KESSEL AU KENYA, MAIS SANS MILOU
Quand vous commencez ce récit, comment ne pas immédiatement penser à «
TINTIN AU CONGO » ?
KESSEL et TINTIN, sont tous deux « Grands Reporters » occidentaux.
Tous deux se rendent dans le coeur de l'Afrique : «
TINTIN AU CONGO » -
KESSEL au Kenya.
Dès 1930, sous le crayon de
HERGE, TINTIN apparaît en précurseur.
La première édition de juin 1930 est en « Noir & Blanc » - tout un symbole pour un blanc au pays des noirs.
Puis en 1946,
HERGE publie la première version couleur.
Ainsi, seulement quelques 8 années après, en 1954,
Joseph KESSEL réalise à son tour son reportage ; directement en couleurs cette fois, tant le texte foisonne de descriptions multicolores.
Mais contrairement à
HERGE qui a construit son oeuvre sur des préjugés et stéréotypes typiques de la vision qu'avaient les européens de l'Afrique à cette époque,
KESSEL ne porte aucun jugement sur ce qu'il voit.
Il se contente de décrire ; mais le fait de telle manière que le lecteur est automatiquement embarqué dans la dynamique du récit.
Ce dernier est articulé autour de 3 chapitres (Mau-Mau - La route aux merveilles - Hommes étranges et bêtes sauvages) et 26 paragraphes ou mini-reportages distincts
Dès la première page,
KESSEL nous plonge dans le rythme du récit (« J'arrivais au Norfolk Hôtel de Nairobi vers quatre heures du matin. Il pleuvait. Et l'air était moite, gluant. … Et la chambre même m'oppressait avec son écriteau énorme : Surtout fermez bien votre porte »).
Tout comme
HERGE, avec son style fluide (« La ligne claire ») et ses descriptions sans concession,
KESSEL traduit avec sa sensibilité les différences climatiques, culturelles et géographiques que peut éprouver un européen au contact du Continent Noir.
Le premier chapitre « Mau-Mau » décrit la révolte des kenyans contre le colonisateur britannique. Et comme toute décolonisation en cours, mille drames individuels ou collectifs émaillent ce processus violent.
KESSEL détaille ces haines, incompréhensions réciproques et dresse de superbes portraits des exceptionnels explorateurs rencontrés, témoins actifs d'une dynamique qui leur échappe totalement.
Le second chapitre « La route des merveille » constitue à mes yeux un document prospectif inestimable.
Dans le Kivou,
KESSEL y détaille « La tribu fabuleuse » (p.160) des Watutzi (« Les vieillards prodigieux se tenaient immobiles, appuyés des deux mains sur des cannes aussi hautes qu'eux-mêmes ». le premier, sans remuer d'une ligne, donna un ordre à mi-voix. ») et celle de leurs serviteurs séculaires des Bahutu (« Deux noirs aussitôt surgirent de la case. A demi nus, courtauds, lourds d'attache, camus, lippus. Serviteurs, serfs, esclaves : des Bahutu »).
Ce document de 1954, explique sans fard les liens régissant les deux tribus et qui aboutirent au génocide des Tutsi (Watutzi) par les Hutus (Bahutus) en juillet 1994 au Rwanda. Edifiant !
Le troisième chapitre, par 11 récits rythmés, décrit la traversée colorée du Kenya vers Zanzibar.
Et tout finit dans le rythme africain, par une chanson.
« Et dans le chant des haleurs noirs, j'entendais ce qu'ils ne prononçaient pas :
- O grands lacs !
- O vertes collines !
- O vallée du Rift !
- O pistes fauves !
- Afrique ! »
Conclusion : un chef-d'oeuvre ! un six étoiles Babelio ! – ces 363 pages proposent une traversée inoubliable de l'Afrique d'alors – à ne manquer sous aucun prétexte
P@comeux - 2014/05 ©