La vaste pièce était noire.
Des craquements anormaux
Semblaient sortir de l'armoire
Où sont enfermés les Mots. [...]
Et parmi l'ombre où des cuivres
Luisaient encor sur du bois,
Tous les mots, dans tous les livres,
Remuèrent à la fois.
J'entendis : « Je sens leur lame
M'arracher mon e muet :
Cette lettre était mon âme
Puisqu'elle était mon secret ! [...]
« Parole écoutée ou lue,
Sur la feuille ou dans le vent,
Le mot, qui vit, évolue
Ainsi qu'un être vivant. [...]
« Sans qu'une loi se paraphe,
Nous adoptons un matin
Une faute d'orthographe
Qui va bien à notre teint !
« Puisque sur nous tu te livres,
Réforme ! à des jeux obscurs
D'où résulteront des livres
Rédigés comme des murs ;
« Puisqu'on fait de nous, pygmées,
Des monstres de mardi gras,
Tous, désertons les armées
De ces Gullivers ingrats ! [...]
Ce que je fais, Monsieur ? Des courses dans les bois,
À travers des ronciers qui me griffent les manches ;
Le tour de mon jardin sous des arceaux de branches ;
Le tour de ma maison sur un balcon de bois.
Lorsque les piments verts m’ont donné soif, je bois
De l’eau fraîche, en prenant la cruche par les hanches :
J’écoute, lorsque l’heure éteint les routes blanches,
Le soir plein d’Angélus, de grelots et d’abois.
Ce que je fais ? Je fais quelquefois une lieue
Pour aller voir plus loin si la Nive est plus bleue ;
Je reviens par la berge... Et c’est tout, s’il fait beau !
S’il pleut, je tambourine à mes vitres des charges ;
Je lis, en crayonnant des choses dans les marges ;
Je rêve, ou je travaille.
Le « vrai » Cyrano, qui a inspiré Edmond Rostand pour écrire sa pièce Cyrano de Bergerac, était un libertin, refusant les conventions et défendant la liberté de penser. Passionné par les sciences, il prônait l'athéisme, le fait de ne pas croire en Dieu. Son oeuvre reflète en partie sa pensée. Il a notamment écrit Les États et Empires de la Lune (1657) qui raconte un voyage fictif sur la Lune, et Les États et Empires du Soleil (1662).
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