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EAN : 9782847208948
430 pages
Gaïa (02/01/2019)
3.6/5   29 notes
Résumé :
Juste avant la chute du Mur, un officier de renseignement danois est exfiltré de RDA. Puis disparaît, passe à l'Est, et refait sa vie en Russie. Sa fille Laila a grandi dans la honte de cette trahison. Adulte, elle renonce à une carrière d'officier interprète après deux missions traumatisantes en Irak et s'occupe d'un camping au Danemark. Lorsqu'elle reçoit la visite de deux ex-agents, décidés à reprendre du service, et qui ont besoin d'elle. La fille du traître.>Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (13) Voir plus Ajouter une critique
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Le cocktail habituel de Leif Davidsen : une aventure qui fleure bon les services secrets, une histoire familiale compliquée et émouvante ainsi qu'un splendide voyage touristique et culturel. Autant ne pas ménager le suspens, celui-ci est vraiment très réussi. La fille abandonnée est rancunière, bien décidée à se venger, le traître a des choses à dire sinon pour sa défense du moins pour apaiser sa fille et appâter de vieux espions qui reprennent du service pour lui extorquer quelques confidences brûlantes ; le demi-frère est brutal et aigri mais va évoluer, le méchant du FSB est aussi retors qu'intelligent, les oligarques russes s'inquiètent pour leur business et la tension monte graduellement pour une conclusion surprenante.
L'un des grands mérites de ce roman concerne les aspects culturels et géopolitiques qui sont à la hauteur des personnages et de l'intrigue. Dès les premières pages, l'envie d'aller faire une croisière sur la Volga en faisant escale dans les rues de Ples saisit le lecteur, impatient de se glisser dans les pas de ce Danois exilé en Russie.
« Il y avait ces églises à coupoles et ces maisons sur les flancs des collines. Elles étaient si belles dans la lumière dorée du soleil, et représentaient ce qui l'avait séduit en Russie. le vieux débarcadère à moitié submergé par la Volga avait disparu, comme les communistes qui l'avaient construit. le port qui l'avait remplacé s'offrait comme le reste de la ville aux touristes de passage, et en particulier à leur argent. Ils ne restaient pas très longtemps, aussi s'agissait-il de les traire tant qu'on le pouvait. Les petits chalets, avec leurs fenêtres à croisillons, étaient peints en bleu, en vert profond et en marron, et l'été, dans les rues, il flottait un parfum floral qui enivrait les abeilles comme les gens. »
De même, les nombreuses descriptions de la nature tout comme celles qui concernent la cuisine ou l'histoire constituent d'autres belles invitations.
« le thé dans la tasse était presque noir et il s'en échappait toujours un peu de vapeur.
_ Oui, nous sommes bien ici.
_ Qui ne le serait pas à Ples ? On a l'impression d'être projeté dans la Russie d'autrefois. On s'attendrait presque à croiser Anna Karénine au détour d'une rue ou à saluer amicalement Tchékov se rendant dans sa pommeraie. Nous sommes un peuple, John Petrovitch, terriblement nostalgique de l'ancienne Russie, avec ses étés brûlants interminables et son air chargé de parfum de fleurs. Ses potagers luxuriants. Les femmes en robe d'été sous leurs ombrelles claires. le champagne géorgien frais pétillant dans des flûtes et les lèvres séductrices d'une femme sur le bord d'un verre. Sans parler de ces longs et bons hivers avec la neige au-dehors et le crépitement du feu dans le poêle de notre petite isba, pas vrai ? »
