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Gilles Gauthier (II) (Traducteur)
EAN : 9782742769346
324 pages
Actes Sud (28/09/2007)
3.99/5   1457 notes
Résumé :
Construit en plein coeur du Caire dans les années 1930, vestige d'une splendeur révolue, l'immeuble Yacoubian constitue un creuset socioculturel très représentatif de l'Egypte du XXIe siècle naissant. Dans son escalier se croisent ou s'ignorent Taha, le fils du concierge, qui rêve de devenir policier ; Hatem, le journaliste homosexuel ; le vieil aristocrate Zaki, perdu dans ses souvenirs ; Azzam, l'affairiste louche aussi bigot que lubrique ; la belle et pauvre Bous... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (168) Voir plus Ajouter une critique
3,99

sur 1457 notes
Il y a des livres dont on entend parler...et puis qu'on ne lit pas. Et puis un jour ce livre on l'a en main, presque par hasard...
L'immeuble Yacoubian on le découvre dans son ensemble et peu à peu les personnages qui y vivent. Premier étage... 2e ... 3 e... Et tout en haut, sur les toits, dans de petites constructions les pauvres...
On est en Égypte, au Caire dans les années 1930. Corruption, sexe, politique et montée de l'islamisme sont au coeur de ce roman. Tout s'achète...
Cette histoire nous entraîne dans un univers qui nous dépasse, comment peut-on prier sans cesse, invoquer la parole d'Allah et s'affranchir de certaines règles..
Des personnages qui se croisent, se rencontrent, mentent, magouillent... Des étudiants qui font des mauvais choix car ils ne rêvent que de vengeance après des rêves brisés.
Poussez la porte de cet immeuble, vous découvrirez des hommes qui nous touchent, révulsent ou inquiètent.
Et les femmes ? Leur vie n'est certes pas enviable..
Un roman effrayant, fort et terriblement actuel.
J'y ai beaucoup appris, je ne l'oublierai pas de sitôt cet immeuble dont j'ai mis du temps à pousser la porte.
Même s'il m'a bouleversée je ne regrette pas cette découverte. Une histoire très forte.
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Pour certains auteurs écrire est un acte politique. Pour son brillant premier roman Alaa El Aswany a sorti l'artillerie lourde.

Baignant dans les eaux polluées de la société cairote au moment de la guerre contre l'Irak, cette mosaïque romanesque qu'est l'immeuble Youcoubian, nous permet de nous perdre dans les fascinants dédales où nous entraîne ce conteur redoutable.
On y découvre dans cet écosystème les inégalités sociales qui fomentent les crises, l'hypocrisie et la corruption dans la vie politique, l'absence de liberté sexuelle, la condition de la femme sujette au harcèlement des patrons et d'autres thèmes chers à l'auteur.

Foisonnant et riche en intrigues parallèles, ce roman est peuplé de personnages singuliers et attachants qui animent cet univers onirique et qui représentent chacun une partie de l'évolution sociétale qui pend au nez de l'Egypte.
La montée de l'islamisme radical menace l'équilibre d'une société en pleine transformation, la police torture ceux qui ne s'y plient pas et des jeunes se sacrifient pour le djihad.

Alaa El Aswany se positionne en auteur engagé et a composé un récit à son image, entre regard sur l'intime, analyse de la société et l'ouverture vers les nouvelles générations.


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L'immeuble Yacoubian, construit en 1930 en plein coeur du Caire, accueillait au départ des appartements de grand luxe. Quelques décennies plus tard, il a été redécoupé en logements plus petits, destinés à une population plus pauvre. L'auteur nous fait découvrir ses habitants : le fils du concierge bien décidé à passer le concours de police, sa petite amie qui vient de terminer ses études de commerce, de vieux aristocrates qui regrettent le mode de vie à l'européenne, etc.

Mais les rêves de ces habitants sont vite brisés . La corruption règne dans tous les domaines, et le plus riche a toujours raison. Il faut alors composer avec la réalité du pays : renoncer au concours à cause de ses origines modestes, accepter le harcèlement sexuel de son patron pour conserver sa place ou acheter sa place de député au prix fort. Les seuls refuges sont peu enthousiasmants : l'islam radical, ou la prostitution : « classique », comme seconde épouse, ou auprès de riches homosexuels.

