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EAN : 9791036000423
512 pages
L’Atalante (16/04/2020)
3.92/5   77 notes
Résumé :
Une corneille seule n’est pas une corneille.
Une corneille ne tue jamais une autre corneille.

Dans un futur proche ravagé par la pollution, un vieil homme nous raconte qu’une Corneille nommée Dar Duchesne – la première de tous les temps à avoir porté un nom – lui a raconté ses nombreuses vies et morts au pays de Kra…

Alors que nous sommes dans un monde qui finit par devenir différent de celui où nous sommes nés, Kra : Dar Duchesn... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (22) Voir plus Ajouter une critique
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Ce qui s'apparenterait à un roman d'aventure et de voyage à travers les yeux d'une Corneille, est en réalité un roman philosophique mêlant étrangeté morbide et humour.

Comme vous l'avez compris, le protagoniste est une Corneille, Dar du Chêne de l'herbe (Dar Duchesne). Mais loin d'être anthropomorphique, Dar Duchesne ne comprendra jamais le comportement des humains. C'est en observant ces derniers que l'oiseau apprendra à communiquer avec eux.

L'Oiseau de mort. Cet oiseau nécrophage qui se nourrit des cadavres deviendra aux yeux de l'Homme le symbole de la mortalité. Tandis que pour Dar Duchesne, cette association restera pour elle un mystère : « Pour ces animaux-là, il était difficile de comprendre ce que faisaient les Humains. Les Humains leur paraissaient aimer la mort : ils chérissaient les cadavres de leurs semblables et s'évertuaient à en augmenter le nombre, pour les traiter en bien ou en mal. » Tout au long de sa vie, Dar Duchesne les contemplera se massacrer, sacraliser les cadavres des alliés ou au contraire de proposer la pitance des ennemis morts aux Corneilles. Ils s'accrochent à cette Corneille capable de communiquer et espèrent d'elle l'éternité…

Il m'a été difficile de le commencer (deux tentatives) et certains passages m'ont semblé longs. Mais enfin lancée, je l'ai trouvé magistral ! Certains moments m'ont fait rire et d'autres m'ont énormément captivé. J'ai ressenti de l'effroi, j'ai ressenti de l'Amour, j'ai ressenti de la compassion, du chagrin et de l'amusement. Peu de romans parviendront à me transmettre autant de sentiments. Ma bibliothécaire crie au chef-d'oeuvre. Il faut d'abord que je me remette de cette immersion pour approuver ou pas. Car tandis qu'il a été difficile d'y rentrer, il est maintenant difficile d'en sortir.
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Les amitiés babéliotes (est-ce le bon suffixe ?) ont ce pouvoir remarquable de vous emporter vers un horizon littéraire que vous sentez totalement étranger. Sans le billet passionnant de JustAWorld, il est fort probable que je ne me serais pas aventurée dans l'univers de John Crowley, ni n'aurais envisagé la lecture de son dernier roman Kra qui s'est révélé fascinant pour son souffle mystique et ses strates narratives fécondes.

Entre conte épique et fantasy historique, tout est colossal : le thème, la construction, l'ampleur de la narration, chaque page tournée laisse le sentiment de visiter un édifice à l'architecture époustouflante. Un peu à la manière de William H. Gass, Crowley affectionne les fictions amples et complexes dont l'ambition est de considérer la condition humaine jusqu'aux interrogations métaphysiques.

Ici, l'auteur américain imagine une corneille devenue immortelle traverser les différents âges de l'humanité, des commencements à nos sociétés contemporaines malades de leur opulence où tente de survivre une humanité à bout de souffle.
On pourrait penser que cette longévité irradie avec le temps, qu'elle dote notre animal de pouvoirs extraordinaires. Mais l'auteur lui a réservé un destin plus propice à la réflexion cette immortalité permettant avant tout à cette corneille d'approfondir son rapport au monde et celui des autres, les humains. Ce groupe mystérieux qu'elle observe, guette et accompagne dans la vie comme dans la mort, que ce soit dans le cadre des rites chamaniques des sociétés primitives aux cadavres dont elle se repaît laissés sur les champs de guerre.