L'éclairage porté sur des événements passés (Crimée, Ukraine) que futurs (souhaitons que l'opération Valkyrie si brillamment et clairement décrite ici ne reste qu'une fulgurance littéraire) est très convaincant. Il me semble très proche de la réalité politique et culturelle de la Russie et de l'inquiétude de ses « petits » voisins du Nord ou de l'Ouest.
« L'ours s'est réveillé. L'ours a retrouvé ses griffes. Nos bons amis de la Baltique et de la Pologne sont très inquiets. Que faire face à un ours en colère ? On l'avait pourtant apprivoisé, pas vrai ? »
Quand les césures culturelles sont expliquées par un colonel du FSB, le fossé devient aussi large que limpide :
« _ Tous les Russes cachent un romantique au fond de leur âme immortelle. C'est ce qui fait que ce pays est si spécial. Pourquoi voudrions-nous du style de vie occidental, décadent et athée ? du culte des Occidentaux pour les homosexuels et les autres êtres dépravés. du vide infini de l'Occident. L'Occident essaie de supprimer Dieu, mais sans Dieu nous n'avons plus de guide moral. Grâce à notre président, nous avons trouvé notre voie, celle de la Russie et de la religion orthodoxe. C'est la voie éternelle, qui ne nous a jamais trahis. Si nous la suivons, les sanctions et autres menaces américaines ne peuvent nous toucher. Pas vrai ? »
Et lorsque la vodka a coulé un peu trop fort, c'est un oligarque qui se met à critiquer le régime :
« _ L'époque actuelle me fait penser à celle de Nicolas Ier.
_ Qu'est-ce qu'il avait de particulier ?
_ Je peux te résumer ça en trois mots. Orthodoxie. Autocratie. Nationalisme. Enfin, Russitude.
_ En effet, ça y ressemble. Je le reconnais volontiers.
_ C'était un despote. Son règne a duré trente ans. Il a mis sur pied une police secrète puissante et un immense réseau d'espions. Il a proscrit la littérature et la presse critiques et poussé je ne sais combien des plus éminents intellectuels russes à l'exil.
_ D'aucuns affirment qu'il régnait d'une main de fer, mais qu'il a aussi fait de la Russie une grande nation, crainte et respectée.
_ Peut-être, mais il est mort brisé et affaibli après avoir perdu une énième campagne militaire. Et où ? En Crimée. Avec sa folie des grandeurs, Nicolas Ier a cru qu'il pourrait s'attaquer impunément à l'Empire ottoman, à la France et à la Grande-Bretagne. Aux grandes puissances de l'époque. A l'Occident tout entier. Ca ne te rappelle rien ?
_ C'est une conversation dangereuse, Oleg. Très dangereuse. »
En conclusion, une superbe couverture, une histoire passionnante et très bien racontée, une documentation habilement distillée sans être didactique, des personnages épais et complexes vous feront passer un excellent moment et refermer ce roman à regret.
Mes plus vifs remerciements à Babelio et aux éditions Gaïa pour m'avoir offert ce plaisir de découvrir ce nouvel opus de Leif Davidsen.
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"La fille du traître"," Djaevellen i Hullet" en version originale parue en 2016, a été publié par les éditions Gaïa début 2019. le style est fluide, plus travaillé que lors de ses premiers écrits dont l'écriture portait plus son empreinte de journaliste. le ton est désabusé: "Quand elle regardait dans leurs yeux marron pleins de vie un matin comme celui-ci, elle pouvait se mettre à pleurer en pensant à ce qu'ils pourraient devenir si personne ne les prenait par la main." (Page 60).

