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EAN : 9782900269411
139 pages
Berg International (01/05/1991)
4.67/5   18 notes
Résumé :
On a beaucoup médit du XIX siècle, mais le nôtre n'est guère plus fréquentable. La vie humaine n'y vaux pas grand-chose. Et comme notre époque est celle de l'image, on nous aura montré des cortèges interminables de gens offensés, persécutés, avilis... Cela n'émeut plus, ni même n'étonne la majorité de nos contemporains. Ils se sont accoutumés au malheur des autres, avec une singulière facilité.
Et pourtant, lorsqu'un corps est écrasé, lorsqu'un visage est mut... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (4) Ajouter une critique
Une sorte de suite ou de contraction, mais aussi de complémentarité de la trilogie « Auschwitz et après » déjà présentée en nos pages. Cinq textes, cinq longs chants désespérés pourrait-on dire. Charlotte DELBO a connu Auschwitz et Ravensbrück, en est revenue. Enfin, revenue, c'est un bien grand mot. Son corps oui, son âme, c'est autre chose. Toute sa vie, elle a tenu à témoigner, à graver dans le marbre les souvenirs de l'horreur humaine, les déportations, les tortures, les privations, les humiliations, le nazisme. Elle va faire passer la pilule soit par la poésie soit par la prose, mais toujours s'approchant au plus près du théâtre.

« La mémoire et les jours » est le premier texte de ce recueil, il fait bien sûr écho à la trilogie déjà citée, mais peut-être plus particulièrement au troisième volet « Mesure de nos jours », le retour des camps, les images obsédantes, incessantes, la difficulté à revivre, texte présenté tour à tour en prose, en poésie, glacial. Pourquoi certains membres de la famille sont revenus et pas d'autres ? Et les souvenirs, déchirants : « À Paris, au centre d'accueil, j'ai rencontré des espagnols qui revenaient de Mauthausen. C'étaient des combattants républicains qui s'étaient réfugiés en France, à la défaite, et qui avaient été internés dans des camps français, au pied des Pyrénées. Livrés aux Allemands après l'armistice de juin 1940, ils avaient été déportés à Mauthausen. Plus des trois-quarts ont succombé dans la carrière de Mauthausen. Et dans quel état étaient les revenants ! Bien pire que nous, les femmes de Ravensbrück ».

Le « Tombeau du dictateur » reprend ce plan prose/poésie de la trilogie « Auschwitz » et du premier texte du recueil. Long monologue, longue poésie sur Dame La Mort, celle des guerres, des camps. Puis un texte sur un hôpital en temps de guerre. « On croit qu'on s'habitue à tout. On ne s'habitue pas à voir des hommes coupés en deux ». Puis nouveau texte sur le retour d'une polonaise, varsovienne, de « là-bas », de l'enfer, des camps.

« Varsovie » justement, troisième chant et ville témoin de cette complainte poétique. Pour ce qui est de la prose suivant le poème (DELBO présente un plan assez similaire selon les écrits), c'est la Grèce (Charlotte DELBO y était allée). Sur place, géographiquement parlant, mais aussi par le biais des grecs de l'univers concentrationnaire d' Auschwitz, les juifs de Salonique et d'ailleurs, comme enterrés vivants dans les camps de la mort, les guérilleros grecs qui ne désarment pas, mais se font déporter. Retour à Varsovie, le ghetto où l'on crève en surnombre, mais dans lequel on résiste pour la postérité :

« La révolte soulève le ghetto
Sursaut d'hommes qui sont prêts à mourir
Mais de mort volontaire,
Pas poussés à l'abattoir »

Puis un convoi de juifs arrive dans un camp en avril 1943, horrible routine.

« Les folles de mai », ces femmes, folles en liberté qui cherchent vainement des traces d'un mari, d'un fils, devenant dingues de ne pouvoir même faire leur deuil. Poésie très courte, percutante, désenchantée. Pas de place pour la prose ce coup-ci.

Le dernier chant, « Kalavrita des mille Antigone » est à la fois le seul des cinq – à ma connaissance – à avoir également été édité seul (un livre en 1979) et peut-être le plus poignant des cinq. Kalavrita, petit village grec (on y retourne) massacré par l'armée nazie en 1943, à l'époque où certaines divisions ne laissaient rien de vivant sur leur passage, tuaient, violaient, brûlaient en masse, anéantissant à tout jamais une génération d'humains avec tout ce qui va avec (nous français pensons bien sûr à Oradour) : « Avec les hommes qui sont tombés ce jour-là, la mémoire du pays s'est perdue. Maintenant il n'y a plus personne pour se souvenir de la manière dont le maréchal-ferrant tenait le fer. Il était réputé pour son adresse. Quand il ferrait une mule, on faisait cercle autour de sa forge pour voir comme il s'y prenait ».

Vient la sordide improvisation pour les survivants du massacre, devant faire disparaître les corps des trépassés. « Puis l'une a dit : ‘Il faut d'abord faire la toilette funèbre. Il faudra ensuite les ensevelir'. Pour la toilette funèbre, chacune sait. Pour l'ensevelissement… le fossoyeur était là, mort avec les autres. Et quel fossoyeur a jamais enterré mille trois cents morts d'un coup ? Qui creuserait mille trois cents tombes en un jour, dans la terre pierreuse de chez nous ? ». Et comme un ultime coup porté à l'indicible : le souvenir des camps, mais en Sibérie. Car oui, en U.R.S.S. il y avait également des camps de déportation, celui de Kolyma par exemple, raconté si longuement dans l'oeuvre de CHALAMOV.