John Crowley déroule ainsi le récit à hauteur de corneille, toujours à la périphérie de la conscience, dans l'interstice entre l'intuition et l'oubli pour ne pas prêter à cet animal des attributs humains. On progresse à coup de réminiscences vagues, la perception se trouble parfois dans ce monde où réalité, mythes et croyances se télescopent et entrent en résonances les uns avec autres. Mais cette complexité ne nuit en rien à la fluidité du récit.
C'est l'émerveillement qui l'emporte parce que non seulement l'auteur nous offre une perspective originale de l'histoire de la civilisation humaine mais aussi les aventures de cette corneille deviennent le support d'une réflexion et d'une rêverie intensément poétiques.
Kra fut une lecture passionnante, vertigineuse, je dirai même un moment de grâce bien difficile à retranscrire dans ces lignes. Et John Crowley est assurément un écrivain remarquable, il compte parmi ceux capables à travers une vision hallucinée de donner à l'expérience du monde un sens.
Roman inoubliable.

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« Les mots sont plus grands que leur sens, et capables de vivre sans eux. »

Les livres sont mes compagnons d'évasion, une porte ouverte vers d'autres horizons. Chaque année, pour Noël, je m'offre un roman. Je prends le temps de le choisir, ne recherchant pas forcément la notoriété d'un auteur, d'un livre ou d'une maison d'édition. Je recherche un roman dense, original, bien écrit, et qui fait rêver. Et cette année, je me suis laissée tenter par « Kra » de John Crowley, suite à la critique très prometteuse de JustAWord que je remercie.
La couverture et des illustrations intérieures signées Sonia Chaghatzbanian sont superbes, mais je trouve vraiment dommage que l'impression soit de mauvaise qualité avec le titre en lettres dorées qui s'efface.

*
En raison de leur plumage noir, de leur croassement rauque et lugubre, de leur rapacité et de leur nécrophagie, les corneilles et corbeaux sont, depuis toujours, dépeints comme des oiseaux de mauvais augure, porteurs de mort et de malheur.

« C'est peut-être à cette époque que les jeunes Humains se mirent à lire leur destin dans les Corneilles qu'ils dénombraient :

Une pour la peine
Deux pour la joie
Trois pour une fille
Quatre pour un gars
Cinq pour l'argent
Six pour l'or
Sept pour un secret qu'on cache encore

Les Corneilles de la région auraient pu leur dire qu'on en voit toujours moins qu'il n'y en a en réalité ; mais, comme les rares flocons de neige qu'on reçoit sur la langue ou les feuilles mortes qu'on réussit à attraper, ce ne sont que ceux ou celles qu'on dénombre qui importent. »

Les corvidés ont une influence considérable dans de nombreuses cultures (amérindienne, scandinave, asiatique, grecque, romaine...). Les mythes, les légendes, les croyances se sont tissés depuis le début de l'humanité autour de ces animaux funestes.
La littérature de toutes les époques s'est également emparée de cet animal, considéré comme un intermédiaire entre la vie et la mort.

« Quand tu rentreras chez toi, tu vas raconter ton histoire, …, et cette histoire sera répétée, et répétée encore. Même quand tu seras mort, on continuera de la raconter ; tu parleras et agiras alors à travers cette histoire et tu seras à nouveau en vie. »

C'est ainsi que John Crowley, primé en 2021 pour ce récit, offre aux lecteurs un roman fantastique insolite dans lequel le rôle principal a été confié à une corneille nommée Dar Duchesne, la première de toute L Histoire des hommes à avoir porté un nom à elle.

*
Alors que les conditions climatiques se dégradent sur la Terre, un vieil homme trouve une corneille blessée dans son jardin.
En la soignant, il se rend très vite compte que cet oiseau est différent de ses congénères et qu'il cherche à communiquer avec lui. Avec le temps et en écoutant avec plus d'attention les cris de l'oiseau, l'homme est stupéfait de le comprendre. Et c'est ainsi qu'il va écouter le récit de cette corneille vieille de deux mille ans, qui a voyagé et est descendu à plusieurs reprises dans le royaume des morts dans lequel elle s'est emparée du secret de l'immortalité.

*
Condamné à la vie éternelle, Dar a traversé les âges, de la préhistoire jusqu'à un futur indéterminé en déclin progressif, en passant par l'Europe médiévale, la colonisation du Nouveau Monde, et la guerre de Sécession.
Dar vole d'une période à une autre, et ses aventures, parfois ordinaires, d'autres fois magiques, offrent une vision personnelle de l'histoire des hommes à travers le temps.

