Après la découverte étonnante du dernier texte de cette auteure, d'origine iranienne, "Les putes voilées n'iront jamais au paradis", je me suis précipitée à la médiathèque pour emprunter d'autres écrits, dont celui-ci...afin de faire plus ample connaissance avec cette femme écrivain, courageuse, qui écrit directement en français !
Dans cette "Dernière séance"... la narratrice iranienne relate ses aventures à un double niveau, avec des flash-backs sur Téhéran, son pays, l'Iran, Istanbul où elle entreprend des études, Sofia et enfin Paris...et en alternance, elle nous raconte 6 années d' analyse... Psychanalyse mouvementée où la narratrice apostrophe souvent rudement et insolemment son psy...
Le texte est fort intéressant, parfois inégal... Personnellement, ... les passages qui m'ont le plus touchée sont les réflexions sur la langue française, à laquelle elle rend un vibrant hommage.
"C'est peut-être insensé de dire ça, mais en français, je veux dire dans la langue elle-même, j'ai trouvé un refuge...
-Oui
-...Chaque mot que j'ai arraché au dictionnaire m'a arrachée à son tour aux blessures que j'avais vécues en persan.(...)
-Je ne sais comment le dire...J'ai fait miens les mots français, et eux, ils ont fait leur mon enfance, mon enfance qui s'est passé sans eux.(...)
- Ils ont créé une distance, un espace entre moi et le passé que j'ai vécu dans ma langue maternelle, et c'est dans cet espace-là que je pourrais, peut-être construire une vie...
Dans cet entre-deux. (...)
J'aime cette langue comme on peut aimer quelqu'un... Elle est la plus belle rencontre de ma vie" (p. 198)
L'héroïne dit son mal-être, le mal du pays lancinant, les déchirures multiples (une mère mal-aimante qui désirait un garçon, lui reprochant régulièrement d'être une fille; un père brillant , mais dont la vie bascule avec l'opium et la folie...qui fut la terreur dans sa demeure..et pour sa fille !.), la nécessité de claquer la porte "familiale" pour tenter de survivre...
Comme il est connu, dans ces pays, être une jeune fille seule même des plus courageuse, est un péril de tous les instants...
Des allées-retours dans le récit, entre le déroulement des séances psy... et le vrai "parcours de combattante" de la narratrice pour fuir son pays , l'Iran, afin d'échapper à une famille mortifère,à un régime de terreur, ainsi qu'aux déconsidérations constantes, violentes, envers les femmes, et même les petites filles...
Une échappée vers la Turquie, puis vers la Bulgarie, puis à nouveau vers la Turquie, où Donya travaille avec acharnement pour obtenir des papiers, entrer à l'Université...
En sus de ce double niveau de récit, s' intercalent des poèmes...personnels !
La narratrice se débat en France, à Paris, dans sa chambre de bonne pour poursuivre ses études, et payer parallèlement ses séances d'analyse...On sent la narratrice à la fois , fascinée et exaspérée,méfiante envers la psychanalyse...
De nombreuses thématiques s'entrecroisent: l'exil, l'apprentissage d'une langue, se construire envers et contre tout lorsqu'on naît "fille" dans un pays non démocratique, où les discriminations envers les femmes sont "monnaie courante", et quasi "institutionnelles"....
"Et crois-tu que les choses ne vont pas changer pour les femmes ? Tu sais, avant d'aller en France, je me croyais seulement un homme, et depuis que je vis à Paris, je suis devenu un être humain.
Et ça, c'est grâce à des relatons amoureuses ou amicales que j'ai eues avec des Françaises. J'ai compris à quel point dans nos pays musulmans on abîme mentalement hommes et femmes. Cette virilité fruste, ce mépris de la féminité qu'on inculque aux hommes..."(p. 477)
Un texte qui m'a permis de faire connaissance avec l'univers de Chahdortt Djavann... même si personnellement, les séances psy auraient pu être réduites...autre bémol: la fin tragique de Donya...
On se surprend... à être heureux , soulagé de savoir l'auteure, vivante... et poursuivant par l'écriture, ses courageux engagements et dénonciations des "malheurs faits aux femmes" dans les espaces minés par la propagande et le fanatisme religieux...