Le ton change au fil de l'histoire : après nous avoir douillettement installé auprès de ses personnages, et nous faire aimer leurs qualités et leurs petits défauts, l'auteur ne nous épargne rien de leur sombre avenir : les humiliations, les injustices, la violence, qui resteront impunies puisque venues de plus haut dans l'échelle sociale.

Écrit quelques années avant la chute de Moubarak, ce livre aide à comprendre les événements qui se sont déroulés récemment, et donne aussi envie au lecteur d'aller manifester sur la place Tahrir.
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105 Babéliotes ont déjà poussé les portes de cette époque charnière faisant grincer les gonds de la destinée des habitants Cariotes de l'immeuble Yacoubian.
Au seuil de modifications politiques et sociales majeures, la terrasse de cet immeuble imposant cristallise tous les courants de cette Egypte fracturée et corrompue.
Alaa El-Aswany a su transformer de simples mots en émotions que nous ressentons aussi profondément que notre sensibilité et notre compréhension d'européen puissent le faire :
Accepter les rapports dominants-dominés.
Valider le comportement à « géométrie variable » pour l'homosexuel banni ou adulé suivant sa position sociale ou son capital sympathie.
Accepter que toute jeune femme se fasse harceler dès son premier emploi par un patron adipeux ou un vieux beau sur le retour.
Admettre qu'un fils de concierge, parce que recalé à l'école de police devienne islamiste humilié par l'administration pervertie.
Cette fresque relate les frasques de toute une génération plus intéressée par l'argent, les femmes et le pouvoir.
« Il n'y a pas de bienfaits, tout le monde agit dans son intérêt.»
Cet immeuble et ses habitants sont le parfait exemple d'une Egypte sûrement trop européanisée, glissant vers un islamisme difficile à maîtriser.
« La cause de la décadence du pays c'est l'absence de démocratie. S'il y avait un véritable régime démocratique, l'Egypte serait une grande puissance.»
Mais laissons là les grands mots, nous y pallierons avec les rêves.
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A mon tour d'ouvrir les portes de "L' Immeuble Yacoubian", de regarder son architecture révolue des années 30 à l'époque où le jazz accompagnait les autochtones raffinés et les européens orientalisés qui menaient la grande vie insouciante de la décennie sortie tout droit des années folles.

A mon tour de pénétrer dans ces appartements qui ne sont plus que le pâle reflet de ce qui fut et de grimper sur la terrasse où les plus pauvres se tiennent. La comédie humaine continue, chacun sa classe, chacun sa place.

Taha, fils de concierge, tu as tort de vouloir en changer, reste où tu es, de toutes façons, quoi que tu fasses, quoi que tu étudies, les autres t'en empêcheront, personne n'accepte l'ascension d'un fils de rien. Victime affaiblie, tu tomberas dans d'autres filets qui te manipuleront. La religion s'y entend pour ce genre de choses.

Une autre porte mène chez Hatem, le journaliste homosexuel. Tout le monde sait, juge, rejette. Tout le monde se tait. Hatem est trop brillant, Hatem est trop puissant. Hatem veut être amoureux, il en a assez de ces passes dégradantes. Il aime. Un drame bouleverse tout. La religion s'en mêle... jusqu'au drame.

D'autres portes : celle de Zaki, l'aristocrate "vieux beau", affublé d'une soeur intéressée et monstrueuse, d'un serviteur manipulateur. Son histoire sera la plus belle parce qu'enfin la corruption ne s'en mêlera pas et l'amour fleurira, vrai, sincère. La porte de Azzam s'ouvre sur un monde d'affaires, de politicaille, de pots-de-vin, de "parrain", trouble, répugnance, amoralité s'y côtoient.

La porte de la belle Boussaïna nous la montre pauvre et brisée parce qu'on attend d'elle ce qu'elle n'imaginait même pas...

J'ai refermé ces portes. J'ai aimé ce livre, je me suis demandé pourquoi puisque c'est laid. L'intérêt vient de l'écrivain qui nous entraîne d'un personnage à l'autre, crée des interruptions dans ce qu'il raconte titillant ainsi notre curiosité. Notre curiosité à savoir, notre étonnement, notre révolte devant toutes ces dégradations de l'histoire humaine, notre refus d'ignorer l'emportent. Tout est pourri, corrompu et c'est pour cela que ce livre est utile, nécessaire même si nous le savons depuis longtemps... Toujours être sur le qui-vive. Ne jamais se taire. Ne jamais accepter.

