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Jean-Noël Schifano (Traducteur)
EAN : 9782070713714
208 pages
Gallimard (25/08/1988)
3.54/5   13 notes
Résumé :
"À tous les lecteurs qui désirent quelque chose d'inouï ; à tous les lecteurs passionnés, ennuyés, rassasiés, enthousiastes, passagers, frivoles, fidèles, s'adresse ce roman inclassable. "... Il faudrait quelque chose d'inédit, d'extraordinaire. Toi qui voyages tant, Daddo, pourquoi ne me procurerais-tu pas quelque chose de bien primitif, et même de l'anormal ? Tout a déjà été découvert, mais on ne sait jamais... – Il faudrait les confessions de quelque fou, si poss... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (4) Ajouter une critique
Daddo, un jeune Milanais, riche célibataire oisif, prend le large sur son voilier pour découvrir de nouvelles terres, car « quand le printemps est là, les Milanais s'en vont de par le monde en quête de terres à acheter. Pour y bâtir des maisons et des hôtels, naturellement, et peut-être même, plus tard, des maisons populaires ; mais c'est surtout après ces expressions de la « nature », restées encore intactes, qu'ils courent, après ce qu'ils entendent, eux, par nature : un mélange de liberté et de ferveur, avec une bonne dose de sensualité et un brin de folie, dont ils semblent assoiffés à cause de la raideur de la vie moderne à Milan».

Mais Daddo, « menacé par la maladie (ainsi pouvons-nous appeler la pensée » n'est peut-être pas tout à fait un jeune bourgeois ordinaire, car il est avant tout sensible, indécis, frappé de « mélancolie » et surtout très éloigné de la « cruelle exigence du réel ».

Il arrive sur une île non répertoriée, appelée l'île du Diable. Les habitants de l'île ont un comportement étrange, ils ne répondent pas au salut du jeune homme, restent immobiles et muets. Ce n'est que le début, car bientôt Daddo verra dans le ciel une double-lune et constatera que la distance retour entre son voilier et l'île est plus longue que la distance aller. Et surtout il fera la connaissance de l'iguanette, une bien étrange créature, entre la petite fille et le reptile, employée comme domestique par les habitants de l'île.

C'est un roman foisonnant, énigmatique, étrange et malsain aussi. le lecteur est sans cesse bousculé, sans cesse délogé de ses certitudes. Il est brinquebalé en eaux troubles (celles de l'inconscient, je pense mais je ne suis pas férue de « psy-choses »), probablement aussi mal à l'aise devant cet amour entre un homme et une iguane, un animal pour le moins peu ragoûtant, et devant l'apathie, que je qualifierai de coupable, et la faiblesse du comte face aux conditions de vie de la petite.

La fin est totalement chaotique, et ce roman reste inclassable. Cette chronique est donc une entreprise vouée à l'échec, que je tente néanmoins … en limitant mon point de vue à deux angles de vue.

D'abord, ce roman est un conte philosophique, un long questionnement « sur l'inexistence d'une véritable ligne de démarcation entre réel et irréel. Chaque chose, fût-elle à peine pensée, est aussitôt réelle», sur notre liberté « Qu'est-ce à dire ? Une liberté peut-elle venir de l'extérieur ? Peut-elle n'être pas le fruit d'une violence exercée sur notre désir de vie confortable et sûre ? Peut-elle se concilier avec l'idéal d'une vie allégée de responsabilités, quand ces responsabilités furent par nous-mêmes librement assumées ? », sur ce qui fait notre humanité comme cette « Iguanette, élevée de sa condition animale précisément par ce qu'en elle voit, ou croit voir, le marquis, n'est plus une Iguanette, un triste petit corps vert, mais une aimable et ravissante fillette de l'homme.».

C'est aussi une satire sociale. Ortese critique les riches Lombards qui « tenaient pour certain qu'un monde opprimé a quelque chose à dire, alors que, si l'oppression est ancienne et avérée, l'opprimé n'existe même pas, ou n'a plus conscience de l'être : seul existe bien que sans une conscience authentique, l'oppresseur, qui, parfois, par afféterie, simule les manières qui seraient légitimement celle de la victime, si elle avait encore une existence. ». Ces riches Lombards « qui des livres ne comprenaient rien ou presque, comme le voulait le siècle », et pour qui les « rencontres avec les indigènes et la ténébreuse noblesse de telle ou telle île, sont parmi les émotions les plus recherchées ; et s'il te vient à l'esprit que la recherche de l'émotion convient mal aux vastes possibilités de l'argent, réfléchis à l'étroite correspondance entre puissance économique et affaiblissement des sens, raison pour quoi, parvenu au sommet du pouvoir d'achat, on est pris de je ne sais quelle torpeur, quelle incapacité générale à discerner, à apprécier ; et celui qui, désormais, pourrait se repaître de tout n'a de goût que pour peu de chose, ou rien. »

Dans cette iguane, j'ai retrouvé aussi l'atmosphère des cinéastes italiens comme Fellini, Ferreri, … avec leurs films complétement baroques et déjantés.