« Il m'est à cet instant venu à l'esprit pour la première fois que Dar Duchesne a peut-être vécu des vies qu'il ne se rappelle pas aujourd'hui – des vies trop courtes, trop insignifiantes, ou tout bonnement perdues dans le temps et indisponibles pour en faire des histoires ou des souvenirs. J'y ai réfléchi. Je me demande en outre si les histoires qu'il me raconte, ou les vies qu'il se rappelle avoir vécues et quittées, relèvent d'un choix à ma seule intention. Celles que j'ai le plus besoin d'entendre. Il est possible qu'aux Corneilles il en raconte d'autres qui leur sont d'un grand intérêt. Celles-ci sont les miennes. »

Durant ce long récit, Kra va s'attacher à quelques humains, mais tout en gardant son instinct : une jeune fille chamane, un moine, un guérisseur amérindien, une jeune voyante aveugle et, enfin, le narrateur de l'histoire.
Pour ma part, je ne peux pas dire que je me sois attachée à Kra, alors que j'aime les oiseaux. Son appétit vorace de chair en putréfaction m'a refroidie et légèrement écoeurée. Mais j'ai aimé suivre ses aventures.

« Nous sommes maintenant faits d'histoires, mon frère. Voilà pourquoi nous ne mourons jamais, même quand ça nous arrive. »

*
L'histoire traverse l'espace et le temps, offrant de belles réflexions philosophiques sur la vie, l'importance du nom, l'appartenance à un groupe, le pouvoir des histoires, la mortalité, la mort.
Et malgré toute cette noirceur et cette morbidité, j'ai trouvé l'histoire lumineuse, emprunte de merveilleux et de magie.

*
Ce qui m'a beaucoup plu, outre l'écriture de l'auteur, à la fois poétique et imagée, c'est l'originalité du procédé narratif. En effet, l'histoire est racontée du point de vue du corbeau, par l'intermédiaire du vieillard. Ce sont bien les pensées de l'oiseau qui sont clairement exprimées, et sa propre voix résonne de son regard ignorant et lacunaire sur le monde des hommes.

L'auteur a sûrement fait des recherches assez poussées sur les oiseaux et en particulier les corneilles et les corbeaux car il réussit à incorporer subtilement dans l'intrigue leurs caractéristiques biologiques et leur comportement social, nous rendant Kra plus accessible.
*
L'écriture de l'auteur est vraiment très belle, à la fois onirique, imagée et contemplative. Certains passages sont magnifiques, d'autres effrayants, nauséeux ou répugnants.

« Si les Humains devaient décrire les Corneilles, j'imagine qu'ils les compareraient à une écharpe noire aérienne étalée depuis l'autre côté de l'horizon jusqu'au milieu du ciel. »

*
« Kra » est un roman qui brouille les frontières entre les genres littéraires. Entre réalisme magique et Fantasy historique, John Crowley propose un roman unique, étonnant, ambitieux, une fable douce-amère captivante, mais également exigeante. Ce roman se lit et se digère lentement pour en apprécier toute sa richesse.
Si vous aimez les mythes, si vous êtes attirés par des romans atypiques qui dépassent les limites de genres littéraires, ou bien, si les corneilles vous fascinent, laissez-vous tenter par l'histoire de Dar.
Quoi de plus intrigant que de vivre les histoires d'une corneille chapardeuse et égoïste, porteuse de mort !

« Dans la Terre il est une Porte
Vers les Cieux – quelque part – Où le Tégument et l'Esprit – À jamais – se Séparent. »
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L'imaginaire en France reprendrait-il des couleurs ?
L'année dernière a en effet été marquée par la sortie de plusieurs ouvrages (très) ambitieux et particulièrement exigeants sur le plan littéraire.
On pense notamment à Trop Semblable à l'éclair d'Ada Palmer au Bélial' ou à Vorhh de Brian Catling chez Outre Fleuve mais aussi, et surtout, au sublime Vita Nostra de Marina & Sergueï Diatchenko, roman de fantasy subtil et brillant paru aux éditions L'Atalante.
Fort de ces succès critique et public, les éditions L'Atalante ont décidé de tenter un second coup de poker en confiant à Patrick Couton la traduction d'un ouvrage aussi érudit qu'ambitieux : Kra, Dar Duchesne dans les ruines de l'Ymr.