A part le prologue, le rythme très lent se déroule au fil d'un récit fourmillant de détails, où l'on reconnaît la patte de journaliste de l'auteur: "C'était une neige gelée et dure qui mordait les joues. Il enfonça son bonnet de ski blanc sur son front et s'agenouilla, prêt à faire feu, derrière un des cygnes en pierre noirs qui bordaient les étangs devant le palais. Il avait la vue dégagée sur la route qui menait à l'entré principale de la résidence." (Page 31)...."Dietmar tenait sa tasse en l'aire, face à lui, comme si elle avait une valeur particulière, alors que Laila l'avait achetée avec cinq autres au supermarché du coin. Il but une autre gorgée et reposa sa tasse à moitié vide devant lui sur la table, avec un léger bruit clair. Par la fenêtre ouverte, on pouvait entendre les mouettes et le grondement saccadé d'une yole à moteur." (Page 74).

Ainsi, l'intrigue se met en place très lentement par une succession de tableaux, un peu comme lorsqu'on rassemble les pièces d'un puzzle par couleurs ou par motifs, au rythme de longs chapitres dans lesquels il ne se passe pas grand chose. Cela dit, la façon dont  Leif Davidsen raconte cette histoire d'espionnage est captivante.

2014. le président ukrainien s'apprête à quitter le pays, sans un regard pour son peuple déchiré par un conflit qui le dépasse.
Laila, jeune danoise propriétaire d'un modeste camping dans une station balnéaire du nord de l'île de Fionie, traumatisée par l'abandon de son père vingt ans plus tôt, reçoit la visite de Torsten et de Dietmar, deux hommes qui ont bien connu son père du temps où ils travaillaient pour les services secrets danois et allemand. Que lui veulent-ils?
Confrontés aux bouleversements qui redessinent la carte de l'Europe, les deux ex-agents reprennent du service pour une mission bien particulière: retrouver le père de Laila, ancien agent danois qui a trahi son pays en passant à l'est. La jeune femme, d'abord réticente, finit par accepter. Commence alors une formation qui la conduira en territoire ennemi, à Ples, petite ville russe où son père a pris sa retraite. Laila devra agir seule.
Connaît-elle le véritable objectif de sa mission? Les deux anciens espions lui ont-ils tout dit ou la manipulent-ils dans un but non avouable?  Laila, avide de vengeance, n'en a cure et saisi l'occasion de faire enfin payer à son père les années de rancoeur qu'elle a vécues après sa trahison.
Pendant ce temps, à Ples, le commandant Cherskov demande à John de reprendre du service afin d'identifier les fomenteurs d'un coup d'état en vue de renverser l'actuel président dont la politique compromet leurs activités commerciales. Trahira-t-il son pays et sa famille une seconde fois?

Contexte:
Leif Davidsen est un fin connaisseur de la Russie pendant et après la Guerre Froide. Mettant à profit son immense expérience du monde et de la civilisation slaves,  ses nombreuses allusions à l'histoire contemporaine et au contexte politique de l'URSS puis de la Russie moderne, donnent tout son souffle à La Fille du Traître:"Avec les sanctions économiques contre la Russie et le boycott suicidaire du pays à l'encontre des produits alimentaires occidentaux, peu de touristes avaient envie de se rendre à Moscou en ce début décembre. Et les hommes d'affaires n'avaient plus vraiment de raisons d'y aller non plus."(Page 156).
Un  pays en déroute: "Elle avait du mal à se figurer qu'elle se trouvait dans un pays en proie à une profonde crise économique et dirigé par un président autoritaire qui, par sa politique, avait entraîné son peuple dans une confrontation grave et très risquée avec le monde auquel elle appartenait...Ici, au Bolchoï, on aurait dit que personne n'avait conscience de la catastrophe qui les guettait." (Page 340).
La Russie moderne, finalement guère différente de l'URSS communiste: "Les discussions étaient certes vives, mais teintées de cette prudence qui lui rappelait l'époque soviétique. Il y avait de nouveau des codes à connaître. Certaines formulations étaient nécessaires, d'autres désapprouvées, voire interdites. Encore une fois, il se mit à regretter les folles années 1990 de cet ivrogne d'Eltsine, qui avait instauré un débat ouvert, libre et fantastique. La Russie était alors ...un phénix libéré qui allait renaître des cendres du totalitarisme et déployer ses ailes...Mais ce n'était plus le cas. L'oiseau s'était révélé être un dragon, et des oeufs qu'il avait pondus avaient surgi le glaive et la croix qui, une fois de plus, menaçaient de plonger la Russie dans les ténèbres." (Page 137)
Lien : https://legereimaginarepereg..
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Dans les années 80, juste avant la chute du mur, John Arnborg, agent de renseignement danois est exfiltré d'Allemagne de l'Est où il était emprisonné depuis quatre ans. Sa femme et sa fille, Laila, le retrouvent avec soulagement. Pas pour longtemps. John va repartir en Russie cette fois, trahissant son pays. Accessoirement, il a caché l'existence d'une seconde famille là-bas, une femme, Alla et un fils, Tor.

