Je descends du bus. Comme un étranger, je regarde autour de moi. La terre, les fleurs sauvages. Puis mes yeux s'élèvent doucement, une foule disciplinée en ligne droite venue marcher, prier, communier. Je lève la tête encore un peu plus, le cou s'étire comme les nuages au loin. Un rayon de soleil me caresse la nuque, je me retourne légèrement et là je le vois. Je suis frappé, de stupéfaction, de beauté, de reconnaissance : le mont Fuji s'offre à moi, à mon coeur, à mon âme. de son sommet, j'observe l'horizon, je vois la ligne de chemin de fer s'aligner le long des collines, celle des lacs de Tama où je me verrais bien manger de l'anguille grillée. Je vois la Combe-Aux-Amours, nom prédestiné aux rencontres clandestines mais les histoires d'Amour finissent... Je vois
la Dame de Musashino, dans son kimono fleuri, ceinturé de son bleu obi.
Au Crû, qui l'eut cru, ce lieu-dit dans le lit de la Nogawa, une histoire d'amour dans les temps d'après-guerre du Japon. Une histoire d'adultère ou de libertinage, quand en même temps l'on discute sur la dépénalisation de ces coucheries extra-conjugales, comme sorties d'un roman
De Stendhal. Moi
Stendhal, je ne connais pas, mais je t'invite d'ors-et-déjà à lire
Les Feux du même Ôoka, voilà pour ma digression littéraire. Revenons à la lune bleue qui illumine cette nuit le Mont Fuji, deux couples, un jeune cousin revenant de la guerre. le décor est planté, quel décor ! Si beau, que même sur un papier jauni, j'en suis ému, de souvenirs et de désirs.
Face au Mont Fuji, ainsi je garde le silence, son regard planté dans mon coeur. Quand les mots s'envolent au vent de la passion, il reste le silence. Celui
de l'amour, celui de la mort. C'est donc dans cette parfaite quiétude que je suis les inquiétudes amoureuses de ce jeune cousin au coeur décousu comme les cicatrices de la guerre, devant les sourires attendrissants de ces dames, devant les esprits retords de ces messieurs, devant les flacons de saké qui se vident, les fleurs de cerisier qui s'envolent.
Un roman d'un autre temps, où la mélancolie
de l'Amour prédomine et auquel les cinéphiles peuvent avoir leur version signée Mizoguchi. D'un rouge pivoine, le soleil se couche. D'un noir obscur, les nuages s'amoncellent. le ciel gronde, les coeurs s'ébattent. Que suis-je en train de faire ? Un moment de folie, un moment d'égarement ? Aux égards du Mont Fuji, je passerai ma main dans les pans de ton kimono, pendant qu'un air de Chopin caresse l'âme de ton sexe. Souvenir éternel.