John Crowley, le retour d'un géant
La traduction française de Kra marque surtout le retour dans l'Hexagone d'un fabuleux auteur américain : John Crowley.
On se souvient tout particulièrement de L'Été Machine, son roman post-apocalyptique joyeux ou encore de son chef d'oeuvre fantastique, le Parlement des Fées.
Pourtant, depuis 1997 et le second volet de sa tétralogie Ægypt (qui n'a jamais été intégralement traduit en français…), aucune nouvelle fraîche de l'écrivain à l'exception de quelques rééditions ici ou là.
Le public français serait-il réfractaire au style de l'américain ?
Ce n'est pas l'avis de L'Atalante qui nous offre son dernier roman en date, Kra, petit pavé de 500 pages paru en 2017 et lauréat du Mythopoeic Fantasy Award l'année suivante.
Il était grand temps de retrouver la plume unique de John Crowley et son talent de conteur à nul autre pareil.

Des hommes et des corneilles
Tout commence par le sauvetage d'une corneille malade par un homme endeuillé. Dans un futur sinistre où l'humanité a quasiment réussi à s'autodétruire, notre narrateur existe encore, hantée par la mort de sa femme, Debra, qui le suit en clair-obscur comme un rappel de sa fin prochaine et inéluctable.
En recueillant cette corneille balafrée d'une étrange marque blanche, l'homme ne sait pas qu'il vient de venir en aide à Dar Duchesne, un immortel qui a vu le début du monde…et qui en verra certainement sa fin !
Dar Duchesne, qui connaît la langue des hommes, se met alors à raconter à son bienfaiteur des histoires tirées de ses multiples vies, des histoires incroyables et terribles, belles à en mourir, vieilles à en pâlir.
John Crowley utilise sa langue poétique et sensible pour se pencher sur l'existence d'un animal. Mais pas n'importe lequel : la Corneille. Cet oiseau tout de noir que l'on dit messager de la mort, un oiseau de mauvaise augure, un mauvais présage, un charognard.
Seulement voilà, John Crowley a une autre idée en tête. Il imagine un royaume, celui du Kra, celui des Corneilles, et un autre, l'Ymr, celui des humains. Il imagine des mondes, des époques, des histoires, des épopées.
Le roman égraine les siècles et offre par le détail la vie des Corneilles, ou, plutôt, de LA corneille.
LA Corneille, un jour, rencontre des êtres étranges, des deux-pattes qui manipulent des bâtons. Bien vite, il apprend que les deux-pattes se nomment eux-mêmes humains grâce à Toque de Renard, chaman en devenir, ni homme, ni femme, indompté et indomptable. Avec Toque de Renard, la corneille comprend l'importance du nom, l'importance de nommer ce qui l'entoure…de se nommer. C'est avec le nom que l'on devient immortel, c'est avec le nom que l'on donne une existence aux choses, qu'on se les approprie.
Alors, la Corneille devient Dar Duchesne et nous parle de ses aventures de Corneille. Il nous explique les dangers de son existence, les règles qui régissent le monde des corneilles, leur immortalité et leurs royaumes, leur accouplement et leur dortoir.
John Crowley déroule le monde de Dar Duchesne comme une fabuleuse aventure épique, où l'amour, la mort, la chasse, la communion s'entremêlent.
Tout est en place pour l'exploit.

