Jean-Pierre Bat a acquis une certaine notoriété. D'abord en publiant fin 2012 une synthèse monumentale sur l'histoire de la Françafrique (Le syndrome Foccart, Folio Gallimard, 838 p.). Ensuite en organisant à Paris fin mars 2015 un colloque rendant compte de l'analyse et de l'exploitation du Fonds Foccart dont il a la charge aux Archives nationales. La publication de la fabrique des « barbouzes » coïncidait avec cet événement. le Monde en avait publié les bonnes feuilles. Son titre et son sous-titre laissaient augurer une histoire générale des réseaux Foccart en Afrique. Son contenu est beaucoup plus ciblé, qui renoue avec la thèse qu'il avait soutenu à l'Ecole des Chartes en 2006 et se focalise sur le Congo-Brazzaville et les années de l'indépendance.
En s'intéressant au Congo-Brazzaville, Jean-Pierre Bat met en lumière les deux priorités de la France gaulliste. La première est de maintenir son influence dans une colonie qui avait joué un rôle fondateur dans la geste de la France libre. La seconde est d'endiguer l'extension communiste qui menace l'ex-Congo belge. L'homme choisie pour mener à bien cette double politique est l'abbé Fulbert Youlou élu maire de Brazzaville en 1956 grâce au vote des Laris de la région du Pool. La France le préfère à Jean Félix-Tchicaya, pourfendeur du colonialisme à l'Assemblée nationale où il siège pendant toute la IVème République, et à Jacques Opangault, président de la section congolaise de la SFIO et chef du gouvernement jusqu'en 1958.
Fort de l'appui de Félix Houphouët-Boigny, Youlou fédère autour de lui les chefs d'Etat modérés d'Afrique francophone. Il prend la tête en décembre 1960 du « groupe de Brazzaville », ancêtre de l'Organisation commune africaine et malgache (OCAM). Cette association a un ennemi désigné : le nouveau Premier ministre de la jeune République démocratique du Congo, Patrice Lumumba. Youlou conspirera à sa perte, encourageant la balkanisation de son immense voisin via les sécessions du Katanga et du Kasaï. Quelques années plus tard, la France changera de politique et, faute d'avoir réussi à faire éclater ce territoire, cherchera à l'intégrer au pré carré. Elle soutiendra dans ce but Moïse Tshombé dans ses tentatives de prendre le pouvoir – qu'il occupera de 1964 à 1965 avant d'en être chassé par Joseph Mobutu, l'homme de la CIA.
Pour mener à bien cette politique, la France a entouré l'abbé Youlou de « barbouzes ». Jean-Pierre Bat en croque les portraits avec une gourmandise communicative. Maurice Bat alias « Monsieur Maurice » est un ancien policier, condamné à l'indignité nationale à la Libération que recrute le SDECE – l'ancêtre de la DGSE – pour approcher l'abbé Youlou dès 1956 et l'accompagner dans sa conquête du pouvoir. Emile Bougère alias « Monsieur Vincent », communiste repenti devenu expert de la propagande anti-communiste est chargé de la communication du nouveau président congolais. Alfred Delarue alias « Monsieur Charles », compromis pendant l'Occupation, monte sur pied le premier service de renseignement congolais de 1959 et tente en vain de créer une école des cadres. Ces personnages sulfureux, auxquels il faut rajouter Antoine Hazoume, Jean Mauricheau-Baupré et Philippe Lettéron accompagnent l'abbé Youlou jusqu'à son renversement à l'été 1963 et, plus tard, dans ses vaines tentatives de reprendre le pouvoir.
L'auteur du « Syndrome Foccart » cherche à écrire une « histoire à hauteur d'homme » (p. 491) qui rende compte, à travers l'exemple des premières années de la jeune république congolaise, du rapport entre la stratégie élaborée par Foccart et de la tactique déployée sur le terrain. Il y parvient haut la main. le chapitre qu'il consacre aux « Trois Glorieuses » de Brazzaville, ces trois journées d'août 1963 qui sonnèrent le glas du régime Youlou, est un modèle de reconstruction d'un événement historique au tamis d'archives discordantes. A partir du transcript des entretiens téléphoniques entre De Gaulle et Youlou – en l'absence de Foccart qui était allé pêcher en mer pendant le week-end de l'Ascension – Jean-Pierre Bat explique l'absence de la réaction de la France. Archiviste paléographe de l'Ecole des chartes, il relève le défi des sources, jonglant entre les archives officielles souvent épurées, les archives privées difficiles d'accès, les Mémoires pas toujours sincères, les entretiens oraux auprès des rares protagonistes survivants (nombreux ont disparu dans des conditions obscures tels Monsieur Vincent ou Monsieur Charles), les rares photographies, etc.
Cette critique a été publiée dans le numéro 253 de la revue "Afrique contemporaine" de l'AFD
Lien :
http://www.cairn.info/revue-..