors n'être plus uniquement qu'une œuvre surréaliste de plus d'un auteur ambitieux mais une méta-fiction digne des poèmes grecs, œuvrant à la fois au souvenir des héros d'un autre temps et à l'amélioration des actes des hommes de son temps. Un hommage aux grands écrivains ayant abordés ce thème, ayant osés bien témérairement conter un récit de descente aux enfers.


A travers ce cheminement existentiel qu'est la descente aux enfers, Morrison mélange les grandes idées religieuses et mythologiques avec plusieurs thèmes philosophiques, mais pioche également dans la métaphysique. Il recouvre le tout de nombreuses références littéraires et musicales, thèmes qu'il apprécie tout particulièrement et sur lesquels il ne se lasse jamais d'en apprendre plus au lecteur, souvent sous la forme d'un clin d’œil intelligent à propos d'une œuvre d'art que l'on pensait connaître mais qu'il nous fait voir sous un nouvel angle.


Le tout devient alors non plus un comics sur un super-héros oublié mais bien une véritable réflexion sous acide qui traite de l'existence de chaque être humain, de ses projets, de ses failles et de sa destinée, qu'elle soit provoquée ou non. Bref, Kid Eternity est une œuvre sur l'accomplissement personnel, comme toutes les catabases avant elle, Jerry Sullivan devenant, le temps d'un comics, l'Ulysse ou l'Orphée de notre époque contemporaine.


Mais Kid Eternity, c'est également un comics bourré d'idées étranges, bien souvent entremêlées les unes aux autres, sans trop se soucier d'une cohérence intrinsèque ou d'une intention didactique. Le lecteur, le récit et les protagonistes se retrouvant au même moment perdus au milieu de nulle part, sans aucune indication claire de l'endroit où aller ou de la marche à suivre. Le lecteur aura dés lors le loisir de se perdre et d'apprécier l’œuvre de manière plus superficielle tant elle regorge de trouvailles plus folles les unes que les autres, avec le même amusement que les enfants qui lisaient ce même Kid Eternity dans les années 40. Cette part enfantine à laquelle fait appel son héros, Morrison l'a très bien cernée. Mais passé cette couche externe ou il lui rend hommage par ces idées naïves et non organisées (comme pourrait l'être le coffre à jouet d'un enfant), l'auteur fait le choix de la traité plus en profondeur.


En effet, le comics, de manière plus meta-textuel, est une réponse à cette vieille idée tenace que les comics sont pour les enfants (ou les grands enfants, au mieux) et se présente alors comme un comics de super-héros très adulte de par ses thèmes et ses visuels. Voguant davantage dans la catégorie d'horreur psyché, voire d'horreur métaphysique, Morrison réorganise les souvenirs d'enfance et les clichés du comics de super-héros juvéniles afin de prouver que, et les comics et les super-héros, sont un moyen intelligent de rechercher une vérité plus large sur le sens de la vie et le concept de bien et de mal, d'ordre et de chaos. L'auteur présentant dés lors le comics non plus comme un divertissement superficiel et puéril mais bien comme un support de réflexion et d'éducation aux questions qui sont bien souvent éludées par les institutions « compétentes ». Il n'est d'ailleurs pas là impensable d'imaginer un reflet avec son parcours personnel…


La narration éclatée, les répétitions de mêmes scènes, ainsi que les transitions travaillées entre les protagonistes sont générées par une vraie réflexion et un réel talent d'écriture, s'écartant encore une fois de l'aspect facile et simplement farfelu des comics du passé tout en y faisant référence. Kid Eternity n'est plus un comics où une narration linéaire et des dialogues d'exposition viennent appuyés une imagerie aseptisée et sensationnelle, mais bien un véritable volume littéraire où le lecteur à le droit de se laisser emporter par les mots et de déguster les dialogues, ciselés, pertinents, irrévérencieux et recouverts d'une généreuse couche d'humour noir.


Car à l'instar de ces poèmes que l'on ne comprend qu'une fois lus à haute voix, dont le sens nous apparaît davantage à travers la simple musicalité des mots, de leur couleurs et de leur rythme que par ce qu'ils signifient réellement, Kid Eternity offre au lecteur un autre moyen de parcourir une œuvre littéraire, passant davantage par une vibration sensible que par une compréhension totale, par une réception évanescente que par une analyse poussée, et arrivé finalement à la fin du récit, sans beaucoup d'informations mais avec tellement de sensations et d'émotions.