En dépit de passages inégaux et de la conclusion qui m'afflige, ce texte est prenant, rythmé, réunissant colère, rébellion, indignation, poésie, et une insolence des plus salutaires ....!
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Donya, jeune iranienne, s'enfuit en Turquie au lendemain de son mariage. Deux ans plus tard, elle part à Paris.
Dépressive, révoltée, elle suit une psychanalyse.
Le récit alterne, en cours chapitres, sa vie à Istanbul en 1991 et ses séances de thérapie en 1996.
Ce découpage n'apporte pas grand-chose à l'histoire et tendrait plutôt à en laisser le lecteur extérieur. Je n'ai pas réussi à entrer vraiment dans la vie de Donya.
Mais j'ai quand même envie de savoir la suite, et elle est longue, encore 390 pages.
Et au final, la surprise est bonne. Ce roman nous offre le témoignage de la vie sous un régime obscurantiste et de la détermination à en sortir d'une jeune femme pleine de désir de fuite et de conquête.
Les envies de mort et la rage de survivre se battent en elle. Et pour s'en sortir, elle recourt à la psychanalyse.
Si le récit des séances se mêle à sa vie passée, on en sent de plus en plus la nécessité en découvrant la vie de Donya. Et si cette alternance m'avait perturbée au début, elle me semble finalement parfaitement cohérente.
C'est un beau portrait de femme, écrit dans un style simple et limpide. Une femme de fort caractère, d'une grande intelligence, qui souffre de son enfance et de son pays, qui va jusqu'au bout de tout pour s'en sortir.
Sa personnalité nous accompagne bien après que ne soit fermé le livre.
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En fait, je n'ai jamais vraiment eu de langue maternelle.
- Oui ?!
- Une grande partie de moi n'a jamais trouvé sa place en persan.
- Vous vous souvenez, je vous avais raconté qu'au moment de la dictée, à huit ans, d'un coup, j'avais oublié l'alphabet... C'est que j'étais tombée de l'autre côté de la langue, de l'autre côté du langage. Je sais que ça ne fait pas sens., parce que personne ne sait où est l'autre côté du langage et que, précisément, c'est le néant; et voilà, je suis tombée dans quelque chose qui n'existe pas, dans le néant. (p. 189)
Dans sa chambre, elle note dans son cahier:
Quand j'étais petite
je jouais avec les étoiles
dans une cour abandonnée.
Je leur confiais mes rêves
mes histoires
mes pleurs et mes peurs.
Quand j'étais petite
le ciel était si bleu
si beau et si proche
que je pouvais murmurer à l'oreille des étoiles.
Elles m'écoutaient toutes
en silence.
Quand j'étais petite
le ciel
les étoiles
m'aimaient beaucoup. (p. 214)
p. 320 « C’est si rare de partager la joie de l’autre. Nous accueillons souvent le malheur de nos proches avec compassion et bienveillance, car nous nous sentons utiles. Réconforter des amis dans le malheur nous persuade de notre noblesse d’âme et de notre générosité. En vérité, la faiblesse et l’échec des autres nous aident à supporter les nôtres. Etre là pour un proche lorsqu’il va mal n’a rien d’extraordinaire, mais être là pour lui quand il va bien, pouvoir supporter sans jalousie son bonheur et sa réussite exige une générosité bien plus grande. L’empathie avec l’autre est plus noble dans la joie que dans le malheur. »
Elle passait son temps à étudier soit à l'ancienne Bibliothèque nationale, rue de Richelieu, qu'elle adorait, soit dans sa chambre de bonne. Myriam essayait parfois de la faire sortir de sa tanière, mais sans succès. (...)
Je m'enferme pour que les autres ne m'enferment pas. (p. 384)
Et crois-tu que les choses ne vont pas changer pour les femmes ? Tu sais, avant d'aller en France, je me croyais seulement un homme, et depuis que je vis à Paris, je suis devenu un être humain. Et ça, c'est grâce à des relatons amoureuses ou amicales que j'ai eues avec des Françaises. J'ai compris à quel point dans nos pays musulmans on abîme mentalement hommes et femmes. Cette virilité fruste, ce mépris de la féminité qu'on inculque aux hommes...(p. 477)
CHAHDORTT DJAVANN : LA FORCE DU VERBE
Festival du Premier Roman
animé par Olivier Nahum
avec Chahdortt Djavann