L'Egypte actuelle est en ébullition. Comment s'en sortira-t-elle? Comment dépassera-t-elle ces décennies corrompues? Fera-t-elle confiance à ses intellectuels démocrates? Un long chemin est à parcourir... Inch Allah.
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critiques presse (1)
Lexpress
27 décembre 2011
La littérature arabe d'aujourd'hui doit affronter de nombreux interdits, un défi qu'a relevé Alaa el-Aswani dans un roman désormais emblématique : L'Immeuble Yacoubian.
Lire la critique sur le site : Lexpress
Citations et extraits (113) Voir plus Ajouter une citation
En 1934, le millionnaire Hagop Yacoubian, président de la communauté
arménienne d’Égypte, avait eu l’idée d’édifier un immeuble d’habitation
qui porterait son nom. Il choisit pour cela le meilleur emplacement de la rue
Soliman-Pacha et passa un contrat avec un bureau d’architectes italiens
renommé qui dessina un beau projet : dix étages luxueux de type européen
classique : des fenêtres ornées de statues de style grec sculptées dans la
pierre, des colonnes, des escaliers, des couloirs tout en vrai marbre, un
ascenseur dernier modèle de marque Schindler... Les travaux de
construction durèrent deux années complètes et le résultat fut un joyau
architectural qui dépassait toutes les attentes au point que son propriétaire
demanda à l’architecte italien de sculpter son nom, Yacoubian, au-dessus de
la porte d’entrée, en lettres latines de grande dimension qui s’éclairaient la
nuit au néon, comme pour l’immortaliser et confirmer sa propriété de cet
admirable bâtiment. À cette époque, c’était la fine fleur de la société qui
habitait l’immeuble Yacoubian : des ministres, des pachas, certains des plus
grands propriétaires terriens, des industriels étrangers et deux millionnaires
juifs (l’un d’eux appartenant à la fameuse famille Mosseïri). Le rez-de-
chaussée était divisé en deux parties égales : un vaste garage, avec de
nombreuses portes à l’arrière où étaient garées les voitures des habitants (la
plupart de luxe, comme des Rolls-Royce, des Buick, des Chevrolet), et un
grand espace sur trois angles où Yacoubian exposait l’argenterie produite
par ses usines. Ce hall d’exposition connut une activité satisfaisante pendant
quatre décennies puis, peu à peu, son état se dégrada jusqu’à ce que,
récemment, le hadj Mohammed Azzam le rachète et y inaugure un magasin
de vêtements. Au-dessus de la vaste terrasse de l’immeuble, deux pièces
avec leurs sanitaires avaient été réservées pour loger le portier et sa famille
et, de l’autre côté, on avait construit cinquante cabanes, une par
appartement. Aucune d’entre elles ne dépassait deux mètres carrés de
surface, les murs et les portes étaient en fer et fermaient avec des verrous
dont les clefs avaient été distribuées aux propriétaires des appartements.
Ces cabanes en fer avaient alors plusieurs usages, comme d’emmagasiner
les produits alimentaires, loger les chiens (s’ils étaient de grande taille ou
méchants) ; ou bien elles servaient pour laver le linge, tâche qui à l’époque
(avant que ne se répandent les machines à laver) était confiée à des lingères
spécialisées. Elles lavaient le linge dans les cabanes puis l’étendaient sur un
fil couvrant toute la longueur du bâtiment. Ces cabanes n’étaient jamais
utilisées pour loger des domestiques, peut-être parce que les habitants de
l’immeuble, à cette époque, étaient des aristocrates et des étrangers qui
n’imaginaient pas qu’un être humain puisse dormir dans un espace aussi
réduit. Dans leurs vastes et luxueux appartements qui se composaient
parfois de huit ou dix pièces sur deux niveaux reliés par un escalier
intérieur, ils réservaient une pièce pour les domestiques. En 1952, éclata la
révolution et tout changea. Les juifs et les étrangers commencèrent à quitter
l’Égypte et tous les appartements devenus vacants après le départ de leurs
occupants furent pris par les officiers des forces armées, les hommes forts
de l’époque. Dans les années 1960, la moitié des appartements de
l’immeuble étaient habités par des officiers de grades différents, du
lieutenant ou du capitaine récemment marié, jusqu’aux généraux qui
s’étaient installés dans l’immeuble avec leurs nombreuses familles. Le
général Dekrouri, qui avait été directeur du cabinet de Mohammed Neguib,
avait même réussi à obtenir deux grands appartements contigus au dixième
