Nous persistions, aussi rapides que des torpilles, dans notre tentative de tuer le temps. Comment ? Oh ! nous tentions tout : certains l’alcool, d’autres la drogue, d’autres encore le bricolage. Certains même, pourvu qu’ils tuent le temps, se mettaient à travailler. Mais le pays, pour une raison ou pour une autre, fourmillait de chômeurs : ne pouvant même s’offrir le (discutable) privilège de travailler, pour éviter de se faire tuer par le temps ils le prévenaient en se suicidant.
Non pas que nous ayons été nécessairement obsédés par l’idée de buter le temps. Nous nous serions contentés de l’arrêter. Mais non, même ainsi, ça ne marchait pas.
Nous cherchions à tuer le temps avant que ce soit lui qui nous tue. Lutte inégale. Parfois il semblait raide mort, précisément un temps mort. Puis soudain, avant la tiédeur de l’ennui, il se relevait et, d’un bond de sprinter drogué, il passait presque plus vite que les aiguilles de ma montre : comme beaucoup de Rolex, elle retardait de cinq minutes.
Nous nous découvrions semblables en trouvant enchanteur le désenchantement. Nous savions être complémentaires sans faire d’efforts. Lui était capable de réparer une Jeep en plein désert, moi, dans le désert, je donnais une réalité aux mirages : je savais dénicher une oasis où l’on servait des bières fraîches.
— Alors fais-le sourire…
— Pas facile. On ne rit pas des mêmes choses, putain. Sans doute le fossé entre les générations.
Quand on est un dur, inutile de le faire durcir.