Le pastelliste, après s'être longtemps fait prier, avait fini toutefois par accepter, à la condition expresse qu'il ne serait interrompu pendant la séance par personne. Mme de Pompadour ayant accepté l'arrangement, La Tour arrive au jour dit et se dispose à travailler. Suivant sa coutume, il ôte les boucles de ses escarpins, ses jarretières, son col, accroche sa perruque aux flambeaux et met sur la tête son bonnet de peintre. Libre dans ce costume d'atelier, il commençait à crayonner lorsque Louis XV entre. Mme de Pompadour sourit. Le roi s'étonne du costume sans-façon du peintre. La Tour fait la grimace. Il se lève, ôte son bonnet. «Vous m'aviez promis, madame, que votre porte serait fermée. » Le roi insiste doucement pour rester. « Il m'est impossible d'obéir à Votre Majesté, reprend La Tour; je reviendrai lorsque madame sera seule. » Il emporte sa perruque, son col, ses jarretières, son chapeau, s'habille dans une autre pièce et part. La Tour ne revint que plusieurs jours après, quand Mme de Pompadour l'eut assuré qu'il ne serait plus interrompu à l'avenir dans son travail.
La Tour ne manqua pas de panégyristes de son vivant ; mais certains étaient intéressés à faire parade de leur enthousiasme dans ce champ clos où se débattait la réputation du peintre. Un témoignage posthume plus réservé a permis, un siècle après la mort de La Tour, de contrôler jusqu'à un certain point son caractère, sa façon d'agir à la cour et à la ville. En ce sens, ils offrent un réel intérêt les documents manuscrits laissés sur l'artiste par Mariette. Sans doute ces notes sont un peu longues, quelque peu séniles et de mauvaise humeur; mais à la suite d'une instruction, alors que le tribunal attend la vérité d'un débat contradictoire, un témoin disert et prolixe n'apporte pas moins sa part de faits intéressants s'il a été en relations suivies avec l'accusé dont on veut connaître le passé; aussi les écrits de Mariette, considéré comme témoin, restent-ils d'une utilité indéniable dans ce qu'on pourrait appeler la cause La Tour.
Entre tous les maîtres du XVIIIe siècle, La Tour est particulièrement intéressant en raison des nombreux personnages en vue dont il a reproduit les traits. La Tour a peint les souverains, les financiers, les philosophes de son temps ; il s'est plu surtout à représenter les femmes de la cour, de la bourgeoisie, les femmes de théâtre sous Louis XV, et par là ses crayons sont restés infiniment précieux, l'élément féminin jouant un grand rôle même en histoire.