"
Sistac" nous faisait suivre son héros éponyme -Jean de son prénom-, poursuivi par le terrible chasseur de primes Goodfellow, sa tête ayant été mise à prix après qu'il eut abattu -en état de légitime défense- trois soldats de l'armée confédérée.
Avec "
L'Autre",
Charlie Galibert nous place cette fois aux côtés du chasseur, et tente de nous éclairer sur l'obscure et insaisissable personnalité de Janus Schulmeister dit Goodfellow. Un récit placé sous le signe de l'incertitude et des hypothèses, comme l'annonce la (fausse ?) note de l'éditeur en préambule, expliquant que suite à la parution de "
Sistac", un professeur d'histoire de l'Université de Phoenix aurait reconnu en Goodfellow la figure d'un aventurier autrichien ayant réellement existé : Janus Ripberger. A l'issue d'un échange "riche et animé" entre l'historien et
Charlie Galibert, il a ainsi été convenu que ce dernier rende justice à l'aventurier autrichien en lui consacrant à son tour un récit, qu'il pourrait nourrir des notes de recherche et des documents que le professeur mettrait à sa disposition.
Comme "
Sistac", "
L'Autre" est une suite de courts paragraphes. Il s'en démarque en revanche par la variété de son érudition, la multiplicité de ses références historiques réelles ou inventées, et ses nombreuses digressions. Les fragments biographiques sont ainsi entrecoupés de digressions métaphysiques, de compte-rendus techniques très détaillés allant du comparatif des caractéristiques des armes à feu à la liste des soins nécessaires à l'entretien de sa monture, de passages évoquant les coutumes cocasses ou libertines de tribus indiennes aux noms loufoques, d'anecdotes truffées d'anachronismes (vous pouvez par exemple y croiser un cow-boy entonnant "La vie en rose" à une putain mexicaine, ou un autre chantonnant un titre de Nicole Croisille)… Les références bibliques ou mythologiques s'entremêlent à la culture populaire, l'argot et la grivoiserie s'invitent dans des envolées poétiques, le scatologique fait l'objet de très sérieuses considérations pseudo-scientifiques… On croise de véritables figures historiques -
Calamity Jane, Billy the Kid- qu'une anecdote nous rend familier (ah, la recette du gâteau de vingt ans de Martha Cannary !), et à l'inverse de fictifs anonymes que l'auteur pare d'un destin extraordinaire, tel Oliver Fritz, célébrissime photographe de l'ouest américain…
Le héros acquiert au fil de cet éclectique catalogue une dimension légendaire, que fissurent à peine les brèves allusions à la tragédie de sa vie -la perte de l'unique femme qu'il a aimée- et à son enfance auprès d'une mère aimante et passionnée d'opéra. Ces intrusions dans une normalité censée rappeler, sans doute, le caractère "réel" du personnage, l'étoffent sans pour autant le ramener complètement à sa condition de mortel. Chasseur de primes lui-même recherché, il est condamné au mouvement perpétuel et à la solitude. Tel un animal nocturne, il vit la nuit, alliant la vigilance acérée de la bête de proie et la ruse du prédateur. Si fusionnel avec son cheval Satan que leur duo s'apparente à un Centaure, inséparable de son vénéré Mauser et de Mittwoch, créature à l'allure si pitoyable qu'on peine à y reconnaître un chien, Goodfellow est un homme sans devise ni regrets, chevalier errant dont les contours ne seront jamais véritablement définis…
Il faut bien le dire, tout cela est un peu foutraque, comme si l'auteur avait rempli un sac d'extraits d'encyclopédie et de manuels techniques, de bribes de légendes et de documents historiques, y avait ajouté ses propres inventions et mélangé le tout… le résultat est à la fois drôle et fascinant, par moments même virtuose, mais aussi parfois un peu confus, voire indigeste…
Un texte qui s'apprécie sans doute davantage "à picorer", plutôt qu'à avaler d'une traite…
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