Ce tome revient sur l'émergence de Black Panther et la révélation de l'existence du Wakanda. Il comprend les 6 épisodes de la minisérie, initialement parus en 2018, écrits par
Evan Narcisse, dessinés et encrés par
Paul Renaud pour les épisodes 1 & 3, par
Javier Pina pour les épisodes 2 et 4 à 6, avec l'aide d'
Edgar Salazar &
Keith Champagne pour l'épisode 5. La mise en couleurs a été réalisée par
Stéphane Paitreau, avec l'aide de Morry Hollowell pour l'épisode 6. Les couvertures ont été réalisées par Brain Stelfreeze.
Ta-Nehisi Coates est crédité comme consultant. le tome comprend également les couvertures alternatives réalisées par
Tyler Kirkham,
Paul Renaud,
Chris Sprouse. Il commence avec une page d'introduction de texte, rédigée par
Evan Narcisse, expliquant l'importance, pour lui, des aventures de Black Panther écrites par
Christopher Priest.
Pendant la seconde guerre mondiale, lors d'une de ses missions, Captain America (Steve Rogers) et une compagnie de soldats s'étaient retrouvés à la frontière du Wakanda. Ce fut à cet occasion que le roi T'Chaka (Black Panther) lui offrit une petite quantité de Vibranium (le métal ne se trouvant que dans cette région du globe) qui servit à forger son célèbre bouclier. À l'époque, le gouvernement du Wakanda appliquait une politique strictement isolationniste, mise en oeuvre par T'Chaka, le grand-père de T'Challa. Cette partie de l'histoire est racontée par la reine N'yami, l'épouse de T'Chaka, une femme issue d'une tribu extérieure, mais aussi une scientifique de haut niveau. L'accueil que lui réserva le personnel du palais fut assez froid, mais sa légitimité auprès du roi fut assez forte pour la soutenir jusqu'à ce qu'elle porte en elle son enfant. Quelques années plus tard, T'Chaka dut faire face à une tentative d'invasion, menée par le baron Wolfgang von Strucker, à la tête d'un détachement de l'Hydra, une organisation reprenant à son compte l'héritage du troisième Reich.
Deux décennies plus tard, un individu masqué relève le défi du combat en duel, contre Black Panther, en l'occurrence S'Yan, le roi régent. C'est ainsi que T'Challa accède au trône quelques années avant ce qu'avait prévu S'Yan. T'Challa commence par revoir la politique isolationniste du pays, au vu des menaces globales qui menacent régulièrement la planète, comme la première venue de Galactus, fort heureusement arrêté par les Fantastic Four. Il décide donc de révéler au monde, l'existence du Wakanda, contre l'avis du conseil. Il doit arrêter 2 individus ayant réussi à s'emparer d'une petite quantité de Vibranium et s'apprêtant à en faire un trafic. Il apprend que plusieurs résidents du Wakanda ont disparu, vraisemblablement enlevés sans laisser de trace, dont un dénommé N'Jaaka. Il doit composer avec les précédentes missions secrètes effectuées par
White Wolf (Hunter). Lors d'une enquête sur les disparitions, il tombe sur un vaisseau écrasé au sol, et se retrouve face à Namor, un autre souverain d'un royaume caché. La révélation de l'existence du Wakanda s'accompagne d'une demande de reconnaissance auprès des Nations Unies, d'une visite protocolaire de diplomates, et elle génère la curiosité d'un autre souverain, un despote régnant sur la Latvérie.
En 2016, les responsables éditoriaux de Marvel réussissent un bon coup : convaincre un écrivain afro-américain de devenir le scénariste d'une nouvelle série consacré à Black Panther.
Ta-Nehisi Coates réussit à combiner les conventions du récit de superhéros, avec des thèmes adultes relatifs à la gouvernance et à la culture d'un peuple, tout en utilisant la continuité de l'univers partagé Marvel. En 2018, e personnage passe un nouveau cap en matière de renommée avec le film Black Panther réalisé par Ryan Coogler. Afin d'entretenir la visibilité de ce produit, l'éditeur met en chantier plusieurs miniséries dérivées, sous la tutelle de
Ta-Nehisi Coates. Celle-ci est la troisième après Black Panther & the Crew: We Are the Streets](2017, par
Ta-Nehisi Coates,
Yona Harvey,
Butch Guice,
Mack Chater,
Stephen Thompson) & Black Panther: World of Wakanda (2017, par
Roxane Gay, Alitha E. Martinez, Roberto Poggi) de qualité relativement moyenne. Comme pour les 2 précédentes, le lecteur n'est pas bien convaincu de son intérêt et sa motivation pour la découvrir tient surtout au fait de l'implication de
Ta-Nehisi Coates (même de loin) et de leur cohérence avec la série principale de Black Panther. le titre annonce clairement l'enjeu de la série : retracer le début de la carrière de T'Challa en tant que roi du Wakanda, et assumant l'identité et la responsabilité de Black Panther.