L'histoire se poursuit quelques décennies plus tard. Laila a dû grandir avec l'abandon et la trahison de son père. La trentaine bien avancée, elle vivote dans un camping dont elle est propriétaire sur la côte danoise. Elle est en difficulté depuis que son compagnon l'a quittée, lassé par son mauvais caractère, ses sautes d'humeur et son peu de sociabilité. Laila a auparavant participé à deux missions en Irak comme traductrice ; elle parle couramment arabe. Elle en est revenue profondément marquée par ce qu'elle a vu.

En Russie, son père est maintenant un vieil homme, malade de surcroît. Il vit à Ples, un charmant village typique au bord de la Volga, cher au peintre Isaac Levitan. Il voudrait reprendre contact avec Laila et réunir ses deux enfants. Mais il se sait toujours sous surveillance et il doit ruser pour y parvenir. Il souhaiterait revenir également au Danemark. Il est préoccupé par le sort de son fils, Tor, combattant de choc, gravement blessé lors d'une mission.

Sur cette trame, l'auteur mêle brillament une histoire de famille à une situation géopolitique compliquée, celle de la Russie de Poutine. L'équilibre est parfait entre les deux et c'est un roman qui se dévore avec un intérêt grandissant.

John va réussir à faire venir Laila en Russie, via deux vieux espions qui reprennent du service. Laila poursuit un but en y allant, loin des aspirations de son père. Elle découvre un pays aux antipodes du sien et surtout un demi-frère dont elle n'a que faire. de son côté, Tor ignorait l'existence de sa soeur danoise, les retrouvailles sont donc pénibles. Tor se présente comme journaliste, alors qu'il travaille dans une ferme à trolls.

Peu à peu, ils vont faire connaissance, sous l'oeil de John, qui n'ose guère s'en mêler. Laila ne le ménage pas et explose souvent de colère en repensant au passé. Par ailleurs, on ne change pas un agent double et il fréquente les hautes sphères russes, préoccupées par la politique de Poutine, persuadées qu'après l'Ukraine il s'attaquera aux pays baltes, plongeant à nouveau le pays dans le chaos.

Je n'en dirai pas plus ; tout ce qui concerne la politique est solidement documenté et fait froid dans le dos. Les personnages sont particulièrement fouillés, on passe de l'un à l'autre en approfondissant leurs sentiments, leurs réactions et en ayant peur pour eux. Tor et Laila ont en commun de ne pas avoir froid aux yeux et de ne pas s'en laisser conter.

