Avant toute chose, je tiens à remercier les éditions Mnémos ainsi que Babelio et l'opération Masse Critique pour la découverte de ce livre ♥
L'Archipel des Numinées, c'est avant tout un voyage dans la principauté du même nom. Un voyage à travers des îles et des cités bien différentes, mais également un voyage littéraire, les trois parties de l'ouvrage étant en effet fort différentes les unes des autres. Mais, d'un bout à l'autre, la jolie plume de l'autrice demeure fidèle à elle-même, avec des descriptions précises qui font mouche, tantôt délicates pour parler des décors, des tenues ou de certaines émotions, tantôt fort peu ragoûtantes. Sans oublier les nombreuses poésies et parodies de romans à l'eau de rose qui viennent donner à cet univers encore un peu plus d'épaisseur. L'autre point fort du titre, c'est la chouette diversité que l'on y trouve : les différents protagonistes sont d'ethnies variées et tout le monde ou presque est bi. Ça fait plaisir à lire !
En parlant de plaisir de lire, il est temps d'évoquer Arachnae, petit bijou de noirceur. Nous voilà propulsés dans des ruelles envahies par la crasse, l'humidité et où règne la loi du plus fort – il y a bien des gardes, mais ceux-ci font preuve d'une relative souplesse tant que les crimes ne sont pas trop graves. Ça tombe bien : un tueur en série particulièrement abject rôde et il faudra toute l'ingéniosité des personnages pour le débusquer. Entre Théodora, bretteuse élue par le destin mais paumée au possible, Tigran, qui tente de rester droit dans ses bottes dans un cadre qui ne s'y prête pas vraiment, et Ornella, courtisane bien décidée à se rendre utile, sans oublier le point de vue de certaines victimes, on n'a pas le temps de s'ennuyer. Et tant pis si l'intrigue est prévisible et possède quelques facilités : l'entièreté de l'intrigue tournant autour du destin et ce, dès les premières lignes, ça ne semble pas ici artificiel mais au contraire maîtrisé. D'autant que les morts s'accumulent et que personne ne semble à l'abri ! Sans oublier que pendant ce temps, du côté de la noblesse locale, ça magouille sévère... Histoire à multiples tiroirs, Arachnae est vraiment un excellent récit, où les choses ne se passent pas toujours comme on voudrait (et plus rarement encore comme les personnages le voudraient), illustrant très bien la vie dans toute sa cruauté.
Et puis, brutalement, changement d'ambiance. Nous voilà à Venise – pardon, Cribella, même si la différence est assez ténue. Là encore, un tueur en série est à l'oeuvre, mais le récit et l'atmosphère s'avèrent beaucoup moins noirs et ce, malgré la dépression qui ronge Nola, l'héroïne principale. Une dépression moyennement convaincante ; si le vide ressenti par la jeune femme est bien retranscrit, ses racines semblent futiles et sa façon de s'automutiler n'émeut guère. Bref, Nola est une tête à claques insupportable qui ne finit par se secouer que pour de mauvaises raisons. Oh, ce n'est pas comme si les autres protagonistes étaient à peine moins irritants : leurs relations se résument à machin aime bidule qui aime truc qui-couche-avec-chose-mais-qui-ne-l'aime-pas, c'est ballot. On se croirait presque dans un mauvais manga shojo. Mais Cytheriae n'est pas mauvais pour autant, non, reste l'intrigue, à base d'état répressif et d'inégalités sociales, et le décor, cette fameuse cité de Cribella, avec ses canaux et ses bâtiments sur pilotis qui s'enfoncent lentement dans la vase. Ainsi, si cette partie s'avère beaucoup moins accrocheuse, son rythme plus lent, son scénario plus classique, ça se lit, même si c'est quand même un peu la douche froide. Et pourtant, ce n'est pas Arachnae mais bien Cytheriae qui a raflé des prix... Les goûts et les couleurs, sans doute. Ou alors peut-être était-ce un tort de les lire à la suite. Toujours est-il que cette seconde partie, beaucoup moins aboutie, souffre méchamment de la comparaison.
Mais ça, ce n'est rien à côté de la dernière. La première chose qui marque dans Matricia, c'est la construction du texte : la narration se focalise, façon mille-et-une-nuits, sur les récits alternés de deux protagonistes, balançant des bribes de leur vie dans le désordre et dévoilant l'histoire de leur très instable famille. Un clan où règnent inceste, meurtre et trahison. Et ça déroute. Parce qu'il faut l'avouer, c'est bien joli tout ça, l'effet de style est indéniable, avec les deux narrateurs qui s'adressent l'un à l'autre, mais pas intéressant pour un rond. La vie de Dionisia, son enfance dans la ville-cimetière et son ascension dans la haute société de l'île à grands renforts de danses exotiques et de minauderies s'avère so-po-ri-fique au possible ; celle d'Alino, être corrompu, plus encore. Ok les gars, vous n'avez pas su gérer vos vies, mais votre petit jeu de cartes, là, on s'en fout, d'autant que pendant ce temps-là, l'île est en proie à UNE P**** D'ÉPIDEMIE ZOMBIE. de rares chapitres isolés, bien trop courts, s'attardent sur la progression d'un personnage déjà connu à travers ruines et paysages accidentés, tandis que des hordes de morts-vivants lui courent derrière. Et bon sang que c'est bon ! Ça permet de souffler un peu entre les longs flashbacks qui composent l'essentiel de cette partie, mais ça ne suffit hélas pas à la sauver. Pourquoi, ô, pourquoi n'avoir pas davantage exploité cet aspect ? Mystère et boule de gomme. En tout cas, la fin est rapide, précipitée, certaines choses pas forcément crédibles (le coup du solitaire taciturne qui s'attache illico à une gamine, really ?) et la conclusion plutôt ouverte... Bref, Matricia, difficile de savoir quoi en penser. Trop différent des deux précédents, trop brouillon, bourré de bonnes idées, de jolis décors dont on ne voit que trop peu, d'explications plus que bancales pour lier le truc aux parties précédentes. J'ai essayé, vraiment, mais rien à faire : je me suis ennuyé comme pas permis.
Bref, le bilan est mitigé : si Arachnae a frôlé le coup de coeur de peu, Cytheriae n'a pas su me convaincre, la faute en grande partie à ses personnages ; quant à Matricia... vous avez compris. Pourtant, dans son ensemble, cette intégrale possède vraiment un petit quelque chose, avec son univers à peine magique mais riche en arts, mis en valeur par la plume finement ciselée de
Charlotte Bousquet.
En revanche, ce qui ne le met pas en valeur, c'est le nombre hallucinant de coquilles qui parsèment le texte ! Lettres ou mots manquants, minuscules/majuscules, fautes en goguette... c'est un véritable festival. C'est bien simple, à titre de comparaison, la plupart des auto-édités que j'ai pu lire, à qui il est pourtant souvent reproché de faire preuve d'un certain laxisme à ce sujet, étaient bien mieux relus et corrigés. Mnémos est pourtant une maison d'édition sérieuse d'habitude... Que s'est-il passé, mystère. Toujours est-il que ça agace rapidement, d'autant plus vu le côté « deluxe » de l'ouvrage.
De toutes façons, vu le sentiment mitigé laissé par les deux dernières parties, mieux vaut sans doute se contenter d'Arachnae en tome simple, d'autant que l'histoire se suffit très bien à elle-même.