Il s'agit du premier comics écrit par
Evan Narcisse, ce qui peut provoquer un autre moment de doute dans l'esprit du lecteur, car l'écriture d'une BD repose sur un mode narratif différent de celui d'un roman ou d'un article de presse. Il constate dès la première page qu'en tant que scénariste,
Evan Narcisse utilise les cartouches de récitatif à bon escient, et qu'il est adepte des dialogues copieux. Chaque épisode nécessite une fois et demi à deux fois le temps pour lire un épisode de comics basique. Après quelques pages, il se rend compte que les personnages ne parlent pas pour ne rien dire. le scénariste ne maîtrise pas l'art de tourner les phrases de manière à faire transparaître la personnalité de l'interlocuteur qui les prononce. Par contre la densité d'informations est élevée, et il s'agit d'informations pertinentes et utiles, pas de délayage ou de remplissage. Une fois qu'il a adapté son mode de lecture à la densité narrative, le lecteur se plonge dans une page de l'Histoire du Wakanda, avec de nombreux personnages, des enjeux politiques et une forte connexion à l'univers partagé Marvel. Effectivement devant ses yeux défilent les membres du conseil du Wakanda (le régent S'Yan, la reine mère Ramonda, les conseillers Cangza, Garouche et J'Meau, sans oublier Changamire), les institutions que sont les Dora Milaje et les soldats du Hatut Zeraze, sans oublier des ennemis emblématiques comme Ulysses Klaw, Baron Strucker ou encore Erik Killmonger. La mention de
Ta-Nehisi Coates en tant que consultant n'est donc pas mensongère car le récit est parfaitement raccord avec la série mensuelle Black Panther et les différents personnages qui y apparaissent.
Comme
Ta-Nehisi Coates,
Evan Narcisse raconte une histoire de superhéros, avec des éléments politiques. T'challa assume les responsabilités de chef d'une nation dont le gouvernement ressort plus d'une royauté que d'une démocratie. Il dispose de la liberté de décider en son âme et conscience y compris en allant à l'encontre de l'avis du conseil, mais en devant se montrer convaincant. L'auteur évoque donc l'impossibilité pour une nation de vivre en autarcie, d'essayer de maintenir une politique isolationniste. Éventuellement, le lecteur peut voir dans la supériorité technologique du Wakanda, comme une évocation de la puissance des États-Unis à l'échelle mondiale. T'Challa doit donc concevoir une stratégie pour se placer sur l'échiquier mondial, pour faire reconnaître la souveraineté du Wakanda, pour se protéger des espions et des voleurs, pour faire face à d'autres souverains animés d'intention d'invasion, et pour gérer les dissensions au sein de ses conseillers. Il doit aussi lutter contre le poids des traditions, tout en assurant la sécurité de son peuple. À l'évidence certains de ces thèmes sont abordés de manière un peu simple, mais l'ensemble dresse à grand trait le tableau des défis qu'affronte un pays émergent.
Avec la série Black Panther,
Ta-Nehisi Coates a montré qu'il est possible de concilier une ambition certaine dans les thèmes abordés avec la richesse de l'univers partagé Marvel et les impératifs éditoriaux imposés par la coordination entre séries.
Evan Narcisse relève le même défi, avec la même habileté. Pour lancer son histoire, il bénéficie des dessins descriptifs, propres sur eux et assez détaillés de
Paul Renaud qui arrondit discrètement certaines parties des contours encrés. Alors même qu'il prend conscience de la densité narrative nourrie par les dialogues, le lecteur constate que l'artiste se débrouille bien pour éviter d'aligner des têtes en train de parler. Renaud réussit à reprendre les caractéristiques visuelles définies par
Brian Stelfreeze dans la série Black Panther. Il sait imaginer des mises en scène qui montrent ce que font les personnages, les endroits où ils évoluent. le lecteur apprécie une narration visuelle agréable à l'oeil, variée dans ses cadrages, avec assez de recul pour donner de la place à tous les personnages, sans oublier la dimension spectaculaire lors des séquences d'affrontement.
L'encrage de
Javier Pina est un peu plus sec que celui de
Paul Renaud, ce qui rend les dessins un tantinet moins agréables à l'oeil. Il est visible que de temps à autre cet artiste fatigue un peu à concevoir les plans de prise de vue pour concilier la place prise par les phylactères et ce qu'il doit montrer. Cela se remarque surtout quand il commence à s'affranchir de représenter les arrière-plans. Cette diminution de la densité d'informations visuelles se ressent immédiatement, car alors les images deviennent le parent pauvre des dialogues dans la mesure où elles contiennent beaucoup moins d'informations. D'un autre côté, avec un peu de recul, il apparaît que
Javier Pina représente plus d'éléments que dans un comics de superhéros mensuel, et que l'absence de décors est sporadique et non systématique. Par ailleurs, il sait insuffler le dynamisme nécessaire pour rendre les scènes d'action rapides et intéressantes.
Rapidement,
Evan Narcisse épate le lecteur familier de l'univers Marvel, par sa capacité à lier des événements classiques au récit de l'émergence du Wakanda. Il intègre la mise à disposition de Vibranium pour fabriquer le bouclier de Captain America, les origines de Klaw, les différents membres de la famille de T'Challa (y compris Jakarra), des éléments de rétro-continuité plus récents comme l'existence et les activité de Winter Soldier, et des références très pointues comme le personnage de Laynia Petrovna (Darkstar) contrainte d'obéir pour assurer la survie de son frère Nikolai Krylenko (Vangard). le scénariste ne se livre pas tant à un exercice de rétro-continuité balourd, qu'à une réécriture des faits connus sous une forme plus actuelle. le lecteur habitué de l'univers Marvel retrouve donc des faits canoniques inscrits dans le marbre, mais racontés d'une autre manière.
Alors qu'il peut s'interroger a priori sur l'intérêt de cette minisérie, le lecteur découvre une histoire dense et bien tournée, intégrant la continuité de l'univers partagé Marvel, avec respect et pertinence, pour un récit de politique fiction avec une réelle envergure. Les épisodes 1 & 3 bénéficient d'une mise en images très agréable et adroite pour ménager la place aux phylactères, et être à la hauteur en termes de densité narrative et de fluidité. La narration visuelle des épisodes 2 et 4 à 6 baisse d'un ou deux degrés en qualité, tout en restant complémentaire de l'intrigue copieuse. En fonction de sa sensibilité, le lecteur peut se retrouver un peu rebuté par la densité narrative, ou apprécier pleinement cette version plus moderne de l'Histoire du Wakanda, au travers des 2 dernières générations de roi.