Des histoires qui font le monde
Au gré des pages, Dar Duchesne traverse le temps. Il rencontre les premiers Hommes et mêle le destin des corneilles et celui des êtres humains. Il donne aux hommes décédés une possibilité de rejoindre l'autre Royaume, apprend aux autres qu'ils peuvent échanger avec les deux-pattes, qu'ils peuvent coopérer, coexister.
John Crowley ne se contente pourtant pas d'une seule histoire, il nous en raconte une myriade. Revisitant les légendes et mythes de l'humanité, de Virgile à Prométhée en passant par la Genèse, Dar Duchesne semble tout vivre. Il vole la chose la plus précieuse avant de se brûler les ailes, il part aux Enfers pour ramener son aimée, il se sacrifie pour les siens tel un martyr de plumes noirs.
Pourtant, c'est définitivement lors de sa visite de la Vallée du Bonheur avec Toque de Renard que Dar Duchesne commet l'irréparable.
Par accident, il égare l'immortalité et celle-ci devient son fardeau.
Quel est la chose la plus précieuse pour le vivant ?
Si certains répondront la vie éternelle, John Crowley, avec malice et subtilité, répond l'inverse. C'est la mort qui devient un cadeau, une finitude qui permet d'apprécier son existence et surtout, qui évite de voir les autres mourir, de perdre les siens, de se perdre soi avec le temps.
Alors que se passe-t-il pour Dar Duchesne ? La vie, voilà ce qu'il se passe. Malgré des morts tragiques, la corneille revient toujours au monde des hommes et poursuit son existence. Il communique avec d'autres oiseaux, noue des amitiés avec des Saints et avec des Indiens, contemple la boucherie de la guerre de Sécession, renverse un tueur de corneilles…et surtout, Dar Duchesne aime et aime encore, malgré ses réticences et ses doutes.
De Renardeaux à Na Cerise, la corneille éternelle devient de plus en plus humaine avec le temps. Ses émotions, sa compréhension des autres, son empathie, tout concourt à faire de Dar Duchesne un homme ET une corneille d'exception.
Mais surtout, surtout, Dar Duchesne raconte.
Encore, encore. Et encore !
John Crowley, à travers son masque de plumes noires, réfléchit sur le pouvoir de l'histoire elle-même et, derrière elle, sur celui du conteur. Qu'est-ce que l'humanité si ce n'est un ensemble de noms et d'histoires, des mots puissants qui vivent pour toujours ? Dans cette oeuvre somme, l'américain semble regarder son propre travail de conteur pour se mesurer aux plus grands mythes, aux plus vibrantes légendes. Il se les réapproprient, les modifient, les modernisent. Il les fait tout simplement revivre encore et encore, cycle après cycle, itération après itération.
Le pouvoir de Kra est là, celui d'analyser le rôle des histoires sur le monde et d'en tirer une conclusion époustouflante : « Nous sommes faits d'histoires » et sans elles, le monde meurt. le monde s'arrête. Grâce à nos imaginaires, à nos aventures fantasmées ou réelles, sanguinaires ou bienveillantes, héroïques ou égoïstes, nous sommes et le monde est.
Ainsi tourne l'univers, sous la plume de John Crowley et de milliers d'autres, de chacun et de chacune d'entre nous, sorciers et magiciennes de notre propre existence.
En filigrane, avec une intelligence époustouflante, Kra devient également un livre de deuil, une façon d'accepter la mort de l'autre et de survivre pour raconter son histoire, sa vérité, ses émotions, ses larmes, ses cris.
Et tout part d'une rencontre, celle d'un homme qui pense être prêt à mourir et celle d'une corneille qui n'en peut plus de vivre.
Mais peu importe ce qu'il se passe, on ne revient jamais sur ce qui fut, on avance, toujours, tout simplement, jusqu'au bout.

Roman exigeant mais d'une infinie beauté, Kra revisite nos légendes et nos croyances, notre passé et notre futur, construit des royaumes et des histoires pour porter le monde et les hommes.
C'est immensément beau, incroyablement dense, extraordinairement rare.
John Crowley parvient au sommet, là-bas, très haut, sur le mont Olympe, parmi les Dieux conteurs de notre temps…et pour longtemps !
Lien : https://justaword.fr/kra-dar..
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Dar Duchesne est une Corneille qui assiste à l'avènement de l'humanité avec un esprit critique que beaucoup d'humains lui envieraient.

Dans un futur très proche, une corneille blessée est recueillie et soignée par un homme. La corneille, qui parle notre langue, va alors lui révéler son immortalité et les histoires qu'elle a vécue depuis le début de l'humanité.

Le récit suit ainsi plusieurs époques.
Au début, la corneille vit avec ses congénères jusqu'à ce qu'elle rencontre et se lie d'amitié avec un shaman issue d'une tribu primitive. de par sa nature extraordinaire, elle va réussir à communiquer avec les humains. Elle apprendra ainsi à nommer les choses. Dès lors, elle nommera le Kra comme le royaume des corneilles et l'Ymr celui des hommes. Dar Duchesne explique le mode de vie des corneilles, comment elles ont acquis leur sinistre réputation de charognards et de mauvais présage.
L'auteur mêle des explications zoologiques et mythologiques dans un récit un peu confus où la corneille sert de témoin à l'avènement et au déclin de l'humanité. Les mondes imaginaires se mêlent à la réalité lorsque la corneille fait l'expérience de visites dans le royaume des morts, des fées ou au purgatoire où elle assistera au jugement d'âmes.
Lors d'un de ces épisodes, Dar Duchène va partir à la recherche du « bien le plus précieux » pour les hommes. Il trouvera ce bien et le perdra aussitôt ce qui lui vaudra sa malédiction. Devenu immortel, il deviendra le conteur, celui qui témoigne du passé mais qui ne peut sauver celles et ceux à qui il tient.
Condamné à mourir et à renaître sans cesse, la corneille nous parle également du deuil et de la mémoire. L'immortalité du conteur et de ses histoires est traitée de façon poétique, j'ai beaucoup apprécié.

