Pezzi da novante. Les poids de quatre-vingt-dix. C'est ainsi que sont surnommés les capi de l'Honorable Société eut égard à leur tour de taille respectable. Mafia et bonne chère sont indissociables. C'est tout le propos de ce petit livre de la collection Babel aux éditions
Actes Sud que de mêler histoire de la Mafia et délices de la table.
Jacques Kermoal et
Martine Bartolomei égrènent 10 repas siciliens tantôt anecdotiques et comiques, tantôt dramatiques et parfois à la croisée de la grande Histoire. du banquet de Messine de 1860 en présence de Garibaldi à l'assassinat du général Della Chiesa en 1982, en passant par la drôle de journée de Mussolini à Piana dei Greici, les auteurs nous montrent l'évolution de la Mafia, de la Mia Fida à la guerre entre anciens et Cosa Nostra américaine.
Véritables rituels, ces repas où se prennent les grandes décisions, peuvent se transformer en armes redoutables (l'alcool et une panse repue pouvant altérer bien des volontés et des positions jusque là inébranlables.) et en démonstration de force des zii (les oncles). le repas auquel participa Franck Sinatra en 1963 à Agrigente comme ambassadeur de Cosa Nostra auprès de Don Giuseppe Genco Russo, véritable empereur mafiosi vira à l'humiliation totale pour la superstar américaine. Familier des Kennedy et pourtant mis plus bas que terre par un paysan sicilien analphabète, capable de faire chuter ministres et préfets, et de recevoir des félicitations des plus hauts magistrats pour ses différents non-lieux. Si l'on se régale des anecdotes souvent savoureuses, la composition des repas ne l'est pas moins. Je ne résiste pas au plaisir de vous livrer le menu du banquet de Messine :
Espadon agghiotta
Merluche à la mode de Messine
Poularde farcie de truffes à l'étouffée
Cuissot de chevreuil faisandé à l'eau-de-vie de prune d'Agrigente
Agnelet rôti à l'huile d'olive vierge de Caltanissetta
Pignolata
Pommes éventrées
Une cuisine proche de celle du reste de la Méditerranée avec beaucoup de poissons (mérou, rougets, sardines entre autres), d'huile d'olive bien sûr, de légumes (artichauts, aubergines) mais aussi des ragoûts et des gigots agrémentés d'herbes et de condiments nombreux (laurier, origan, romarin, sauge). Viennent s'ajouter des variantes typiquement siciliennes comme les sorbets et des gelées au dessert, l'ajout massif d'ail dans de nombreux plats (tradition importée par les français) et l'usage du fenouil comme légume. Au rayon fromages, la Sicile ne manque pas non plus d'atouts : ricotta, pecorino, groviera, caciocavallo (d'origine calabraise) ornent chaque table. Les forts vins siciliens sont bien sûr à l'honneur : Faro de Messine, zucco bianco, albanello et autres moscato de Syracuse.
Enfin, il n'est pas un repas qui ne finisse sans son eau-de-vie et son café.
Après chaque chapitre, les auteurs donnent la composition précise du repas évoqué ainsi que les recettes de chaque plat. Certaines sont très simples (les olives noires au four en antipasti), d'autres sont bien plus complexes et montrent que certains capi étaient au moins aussi brillants en cuisine que pour diriger leurs affaires. Car l'honneur mafiosi exige que celui qui reçoit prépare les plats pour honorer son invité. La liste des ingrédients types et des vins vient compléter un ouvrage qui donne envie de se mettre à table mais aussi derrière les fourneaux.
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