Probablement un roman qui mériterait une deuxième lecture. D'abord pour le style suranné qui fait la part belle aux subordonnées enchâssées et aux subjonctifs passés (des temps beaucoup plus courants en italien qu'en français), pour la finesse du vocabulaire et pour la poésie de la prose. Ensuite, bien sûr, pour la richesse du propos, car j'ai cette impression d'en avoir perçu qu'une infime partie.

L'iguane, bien plus donc que tout ce que j'en dis ici. Et fort probablement tout autre chose.

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Anna Maria Ortese (1914-1998) est une romancière, essayiste, journaliste, nouvelliste et poétesse italienne. Elle mena dès l'enfance une vie vagabonde, d'abord en compagnie de sa famille, puis, adulte, en raison de grandes difficultés économiques. Son travail d'écrivaine évolua d'un réalisme magique dans ses premières nouvelles, vers l'invention fantastique de type surréaliste et l'observation documentaire néo-réaliste dans ses romans de l'après-guerre, jusqu'à la thématique morale et philosophique de ses dernières oeuvres. Dans la dernière partie de sa vie elle dénonça dans ses écrits et dans des interventions publiques, les crimes de l'Homme « contre la Terre », sa « culture d'arrogance » et son attitude de tortionnaire vis-à-vis des « Peuples faibles » de la Terre, en particulier les animaux. L'Iguane, roman de 1965, vient d'être réédité.
Le comte Aleardo Daddo de l'aristocratie milanaise part en expédition à la recherche d'un lieu idéal pour y faire construire des résidences de luxe pour ses compatriotes fortunés. Parti de Gênes son navire fait halte sur l'île d'Ocana, un minuscule caillou au large du Portugal. Une île mêlée à de sombres légendes mais en conséquence pense-t-il « le prix en était probablement bas. » A peine débarqué, les surprises ne vont pas manquer quand après avoir été accueilli par trois frères d'une noblesse désargentée, dont le marquis don Ilario, il fera connaissance avec leur jeune servante, Estrellita, une Iguane, « habillée en femme, avec un jupon foncé, un corset blanc visiblement déchiré et suranné (…), sur la tête, pour cacher l'ingénu museau blanc-vert, cette servante portait un fichu. » La suite verra naître l'amour entre Daddo et l'Iguane, l'arrivée des Hopins venue d'Amérique pour un mariage et un projet d'investissement ainsi que d'un archevêque sud-américain…
J'aime autant vous dire immédiatement que ce roman n'est pas pour tout le monde ! Anna Maria Ortese manie une langue maniérée avec virtuosité pour nous servir une sorte de conte auquel j'avoue ne pas avoir compris grand-chose. Peut-être doit-on y voir traité le pouvoir de l'argent, à moins que ce ne soit les amours improbables ? Outre l'écriture déjà complexe à déchiffrée, on baigne dans l'onirisme, la poésie hermétique et toutes ces choses aptes à faire perdre pied aux plus expérimentés lecteurs. Un roman pour les lecteurs raffinés et d'un haut niveau.
Je résume, je me suis copieusement ennuyé (pour être poli) !
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L'achat et le Mal, l'oppression et les fantasmes douteux dont elle se nourrit, la fantaisie comme expression d'une mélancolie souveraine. Dans son style ondoyant, miroitant comme la mer, Anna Maria Ortese écrit un roman où la métaphysique se fait aventure, la connaissance de soi agonie, la littérature un mensonge magnifique, sombre comme un envoûtement. L'iguane ou l'imaginaire, failles et ténèbres, au pouvoir.
Lien : https://viduite.wordpress.co..
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La réalité n'est pas la mascarade qui nous étreint chaque jour davantage, ni les lois qui nous gouvernent mais le petit espace de pensée libre, de rêve et d'imagination que nous creusons en nous pour respirer profondément et tranquillement.
https://lescorpscelestes.fr/anna-maria-ortese-ou-la-resistance-salvatrice/
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Citations et extraits (15) Voir plus Ajouter une citation
Réfléchis, pensif Lecteur, à l’étroitesse mentale particulière du jeune architecte, où cependant se niche une générosité que lui-même, avant de débarquer sur cette île douloureuse, ignorait. Ensuite, tourne ta tranquille raison, toi qui es sauf, vers l’effrayante vérité de l’âme, qui est ici, partout, et nulle part, et cela tandis qu’un jeune corps avance, prend une certaine direction, une autre, où le mènent les nouvelles questions de son esprit. Mais qu’est-ce qu’un corps devant ce qui le conduit et que ce corps, ces mains, ces yeux ont le simple devoir d’exprimer ? Et qu’est-ce que le temps, où de tels actes, de telles pensées se démêlent ? qu’est ce que l’espace, sinon une convention ingénue ? et une île, une ville, le monde même avec ses tumultueuses capitales, que sont-ils d’autre sinon le théâtre où le cœur, frappé de remords, pose ses ardentes énigmes ? Alors, ne t’étonne pas, Lecteur, si la maladie (ainsi pouvons-nous appeler la pensée), qui depuis longtemps menaçait notre comte, mort vivant dans sa classe, a explosé sous les formes terribles que tu vois, en révélant la souterraine mélancolie, la cruelle exigence du réel. C’est pourquoi, du pré et du bois, de la salle et du puits, de la tempête et du beau temps, des rapides nuages d’avril et de la clôture de novembre, qui ainsi se confondent à la fin de notre histoire, ne cherche pas la cause, et reconnais en eux, plutôt, le cheminement résolu, et seul vrai, de l’âme, d’entre les choses qui ont pris son apparence jusqu’ici, et pleines de trouble et de peur, l’imitent.
