Lorsqu'on évoque leurs oeuvres et leurs sujets, les peintres nabis paraissent refléter un milieu très parisien, plutôt bourgeois, appréciant les scènes intimistes, les portraits ou les décors de théâtre. Pourtant, plusieurs d'entre eux ont trouvé les paysages proches de leurs recherches, à la fois picturales et spirituelles, dans des villages isolés au coeur de la Bretagne...Parmi ces jeunes peintres, Paul Sérusier est l'auteur du "Talisman", pièce fondatrice du groupe, réalisée en 1888. Féru de philosophie, il est alors en pleine recherche spirituelle. Il s'intéresse à la théosophie, à la métaphysique, à la kabbale ainsi qu'à la théorie des nombres, et se plonge dans la lecture des "Grands Initiés" d'Edouard Schuré, tout juste parus, et des romans métaphysiques d'Honoré de Balzac ("Louis Lambert" et "Séraphita") qui exposent les correspondances entre le monde spirituel et le monde matériel développés par Emmanuel Swedenborg. Fuyant la foule cosmopolite de Pont-Aven en 1889, Sérusier avait suivi Paul Gauguin au Pouldu, un hameau isolé au bord de la mer....Gauguin parti, il veut s'imprégner des caractères de la Bretagne et choisit un village à l'écart des routes et du tourisme naissant, Le Huelgoat. La forêt profonde, dernière partie de l'antique Brocéliande, la nature romantique du site et les nombreuses légendes qui s'y attachent, constituent un cadre propice à sa réflexion et lui procurent des sujets à peindre en relation avec sa quête spirituelle.
En 1890, Claude Monet achète une propriété à Giverny, tranquille bourg normand situé à quelque quatre-vingt kilomètres de Paris, dans laquelle il fait aménager un atelier et redessiner le jardin. A la même période, il réalise la première de ses célèbres séries : en choisissant pour modèles des meules de foin dans les champs, qu'il peint à différentes heures de la journée et au fil des mois, l'artiste prend la nature pour sujet principal. Une démarche attendue de la part d'un peintre rompu au travail en plein air, mais elle est ici poussée à son paroxysme. Monet marche sur les traces de William Turner, Eugène Boudin ou encore John Constable, en tentant de capter la nature dans ce qu'elle a de tangible et d'intangible - la lumière, la brume, la chaleur, le froid...Suivront les séries des peupliers, s'étirant sur une quinzaine de toiles, et celles encore plus poussées de la cathédrale de Rouen, une trentaine de tableaux pour lesquels l'artiste plantera son chevalet pendant plusieurs mois.
En 1927, l'écrivain Romain Rolland, grand connaisseur de l'hindouisme, parlait de "sentiment océanique" pour expliquer le besoin religieux que l'on peut assimiler à une impression ou une volonté de se ressentir en unité avec l'univers, parfois hors de toute croyance religieuse.
"La nature est un temple". Selon Gauguin, Bernard, Denis, Sérusier, mais aussi Van Gogh, Munch ou Redon, fervents chrétiens pour la plupart, la nature est parsemée de symboles qui racontent une histoire. Plutôt que de regarder la nature, l'homme se voit, dans un paysage non naturaliste, interpelé par des mystères qui le dépassent.