étage, l’un réservé à sa famille et l’autre qui lui servait de bureau privé où il
recevait l’après-midi les quémandeurs. Les femmes de ces officiers
donnèrent une nouvelle utilisation aux cabanes en fer. Pour la première fois
on y logea les sufragi(5), les cuisiniers, les petites bonnes amenées de leurs
villages pour servir les familles des officiers. Certaines femmes d’officiers
étaient d’origine populaire et cela ne les gênait pas d’y élever des lapins,
des canards et des poules. De nombreuses plaintes, aussitôt classées grâce à
l’influence des officiers, furent déposées auprès des services municipaux du
secteur ouest du Caire par les anciens habitants de l’immeuble, jusqu’au
jour où ces derniers eurent recours au général Dekrouri qui, par son
ascendant sur les officiers, parvint à interdire cette activité peu salubre.
Ensuite arriva l’Infitah(6) des années 1970 et les riches commencèrent à
quitter le centre-ville pour aller vers Mohandessine et vers Medinat Nasr.
Certains vendirent leurs appartements de l’immeuble Yacoubian, d’autres
les transformèrent en bureaux et en cabinets médicaux pour leurs enfants
récemment diplômés ou les louèrent meublés aux touristes arabes. Cela eut
peu à peu pour conséquence la disparition du lien entre les cabanes de fer et
les appartements de l’immeuble. Les sufragi et les autres domestiques
cédèrent moyennant finances leurs cabanes de fer à de nouveaux habitants
pauvres venant de la campagne ou travaillant dans un lieu proche du centre-
ville et qui avaient besoin d’un appartement bon marché à proximité. Ces
transactions furent facilitées par la mort de M. Grégoire, le syndic arménien
de l’immeuble, qui gérait les biens du millionnaire Hagop Yacoubian avec
la plus grande probité et la plus extrême rigueur et en envoyait tous les ans
en décembre le revenu en Suisse où avaient émigré les héritiers de
Yacoubian après la révolution. Grégoire fut remplacé dans ses fonctions de
syndic par maître Fikri Abd el-Chahid, un avocat prêt à tout pour de
l’argent, qui prélevait une commission élevée sur toutes les cessions de
cabanes de fer, ainsi qu’une commission, non moins élevée pour rédiger le
contrat du nouveau locataire. Tant et si bien que se développa sur la terrasse
une société nouvelle complètement indépendante du reste de l’immeuble.
Certains nouveaux venus louèrent deux pièces contiguës et firent un
petit logement avec ses sanitaires (toilettes et salle de bains) tandis que les
autres (les plus pauvres) s’entraidèrent pour installer des salles d’eau
collectives, chacune pour trois ou quatre chambres. La société de la terrasse
n’est pas différente de toutes les autres sociétés populaires d’Égypte : les
enfants y courent pieds nus et à demi vêtus, les femmes y passent la journée
à préparer la cuisine, elles s’y réunissent pour commérer au soleil, elles se
disputent souvent et échangent alors les pires insultes et des accusations
injurieuses puis, soudain, elles se réconcilient et retrouvent des relations
tout à fait cordiales, comme s’il ne s’était rien passé. Elles se couvrent alors
de baisers chaleureux et retentissants, elles pleurent même, tant elles sont
émues et tant elles s’aiment. Quant aux hommes, ils n’attachent pas
beaucoup d’importance aux querelles féminines, qu’ils considèrent comme
une preuve supplémentaire de cette insuffisance de leur cervelle dont avait
parlé le Prophète, prière et salut de Dieu sur lui. Les hommes de la terrasse
passent tous leurs journées dans un combat rude et ingrat pour gagner leur
pain quotidien et, le soir, ils rentrent épuisés, n’aspirant qu’à atteindre leurs
trois petites jouissances : une nourrituresaine et appétissante, quelques
doses de mouassel(7), avec du haschich si l’occasion se présente, qu’ils
fument dans une gouza(8), seuls ou en compagnie, sur la terrasse, les nuits
d’été. Quant à la troisième jouissance, c’est le sexe que les gens de la
terrasse honorent tout particulièrement. Ils n’ont pas honte d’en parler
librement, du moment qu’il est licite. Ce qui ne va pas sans contradiction,
car l’homme habitant sur la terrasse qui, comme cela est habituel dans les
milieux populaires, a honte de mentionner le nom de sa femme devant
d’autres hommes, la désignant par “mère de un tel” ou parlant d’elle en
évoquant “les enfants”, comme lorsqu’il dit par exemple que “les enfants