Une histoire forte et bien construite, à ne pas manquer.
Lien : http://legoutdeslivres.canal..
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Un roman à l'atmosphère particulière, entre deux époques, deux pays, le Danemark et la Russie où il est question d'espionnage, de pardon, de filiation ; quand la grande histoire croise des destins personnels.
Tout commence par un prologue qui se situe à Berlin en 1988 : l'exfiltration d'un agent danois, John, en Allemagne de l'est. Cet agent disparaîtra peu après laissant sa famille danoise désemparée.
C'est là que le lecteur fait la connaissance de Laila, (qui s'avère être la fille de John) jamais remise de la disparition de son père, retrouvé après son exfiltration lorsqu'elle avait six ans, enfui pour ses neuf ans ; pas facile d'endosser le costume de la fille du traître. La trahison de son père la poursuivra sa vie durant, identifiée comme telle, déménageant de ville en ville avec sa mère.
Laila, adulte, se laisse convaincre d'accepter une mission qui la conduira en Russie, dans un petit village où son père a pris sa retraite. Elle y découvrira un demi-frère ancien militaire et l'épouse russe de son père.
Ajoutez à cela un dirigeant corrompu en fuite, un coup d'état, un pays en déroute où l'économie est en faillite.
Le rythme est très lent, le récit très long (429 pages) fourmillant de (trop) nombreux détails qui nuisent au déroulement et au suivi de l'intrigue. Je me suis un peu perdue et vaguement ennuyée, le ton est très académique. Je préfère les récits plus nerveux.
C'est d'autant plus dommage que je ne me suis pas vraiment attachée aux personnages, notamment Laila et sa quête, trop concentrée à m'y retrouver parmi tous ces détails historiques.
Au final, ce récit ne m'a pas emballée, j'en garderais le souvenir d'une lecture laborieuse malgré tout l'intérêt que je porte à l'histoire de la Russie, aux bouleversements de ces dernières décennies en Europe de l'Est.
Ce texte trouvera son public j'en suis certaine car il est très précis et d'une qualité historique sans conteste, une belle démonstration de l'histoire russe et européenne.
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Une bonne façon de nous cultiver, de nous éclairer, de nous informer ... pour réfléchir à ce que devient notre monde d'aujourd'hui !
Une leçon d'histoire qui commence à Berlin en 1988, pour s'achever de nos jours dans une Europe désorganisée, déboussolée .... pour constater les enjeux actuels et les risques auxquels nous sommes confrontés, nous, les citoyens du monde !
Leif Davidsen, fort de son passé de grand reporter dans les pays de l'ex bloc de l'est, utilisant ses capacités d'analyse et de réflexion, réussit à nous passionner pour des enjeux qui bien sûr nous dépassent mais qui nous concernent tous.
Le régime actuel de ce qui reste de la Russie nous est décrypté et nous permet d'oser faire des comparaisons avec ce qu'est l'histoire de l'URSS d'hier et de la Russie d'aujourd'hui.... Comme si les malédictions, les travers ne pouvaient que se répéter !
Que pouvons nous faire ?
Ouvrir les yeux est déjà un bon début et cette lecture nous permet d'alimenter notre réflexion et nos futurs choix ... avant de fuir la locomotive prête à tout écraser et tirer la sonnette d'alarme !
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critiques presse (1)
LePoint
13 juillet 2020
Le roman est une réflexion sur la trahison. Peut-on avoir deux loyautés, deux nationalités ? Si toute dette doit être payée, rien ne vient jamais effacer une trahison. Il y a l'amour, la haine, et il y a la trahison.
Lire la critique sur le site : LePoint
Citations et extraits (29) Voir plus Ajouter une citation
Ce qui le fascinait par-dessus tout, c'était l'histoire de l'icône. Elle avait été cachée par une famille de paysans en 1924, quand Staline avait pris le pouvoir et fait fermer toutes les églises. Un paysan d'un kolkhoze l'avait prise dans l'église et dissimulée dans son étable sous la litière des porcs... Il avait terminé ses jours au goulag, dans le froid glacial de la lointaine Kolyma. Sa petite-fille ressortit triomphalement l'icône en 1991, quand la Russie mit le communisme à la porte. Le jeune père Telonius avait alors mené la procession de l'humble cabane du paysan jusqu'à l'église de la Résurrection, qui venait tout juste d'être rendue au culte orthodoxe. Telonius n'avait jamais secoué son encensoir avec autant de conviction. Derrière lui, les hommes du village s'étaient relayés pour porter la grande croix en bois sur leurs épaules nues et ensanglantées. Ils luttaient pour la porter le plus longtemps possible, jusqu'à ce que la douleur devienne insupportable. Alors, avec hésitation, ils passaient le relais. Ce fut à la quantité de sang versé par chacun d'eux qu'ils mesurèrent ensuite leur foi et leur persévérance, lorsqu'il allèrent boire de la vodka dans le bar qui venait d'ouvrir ses portes...