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Dès avant que de rouvrir ses petits yeux, et de se rendre compte qu’elle s’est endormie la tête appuyée au mur, se remet en branle dans la fille du mal le cercle compliqué de sa terreur.
Ce dernier, ô Lecteur, comprend une série de cercles, auxquels tu peux aussi bien donner le nom de jours, de mois, ou disons d’années, composés d’un vide absolu. Mais le plus éloigné de ces cercles, bien blafard désormais, est un simple rayon de soleil d’octobre, où la tête angélique du marquis, alors presque un enfant, a la gravité et la bénignité d’un dieu, pour ne pas dire d’un homme. Là-bas, certains rayons qui partent de l’inépuisable azur de ses yeux disent à l’Iguanette qu’elle, l’Iguanette, est très chère au marquis, qu’elle est une partie de son âme, qu’elle appartient désormais à l’humaine famille, et qu’elle ne devra donc plus ramper et mourir. L’Iguanette, élevée de sa condition animale précisément par ce qu’en elle voit, ou croit voir, le marquis, n’est plus une Iguanette, un triste petit corps vert, mais une aimable et ravissante fillette de l’homme. Le marquis se promène avec elle sur la plage, en lui donnant le bras, exactement comme à une minuscule dame jolie, et approche la tête de son fin museau, l’appelant plusieurs fois « ma petite étoile ». L’Iguanette ne se sent plus d’orgueil et d’aise. Elle ne s’est jamais regardée dans un miroir, depuis qu’elle est née, mais peu importe : elle sait qu’elle est belle, maintenant, très belle, et, comme toute fille de l’homme, elle en est heureuse. Chaque chose qu’elle fait, chacun de ses pas, chacun de ses coups d’œil, le moindre de ses gestes inconscients, semble plus agréable au marquis que le printemps même ou qu’une couronne royale.
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«Non… ce n’est pas de ça que tu dois avoir peur », poursuivit-il en plissant le front à cause du léger effort qu’il devait faire, de temps en temps, pour se rappeler, comme pour prendre acte de ces changements, et distinguer entre ces superpositions continues de réel et d’irréel, « pas de ça, Ilario, mais de ton esprit même, comme moi du mien. Il y a quelque chose que nous ignorons, que nous ne voulons pas savoir, il y a quelqu’un de caché, qui nous empêche de regarder… Il y a une tromperie au détriment de personnes faibles… Il y a, dans notre éducation, quelque erreur de base, qui coûte du tourment à beaucoup, et c’est ce que j’entends assainir. »
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Comme toutes nos journées, c’est-à-dire la vie, la sombre mer qui nous entoure change même de substance, dit-il, au point de se transformer, c’est le cas de le dire, en air trépidant. Et seulement parce que la pensée a entrevu la part manquante de soi, beauté ou monstre, n’importe. Oui, il y a du vrai dans ce que tu affirmais toi, il y a un instant, Daddo, sur l’inexistence d’une véritable ligne de démarcation entre réel et irréel. Chaque chose, fût-elle à peine pensée, est aussitôt réelle. Ce dont nous avons besoin, voilà ce qui est réel; et pour cela nous pouvons même mourir, ou permettre à d’autres de mourir. Notre mort, ou celle d’autrui, n’a plus d’importance.
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Comme tu le sais, Lecteur, chaque année, quand le printemps est là, les Milanais s’en vont de par le monde en quête de terres à acheter. Pour y bâtir des maisons et des hôtels, naturellement, et peut-être même, plus tard, des maisons populaires ; mais c’est surtout après ces expressions de la « nature », restées encore intactes, qu’ils courent, après ce qu’ils entendent, eux, par nature : un mélange de liberté et de ferveur, avec une bonne dose de sensualité et un brin de folie, dont ils semblent assoiffés à cause de la raideur de la vie moderne à Milan. Des rencontres avec les indigènes et la ténébreuse noblesse de telle ou telle île, sont parmi les émotions les plus recherchées ; et s’il te vient à l’esprit que la recherche de l’émotion convient mal aux vastes possibilités de l’argent, réfléchis à l’étroite correspondance entre puissance économique et affaiblissement des sens, raison pour quoi, parvenu au sommet du pouvoir d’achat, on est pris de je ne sais quelle torpeur, quelle incapacité générale à discerner, à apprécier ; et celui qui, désormais, pourrait se repaître de tout n’a de goût que pour peu de chose, ou rien.
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