ont cuisiné de lamouloukhieh”, le même homme ne se retient pas, lorsqu’il
est avec ses semblables, de mentionner les détails les plus précis de ses
relations intimes avec sa femme, au point que l’ensemble des hommes sur
la terrasse sait tout des relations sexuelles des uns et des autres... Quant aux
femmes, quelle que soit leur piété ou leur rigueur morale, elles aiment
toutes beaucoup le sexe et se racontent à voix basse des secrets d’alcôve en
éclatant d’un rire innocent, ou parfois impudique, si elles sont seules. Elles
n’aiment pas seulement le sexe pour éteindre leur envie, mais également
parce que le sexe et le besoin pressant qu’en ont leurs maris leur font
ressentir que, malgré toute leur misère, leur vie étriquée, tous les
désagréments qu’elles subissent, elles sont toujours des femmes belles et
désirées par leurs hommes. Au moment où les enfants dorment, qu’ils ont
dîné et remercié leur Seigneur, qu’il reste à la maison assez de nourriture
pour une semaine ou peut-être plus, un peu d’argent épargné en cas de
nécessité, que la pièce où ils habitent tous est propre et bien rangée, que
l’homme rentre, le jeudi soir, mis de bonne humeur par le haschich et qu’il
réclame sa femme, n’est-il pas alors de son devoir de répondre à son appel,
après s’être lavée, maquillée, parfumée, ne vont-elles pas, ces brèves heures
de bonheur, lui donner la preuve que son existence misérable est d’une
certaine façon réussie, malgré tout. Il faudrait un artiste de grand talent pour
peindre l’expression du visage d’une femme de la terrasse, le vendredi
matin, quand son mari descend prier et qu’elle se lave des traces de l’amour
puis sort sur la terrasse pour étendre les draps qu’elle vient de nettoyer. À ce
moment-là, avec ses cheveux humides, sa peau éclatante,
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Quant aux femmes, quelle que soit leur piété ou leur rigueur morale, elles aiment toutes beaucoup le sexe et se racontent à voix basse des secrets d’alcôve en éclatant d’un rire innocent, ou parfois impudique, si elle sont seules. Elles n’aiment pas seulement le sexe pour éteindre leur envie, mais également parce que le sexe et le besoin pressant qu’en ont leurs maris leur font ressentir que, malgré toute leur misère, leur vie étriquée, tous les désagréments qu’elles subissent, elles sont toujours des femmes belles et désirées par leurs hommes. Au moment où les enfants dorment, qu’ils ont dîné et remercié leur Seigneur, qu’il reste à la maison assez de nourriture pour une semaine ou peut-être plus, un peu d’argent épargné en cas de nécessité, que la pièce où ils habitent tous est propre et bien rangée, que l’homme rentre, le jeudi soir, mis de bonne humeur par le haschich et qu’il réclame sa femme, n’est-il pas alors de son devoir de répondre à son appel, après s’être lavée, maquillée, parfumée, ne vont-elles pas, ces brèves heures de bonheur, lui donner la preuve que son existence misérable est d’une certaine façon réussie, malgré tout. (p. 24-25)
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Vous ne comprenez pas parce que vos conditions de vie sont bonnes. Si vous deviez attendre deux heures un autobus ou prendre trois moyens de transports différents et être humilié chaque jour pour rentrer chez vous, si votre maison s’effondrait et que le gouvernement vous laissait avec votre famille sous une tente dans la rue, si les policiers vous insultaient, vous frappaient uniquement parce que vous montez dans un microbus, la nuit, si vous deviez passer toute la journée à faire le tour des magasins pour chercher un travail et ne pas en trouver, si vous étiez un homme en pleine forme, instruit et que vous n’aviez dans votre poche qu’une livre et parfois rien du tout, alors vous sauriez pourquoi nous détestons l’Egypte.
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Elle avait seulement trois ans de plus que lui. Il se souvenait d’elle
lorsqu’elle était une belle et douce jeune fille, vêtue de l’uniforme bleu
marine et jaune de La Mère de Dieu(27), apprenant par cœur des fables de
La Fontaine et, dans les soirées d’été, jouant du piano dans le salon de leur
vieille maison de Zamalek (que le pacha avait vendue après la révolution).
Elle jouait si merveilleusement que Mme Chédid, son professeur de
