Sept nouvelles, sept claques, sept uppercuts. Un recueil, rare et précieux, de Corée du Nord qui a réussi à nous parvenir, non sans risque, par un auteur qui se cache derrière le pseudonyme de Bandi, « Luciole » en coréen. Petite lumière ténue et virevoltante pour éclairer notre ignorance sur la vie là-bas. Une lumière qui ne réchauffe pas mais glace par son incandescence. Une lumière surtout pour éclairer ce pays plongé dans le noir.
« Je vis en Corée du Nord depuis cinquante ans,
Comme un automate qui parle,
Comme un homme attelé à un joug.
J'ai écrit ces histoires,
Poussé non par le talent,
Mais par l'indignation,
Et je ne me suis pas servi d'une plume et d'encre,
Mais de mes os et de mes larmes de sang.
Elles sont aussi arides que le désert,
Aussi brutes que la prairie sauvage,
Aussi pitoyables qu'un malade,
Aussi maladroites qu'un grossier outil en pierre,
Mais, cher lecteur,
Je t'en prie, lis-les ! »
Arides, brutes, pitoyables, maladroites ? Oh non, le talent de Bandi est incontestable vu la façon dont ces nouvelles claquent et marquent le lecteur en plus de son écriture, limpide, directe et même, à de maintes occasions, poétique. Elles arrivent avec sobriété à nous faire réellement ressentir toute l'injustice, toute la souffrance de ce peuple muselé. Au point de nous révolter et de nous émouvoir. Ces nouvelles sont des témoignages, des cris poignants, Bandi se posant en porte-parole des habitants de Corée du Nord, « contraints de subir tout à la fois les conséquences désastreuses de l'économie socialiste propre à ce pays, un régime de castes et un système de punitions collectives – le mal le plus cruel qui soit dans toute l'histoire de l'humanité » comme nous explique Do Hee-Yoon en préface, responsable de l'ONG « Solidarité et droits de l'homme pour les réfugiés nord-coréens ».
Sept textes remarquablement écrits donnant voix à des épouses, des grands-mères, de jeunes étudiants, des hommes et des femmes du peuple, tous confrontés à l'absurdité de la dictature nord-coréenne, à sa chape de plomb, son hypocrisie et sa violence. Sans omettre sa propagande, permanente. le ton est nerveux, sans pathos, l'angoisse de
la dénonciation tapie, de toute part.
Un fils empêché d'aller au chevet de sa mère mourante à quelques kilomètres de là seulement, un homme contraint au suicide en comprenant combien ses décorations ne sont que des bouts de ferrailles sans valeur ne permettant pas de se nourrir ni de se chauffer, un grand-père et sa petite fille broyés par une marée humaine dans une gare à cause du déplacement du Grand Leader, une famille contrainte à l'exil à cause d'un rideau tiré pour ne pas voir les portraits géants de Marx et de Kim Siun II qui effraient leur petit garçon, l'obligation d'aller pleurer des jours durant et parfois au péril de leur vie à la mort de
Kim Il-Sung même si c'est à cause de lui que le peuple meurt de faim, un journaliste obligé d'annoncer des bonnes nouvelles totalement fausses…voilà quelques exemples de récits que vous trouverez dans ce recueil d'inspiration toute personnelle, Bandi ayant perdu beaucoup de proches, certains d'entre eux mourant de faim et d'autres ayant choisi l'exil.
« La scène horrible à laquelle il avait assisté, quand sa petite-fille avait eu la jambe cassée et qu'il s'était fait écraser le bas du dos, avait dû se graver jusque dans ses os et il ne pouvait s'empêcher de la revivre, surtout en ce moment où la propagande du « voyage du peuple dans le bonheur » battait son plein et ravivait ses souffrances ».
Je ne suis habituellement pas férue de nouvelles mais j'avoue que le choix des nouvelles est ici très pertinent. Cela permet, dans chacune d'entre elles, de montrer un pan de la souffrance, de l'absurdité, des horreurs vécues suivant des configurations différentes, une sorte de kaléidoscope de l'état des situations possibles et des souffrances engendrées en Corée du Nord. A vous en arracher quelques larmes, à vous en arracher l'âme et le coeur, à vous en remuer les tripes. Une lecture tragique à lire absolument pour ne jamais oublier ce qu'est une telle dictature et ce que signifie la liberté. Immense respect à Bandi.