Martin Hirsch:
La lettre perdue (2012)
L'intérêt de lire les politiques est qu'ils ont des choses à dire, l'inconvénient est leur prosélytisme et les biais de leurs raisonnements. Rien de tel ici. MH est-il un politique ? Il ne raconte aucune histoire politicienne, il s'en détourne, il crée un cordon sanitaire. Son grand père avait la fierté d'avoir refusé un ministère à
De Gaulle. Son père l'a mis en garde, à sa sortie de l'ENA, contre la vanité des carrières politiques. Il quitte le gouvernement Fillon avec un sentiment de trahison inspiré par l'image kafkaïenne du père (cf. l'exergue).
Sarkozy n'est nommé que 130 pages plus loin, en tant que ministre de l'intérieur de Chirac, et MH lui prête une phrase unique: Ce n'est pas un chien, mais un labrador, citation étonnante à rapprocher du discours de Grenoble. Il admire Rocard pour sa loyauté d'homme trahi et se voit lui-même trahi quand Rocard s'endort pendant son exposé (ce chapitre est nommé Où il est brièvement question de politique).
Simone Weil n'intervient que dans l'épisode drolatique où elle lui fait livrer du modafinil par deux gendarmes pour accélérer la rédaction d'un rapport. le travail de la pensée et les nuits courtes sont sa fierté, il se plait silencieusement à Narguer ceux qui, pendant ce temps, dorment ou, pire, ceux qui s'amusent ou se distraient. Encore à propos du père et du grand père : ils ont avec MH une communauté intellectuelle, sportive, musicale, ce sont des actifs, des rigoristes, des devoirants. Ils ont un poids écrasant dans son développement intellectuel et moral: voir l'épisode où le père utilise le conditionnement (la gifle) et la métaphore (le fléau) pour lui inculquer une morale exigeante. Sous ce poids, MH s'interroge sur sa légitimité, en préparant les concours, en exerçant la médecine, en prenant la direction d'Emmaüs. Et quand il a réussi, il reste conscient d'être le produit d'une lignée : comme dit Rawles on ne mérite pas son mérite. Et pourtant, au travers d'Emmaüs, du RSA et du service civil, il a beaucoup à dire sur l'engagement, sur l'idéal, sur l'Europe. Il le dit bien, dans son discours à une grande école (J'explique qu'il n'y a pas de mauvaise motivation pour s'engager, qu'il ne sert de rien de démêler l'altruisme de l'intérêt), dans une prosopopée avec son père et son grand-père, où ils écrivent en rêve le destin de l'Europe, et dans le chapitre Où l'on ne peut faire l'économie du produit de l'engagement volontaire.
La nécessité de s'engager, et sa carence dans une Europe désabusée, relèvent du constat et du volontarisme, mais il faut bien commencer, on a si souvent dit qu'il manquait aux français un grand dessein. Un homme comme MH peut-il préparer le terrain ?