Une écriture dense pour une lecture exigeante. de réflexions philosophiques en passages oniriques, l'auteur m'a plusieurs fois perdue dans ses messages. Au final, je ressors de ma lecture avec un sentiment mitigé. D'un côté j'ai fait un beau voyage en compagnie de cette corneille hors du commun et de l'autre, rien de marquant dans l'intérêt que j'ai pu avoir par moment.

Une lecture déconcertante mais plutôt agréable.
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critiques presse (1)
Liberation
16 septembre 2020
Une traversée picaresque qui s’avère mythologique et métaphysique.
Lire la critique sur le site : Liberation
Citations et extraits (32) Voir plus Ajouter une citation
Les Corneilles finirent par beaucoup s'amuser de ces mannequins; bien qu'elles n'identifient pas les multiples représentations que les humains se donnent eux-mêmes, le recours à l'épouvantail est tellement évident qu'elles ne se trompent pas, et il produit le même effet sur leur sens de l'humour qu'une blague sur certains individus. Elles se plaisent à feindre au début un brin de frayeur avant d'aller se percher sur les bras écartés du faux paysan et lui croasser à la figure - car les Corneilles croassent de plaisir en cas de drôlerie et de surprise : un cri qu'on finit par reconnaître à force de les étudier.
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Oiseau de mort. Memento mori, comme l'appelait parfois le Frère dans l'autre langue, la langue spéciale. Mais c'étaient eux, les Humains, qui s'intéressaient à la mort. Ce que voulait une Corneille, c'était vivre : elle le voulait dans un repli si profond de son être qu'on ne pouvait ni le trouver, ni le nommer, ni en parler.
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De la compassion. Voilà ce qu'il ressentait dans la poitrine et derrière les paupières quand il allait se percher, bien caché, pour dormir. Il n'avait pas de mot dans la langue du Kra pour ce sentiment; il n'en existait pas parce qu'il était la première Corneille à l'éprouver. De la compassion pour ces âmes aux prises avec les complications terribles de l'existence qu'elles s'étaient donnée, qui s'étaient échinés avec autant de constance et d'acharnement que les Abeilles en mettent à construire leurs ruches, sauf que les ruches de ces âmes-là ne recelaient pas de miel. Des vies de labeur, des batailles et des morts, tout ça en vain, pour rien, voire pire : sans raison.
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Pour ces animaux-là, il était difficile de comprendre ce que faisaient les Humains. Les Humains leur paraissaient aimer la mort : ils chérissaient les cadavres de leurs semblables et s'évertuaient à en augmenter le nombre, pour les traiter en bien ou en mal.
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Les Corneilles n’ont pas de morts.
Ne croyez pas qu’elles vivent éternellement, qu’elles ne meurent jamais, même si l’Ymr les en a crues capables à des périodes diverses. Ne croyez pas non plus qu’elles se fichent complètement de celles qui meurent, ou qu’elles ne déplorent pas leur disparition : c’est tout le contraire. Les mères qui ont perdu des petits, la survivante d’un couple – elles peuvent en devenir folles. Elles détestent la mort ; la découverte d’une Corneille morte peut donner lieu à des heures de lamentations bruyantes dans toute une congrégation, qui évitera pendant longtemps le lieu abhorré. Qu’on laisse ne serait-ce qu’un lambeau de plastique noir dans un champ, et les Corneilles viendront y pousser des cris d’horreur et d’alerte, en se tenant à distance jusqu’à ce qu’elles se risquent à s’approcher et constatent leur méprise.
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Vidéo de John Crowley
Une corneille seule n'est pas une corneille. Une corneille ne tue jamais une autre corneille.
Dans un futur proche ravagé par la pollution, un vieil homme nous raconte qu'une Corneille nommée Dar Duchesne – la première de tous les temps à avoir porté un nom – lui a raconté ses nombreuses vies et morts au pays de Kra…
« Alors que nous sommes dans un monde qui finit par devenir différent de celui où nous sommes nés, Kra : Dar Duchesne dans les ruines de Ymr, permet sans doute à John Crowley d'avancer un peu plus vers l'immortalité littéraire. » Patrick Gyger
https://www.l-atalante.com/catalogue/la-dentelle-du-cygne/kra-9791036000423/
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