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_ Staline est de retour, dit-il. Vous ne voyez pas les signes ?
_ Du calme, Oleg, ça suffit.
_ J'ai vu notre honorable dirigeant, l'autre jour, à la télé. Vous savez ce qu'il a dit ? Vous savez quelle phrase cet enculé a prononcée ? Nos succès nous donnent le vertige. Staline a utilisé cette expression en 1930. C'était même le titre d'un article qu'il avait publié dans la Pravda : Le vertige du succès. Alors qu'il était en train de détruire l'agriculture soviétique. En pleine collectivisation, cette abomination qui allait porter un coup fatal à notre agriculture, il était saisi par le vertige du succès. Des millions de paysans ont été arrêtés, déportés ou exécutés. Le pays était en proie à la famine. Les gens crevaient comme des mouches. Des millions de personnes ont été contraints par les fusils et les baïonnettes à accepter l'enfer de la collectivisation. Mais Staline ressentait le vertige du succès, comme notre dirigeant actuel.
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Il y avait ces églises à coupoles et ces maisons sur les flancs des collines. Elles étaient si belles dans la lumière dorée du soleil, et représentaient ce qui l'avait séduit en Russie. Le vieux débarcadère à moitié submergé par la Volga avait disparu, comme les communistes qui l'avaient construit. Le port qui l'avait remplacé s'offrait comme le reste de la ville aux touristes de passage, et en particulier à leur argent. Ils ne restaient pas très longtemps, aussi s'agissait-il de les traire tant qu'on le pouvait. Les petits chalets, avec leurs fenêtres à croisillons, étaient peints en bleu, en vert profond et en marron, et l'été, dans les rues, il flottait un parfum floral qui enivrait les abeilles comme les gens.
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_ Je comprends que tu aies envie de rester. Qu'est-ce que tu ferais, au Danemark ? Qu'est-ce que tu ferais en Europe ? L'Union européenne est au bord de l'effondrement. Il n'y a aucune politique commune sur les sujets essentiels, alors qu'ils dépensent une énergie folle sur des détails futiles. Elle ne peut pas protéger ses frontières. Elle n'a pas de solution à apporter à la crise des migrants. Elle n'a pas de griffes. Pas de volonté. Une nouvelle guerre froide s'annonce ou est déjà là. Nous avions toutes les chances de notre côté, quand le Mur est tombé et que le système vacillant s'est effondré. Nous les avons gâchées bêtement.
_ Parfois, j'ai l'impression que l'époque de la guerre froide te manque.
_ Oui, ça se pourrait bien. Les fronts étaient plus clairs. L'ennemi était facile à identifier. Et aujourd'hui ? Les alliances sont aussi inconstantes que les relations dans un bordel. A présent, on doit cirer les bottes des Turcs. On est obligés de renier nos prétendues valeurs pour tenter de juguler le flux des migrants. Et quand des journalistes et des politiciens turcs sont envoyés en prison, il faut qu'on fasse attention à ne pas critiquer le pacha. Tout ça parce qu'on compte sur les Turcs pour protéger nos frontières extérieures. Bientôt, on lèchera le cul de tes amis russes parce qu'on se sera enlisés en Syrie. Et alors, tu verras qu'aucun politicien en Occident ne pourra plus s'exprimer à propos de la Crimée.
_ Give me back the Berlin Wall. C'est bien ça, cousin ?
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_ Le président n'est pas cupide.
_ Bien sûr que si, Alla. On n'a pas eu un seul dirigeant pendant la longue et violente histoire de la Russie qui n'ait pas volé, ou chargé d'autres de voler pour lui, ou détourné le regard pendant que ses vassaux s'enrichissaient. Du moment qu'ils donnaient une part du gâteau au tsar ou au président. C'est aussi russe que la vodka. Tu sais très bien ce qu'on dit, n'est-ce pas Laila ? Tout le monde vole en Russie. Le seul qui ne vole pas, c'est Jésus, mais il volerait aussi s'il n'avait pas les mains clouées à la croix.
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