L’œuvre ne parlera malheureusement pas aux lecteurs obtus, se refusant à se laisser bercer par la poésie d'un dessin, par la magie d'un texte et d'un univers, par l'obscurité permettant un certain recueillement, par la couleur pure de certains écrits, par le pouvoir de l'énigmatique. Ces lecteurs risquent très certainement de se retrouver complètement désemparés malgré le récit, bel et bien présent, qui s'étale à leur regard.


En conclusion, en invitant un personnage ancien dans notre monde moderne afin de mieux le réinventer et le plonger dans une histoire aux frontières de la folie, l'auteur fait le choix de trancher net et de le détacher assez nettement du style dans lequel il est né jadis, le dépouillant dés sa première apparition (sous les incroyables pinceaux de Duncan Fegredo, nous y reviendrons) de l'image lisse et angélique qu'on lui connaissait alors par une plongée en enfer hypnotique, hallucinatoire, voire épileptique ! C'est extrêmement sombre, c'est extrêmement dingue et ça transpire les angoisses de l'auteur qu'il tente pourtant de dissimuler par l'humour omniprésent.


Jerry Sullivan, à l'instar du lecteur, est littéralement trimbalé dans une quête qui ne semble au départ n'avoir ni queue ni tête, superposant des concepts plus fous les uns que les autres sans s'encombrer de cohérence. Mais c'est ainsi qu'il découvrira ce qui se cache derrière l'ordre apparent des choses bien qu'il ne pourra l'assimiler totalement, comme le lecteur encore une fois. Car ce même lecteur doit être prêt lorsqu'il ouvre l'ouvrage à ne pas tout comprendre. Pire ! Il doit l'accepter ! Comme lorsqu'il était enfant et que comprendre ce qu'était une « fusée à proton martienne » n'avait pas d'importance tant que l'histoire le passionnait, il doit aujourd'hui accepter de cheminer dans un récit parfois abscons, souvent difficile et d'attendre certains moments clés pour y voir plus clair. Comme une magnifique métaphore de l'existence que nous livrerait Morrison, où le passage de l'enfance à l'age adulte, avec ses désillusions et ses remises en questions de grands concepts, se faisait à tatillons, par petites touches, par minuscules moments de clairvoyance, sachant que même s
Lien : http://www.9emeart.fr/commun..
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critiques presse (3)
Sceneario
21 janvier 2016
Le premier contact que l'on a avec cet album est graphique, on découvre le travail de Fegredo, on est complètement éblouit.
Lire la critique sur le site : Sceneario
BoDoi
11 janvier 2016
Le résultat est à la fois puissant et usant, formidablement rythmé et découpé, mais parfois beaucoup trop bavard. Mais l’intérêt ne faiblit jamais vraiment, car aux pinceaux, Duncan Fegredo développe un univers pictural ébouriffant d’inventivité et de maestria, dans un style un peu daté aujourd’hui, mais qui ferait pâlir d’envie n’importe quel dessinateur.
Lire la critique sur le site : BoDoi
BullesEtOnomatopees
27 octobre 2015
Une plongée dans le chaos et l’esprit des hommes, dans l’enfer de leur âme, qui ne plaira pas à tous mais ne laissera pas indifférent.
Lire la critique sur le site : BullesEtOnomatopees
Citations et extraits (9) Voir plus Ajouter une citation
« Nous descendons, traversant cercles et bolges. Nous nous enfonçons dans la roche hurlante et la chair fondue de l'enfer. Nous passons par des lieux où des amants s'étant promis de ne jamais se séparer sont fusionnés en un enchevêtrement de chair vociférante. D'immenses tas d'amour devenus haine et folie. Par d'infinis déserts arctiques où des gens vagabondent nus et seuls sans jamais atteindre leur destination. Par les rues de villes mourantes où les pierres des maisons saignent et implorent le pardon, où les robinets fuient et les cœurs brûlent continuellement. Où des hommes et des femmes sont si monstrueusement gigantesques qu'ils ne sont que d'immenses carcasses immobiles. Ils ne peuvent que crier et pleurer tandis que d'autres créatures damnées creusent et construisent dans leur chair. Toujours plus profond… dans l’absurde et accablante banalité de l'enfer. »
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- je ne peux pas rester, j'arrive pas à respirer.
- Évidement que tu ne peux pas respirer, je te rappelle que tu es mort !
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« Les mots semblaient avoir été mastiqués par des insectes et recrachés en une gelée informe »
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On va sortir de l'enfer. Mais le peut-on vraiment ? Puisqu'il vous suit quand vous partez.
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« il n'y a qu'une blague à laquelle on peut vraiment rire, et c'est l'existence. »
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