Retrouver Didier van Cauwelaert est toujours un plaisir, la perspective de l'entendre s'exprimer sur son dernier roman ne fait qu'ajouter à la joie d'entrer dans son nouveau livre,
La Vie absolue. Je remercie Babelio et Albin Michel de cette chance qui m'est offerte.
Ma première réaction en voyant le sujet du livre a été de relire
La Vie interdite, paru en 1997, dont je ne gardais pas de réel souvenir, puis de m'interroger sur les raisons qui auraient pu pousser l'auteur à faire « revivre » son fantôme d'autrefois. Je n'ai pas (encore) de réponse mais l'envie de rebondir sur le dernier paragraphe de
la vie interdite est grande :
« Quand mon auteur pense à autre chose, je perds la notion du temps, et je me rends compte que j'ai cessé d'exister au moment où il essaie à nouveau de me cerner dans une phrase, de corriger ce qu'il me fait dire. Les gens qui l'achèteront me redonneront-ils un peu de vie, m'attireront-ils près d'eux le temps de leur lecture ? Je ne sais pas si c'est un espoir ou une angoisse. Mais maintenant que j'ai cédé la place, je voudrais disparaître tout à fait. Et, malgré moi je m'agrippe. J'essaie de planter des mots bizarres dans l'inspiration de mon romancier, sans les comprendre. »
Delà à se dire qu'un personnage peut hanter son auteur des années après, il n'y a qu'un pas ! Et j'aime beaucoup cette idée. C'est donc avec joie que j'ai retrouvé dans ces pages le facétieux Jacques Lormeau, quincailler par obligation, artiste inachevé par goût, décédé vingt-cinq ans auparavant et laissé durant de nombreuses années à ses errances d'esprit en recherche de légitimité entre « le vestiaire du rez-de-chaussée » et l'inatteignable (ou non souhaité) toit-terrasse, « privatif, inoccupé où en colocation », réservé à Dieu.
Il n'est pas nécessaire d'avoir lu
La Vie interdite pour comprendre immédiatement les petites mesquineries, les jeux d'alliance et autres arrangements entre les différents protagonistes, notables d'une petite ville de province, mais pour qui les connaît, les retrouver grandis (ou pas !) est un petit plus.
Jacques Lormeau est dans
La Vie absolue exhumé dans le cadre d'une recherche de paternité qui va, de rebondissements en rebondissements, globalement assez prévisibles, offrir à
Didier van Cauwelaert une galerie de portraits et un ensemble de réflexions sur le monde d'aujourd'hui.
Avec l'humour qui le caractérise, l'auteur nous entraîne dans une observation du monde et des âmes, sans oublier de rester ancré à toutes les actualités qui font, ou ont fait notre quotidien, ces dernières années, des gilets jaunes au drames de la pédophilie, en passant par les combats féministes, et les arrangements avec les dieux pouvoir et argent, l'ensemble étant porté par la question qui nous effleure sûrement tous à un moment ou un autre : que sont nos morts devenus, influencent-ils nos vies ?
J'ai aimé, comme toujours, l'écriture alerte et inventive de celui qui déplore que tout puisse être cloisonné « ici-haut » ou n'hésite pas à comparer l'aura des esprits qui jalonnent son récit en insistant sur la différence avec la vie d'avant, « De son vivant, elle n'était pas spécialement futée, mais, vu la qualité de son aura […] je me fais l'effet d'être une âmelette ».
J'ai aimé l'humour qui m'a fait sourire et offert un sourire en retour de mon grincheux vis-à-vis de métro, j'ai aimé les personnages que l'on croise chaque jour, que l'on a envie de gifler ou de serrer dans ses bras.
J'ai surtout aimé la légèreté d'un texte qui sait être grave sans nous assommer, et l'idée que « pour pouvoir vraiment évoluer dans l'au-delà en explorant d'autres cieux il faut en avoir fini avec ses remords terrestres. » Peut-être pour pouvoir « revenir au monde sans idées préconçues » ?
Un roman léger et lumineux à lire pour échapper à la noirceur des jours