musique, s’était ouverte au pacha de la possibilité de la présenter au
concours international des jeunes talents à Paris, mais le pacha avait refusé.
Elle se maria très vite avec le capitaine d’aviation Hassan Chawket dont
elle eut un garçon et une fille (Hanna et Dounia). Puis survint la révolution.
Chawket fut mis à la retraite à cause de ses liens étroits avec la famille
royale et il mourut rapidement, avant d’avoir atteint ses quarante-cinq ans.
Ensuite, Daoulet se maria encore deux fois sans avoir d’enfant. Deux
mariages ratés qui ne lui apportèrent que de l’amertume, de la nervosité et
l’incapacité à se passer du tabac. Sa fille grandit, se maria et émigra au
Canada puis, quand son fils eut terminé avec succès ses études de
médecine, elle lui livra une bataille acharnée pour l’empêcher de s’exiler.
Elle pleura, cria, supplia tous ses proches de le convaincre de rester avec
elle, mais le jeune médecin (comme la plupart de ceux de sa génération)
était désespéré par l’état dans lequel se trouvait l’Égypte et il persista dans
sa volonté d’émigrer. Il proposa à sa mère de l’accompagner mais elle
refusa et resta seule. Elle loua en meublé son appartement de Garden City et
alla s’installer chez Zaki dans le centre-ville.
Dès le premier jour, les deux vieillards ne cessèrent de se chamailler et
de se quereller comme s’ils étaient les pires ennemis. Zaki était habitué à
son indépendance et à sa liberté et il lui fut difficile d’accepter de partager
sa vie avec une autre personne, d’être obligé d’accepter des horaires pour le
sommeil et les repas, d’informer Daoulet à l’avance s’il voulait rentrer tard
le soir. Sa présence lui interdisait d’inviter ses maîtresses à la maison et ce
qui ajouta à ses tourments, ce fut son ingérence sans retenue dans ses
affaires les plus intimes et ses perpétuelles tentatives de le gouverner. De
son côté, Daoulet souffrait de sa solitude. Elle était malheureuse. Cela
l’attristait de terminer sa vie sans avoir rien acquis ni réalisé, après avoir
échoué dans ses mariages et avoir été abandonnée dans sa vieillesse par ses
enfants. Ce qui l’irritait au plus haut point, c’était que Zaki, lui, n’avait
absolument pas l’allure d’un vieillard décrépit attendant la mort. Il
continuait à se parfumer, à se faire beau et à courir les femmes. Dès qu’elle
le voyait soigner sa tenue, rire et chantonner devant son miroir, dès qu’elle
remarquait qu’il était heureux, elle se sentait pleine de rage et ne se calmait
pas avant de l’avoir agressé et fustigé par ses propos. Elle attaquait son
comportement puéril et ses incartades, non par sens moral mais parce que sa
rage de vivre exacerbée n’était pas en harmonie avec le désespoir qu’elle-
même ressentait. Son irritation contre lui ressemblait à la colère de ceux qui
viennent tristement présenter leurs condoléances à un homme qui éclate de
rire en pleine cérémonie. Entre les deux vieillards, il y avait aussi toute la
morosité, l’impatience, l’opiniâtreté qui accompagnent la vieillesse, en plus
de cette tension que suscite toujours le rapprochement de deux
personnalités plus longtemps que nécessaire. L’un des deux occupe
longtemps la salle de bains alors que l’autre veut l’utiliser, l’un voit le
visage renfrogné de l’autre au moment du réveil, l’un a besoin de silence
tandis que l’autre s’obstine à parler... Il suffit même de la simple présence
d’une autre personne qui ne vous quitte ni le jour ni la nuit, dont le regard
vous fixe, qui vous prend à partie, qui reprend ce que vous dites, qui
s’assoit pour manger avec vous alors que le bruit de ses molaires lorsqu’elle
mastique vous irrite et que vous devient insupportable jusqu’au bruit que
produit sa cuillère heurtant l’assiette.
Commenter  J’apprécie          30
" Cent mètres à peine séparent le passage Bahlar où habite Zaki Dessouki de son bureau de l’immeuble Yacoubian, mais il met, tous les matins, une heure à les franchir car il lui faut saluer ses amis de la rue : les marchands de chaussures et les commis des deux sexes, les garçons de café, les habitués du magasin de café brésilien. Zaki Bey connaît par leurs noms jusqu’aux concierges, crieurs de souliers, mendiants et agents de circulation. Il échange avec eux salutations et nouvelles. Pour les habitants de la rue, c’est un aimable personnage folklorique. »
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