Ne pas oublier, rien ni jamais. Perpétuer la mémoire, poursuivre le travail amorcé, rendre témoins les générations futures. Ce titre « La mémoire et les jours » est divinement trouvé, c'est aussi un coup de poing dans l'estomac, il appuie sur les tripes, c'est un travail morbidement fascinant par toutes ces voix différentes qui témoignent, ces ramifications, ces spectres hantant la terre, c'est sorti à l'origine en 1985 (juste après la mort de Charlotte DELBO) aux Éditions Berg qui l'ont réédité en 2013 (année des 100 ans de la naissance de Charlotte). Dire que c'est bouleversant serait à coup sûr un euphémisme de mauvais goût, aussi je vous laisse plonger dans ces textes d'une irrémédiable beauté littéraire et d'une redoutable efficacité émotionnelle, sans jamais tomber dans le pathos. À coup sûr une auteure parmi les meilleures ayant écrit sur la déportation et autre nazisme.

https://deslivresrances.blogspot.fr/
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« Expliquer l'inexplicable », tel débute le livre de Charlotte Delbo : La mémoire et les jours. Dans ce livre de nombreux textes où Charlotte Delbo retrace son histoire et entrelace ces textes par des textes en prose et en rime. Une écriture factuelle.
Charlotte Delbo essaye d'écrire l'impensable « Débarrassé de sa peau morte, le serpent n'a pas changé. Moi non plus, en apparence ». le corps est resté debout malgré ces années de camp de concentration mais l'âme n'est plus celle d'avant la déportation. Un texte sur la mémoire, que retenons-nous ? Mémoire intellectuelle, mémoire profonde, chaque mémoire permet ou pas, de se détacher de son histoire. Celle qui était au camp n'était pas Charlotte Delbo nous dit-elle. Chaque mémoire fonctionne différemment pour les uns et les autres. Et lire ce livre c'est aussi accepter la différence dans la réalité des faits.
L'espoir de sortir un jour amène avec lui les rêves, les rêves sans barrières, sans frontières. La réalité au retour est autre. le long combat de la réminiscence se fait avec douceur, à petits pas, réapprendre à vivre s'apprend et même quand elle croit être capable de partir dans le pays si longtemps rêvé au camp, Auschwitz la rattrape, l'immatriculation tatouée sur son bras reflète une sombre histoire que beaucoup reconnaissent.
La grande question que pose dans ce livre Charlotte Delbo est surtout dans cette question : « Auschwitz me poursuivra donc toujours, me poursuivre jusqu'ici. Est-ce que j'en sortirai jamais ? ». La mémoire est une composante importante pour ne pas reproduire les horreurs mais elle peut aussi être un fardeau pour ceux qui ont vécu l'évènement.
Ce livre est écrit sans pathos, quelquefois le narrateur est un « je » qui se raconte, plus loin c'est un « elle » qui raconte, peut-être pour mieux prendre la distance avec le récit. Il est surement difficile en effet d'utiliser le pronom personnel « je » pour raconter « l'inexplicable ».
A lire !
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Une suite de textes brefs, prose ou poèmes, qui disent tous la réalité de ce qui a été vécu.
Ce petit livre (124 p) se lit rapidement, mais je doute qu'il puisse s'oublier vite.
De même qu'est inoubliable cette supplique de Charlotte Delbo : « Je vous en supplie, faites quelque chose, apprenez un pas, une danse, quelque chose qui vous justifie, qui vous donne le droit d'être habillés de votre peau et de votre poil. Apprenez à marcher et à rire, parce que ce serait trop bête à la fin que tant soient morts et que vous viviez sans rien faire de votre vie. »
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Ce livre rassemble plusieurs textes de Charlotte Delbo, en prose ou en rimes. La plupart évoquent la déportation (Rajsko / Raisco, Auschwitz, Birkenau, Ravensbrück, le retour, l'exil, Paris, la Suède, les Etats-Unis reviennent au fil des pages), mais pas tous, comme Les folles de mai (p. 95 et suivantes) qui parle de la dictature en Argentine et des veuves de la place de Mai. Un autre texte, Kalavrita des mille Antigone aborde le massacre de Kalavrita le 13 décembre 1943 en Grèce (1300 hommes tués). Au fil des pages, elle évoque également la torture en Algérie, l'utilisation du napalm en Indochine, du massacre du 17 octobre 1961 à Paris, pour rappeler que le « plus jamais ça » n'est qu'un voeu pieux. Dans l'une des histoires du Tombeau du dictateur, en 1942 à Vienne, une infirmière (ou médecin?) attend dans un hôpital délabré l'arrivée d'une quarantaine de malades… en fait des amputés, qui seront expédiés probablement à la solution finale, alors que l'infirmière qui avait osé écrire à une famille pour donner des nouvelles est déportée à Ravensbrück. Varsovie présente en vers une rafle dans le ghetto. La succession de tableaux dresse un panorama terrible de la guerre et de ses méfaits, hier et aujourd'hui…
Lien : http://vdujardin.com/blog/de..
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Citations et extraits (4) Ajouter une citation
Expliquer l’inexplicable. L’image du serpent qui laisse sa vieille peau pour en surgir, revêtu d’une peau fraîche et luisante, peut venir à l’esprit. J’ai quitté à Auschwitz une peau usée – elle sentait mauvais, cette peau – marquée de tous les coups qu’elle avait reçus, pour me retrouver habillée d’une belle peau propre, dans une mue moins rapide que celle du serpent, toutefois. Avec la vieille peau s’en allaient les traces visibles, les prunelles fixes au fond des orbites plombées, la démarche tirée en avant, les gestes peureux. Avec la nouvelle peau revenaient les gestes de la vie antérieure : se servir d’une brosse à dents, de papier hygiénique, d’un mouchoir, d’un couteau et d’une fourchette, manger posément, dire bonjour en entrant, fermer la porte, se ternir droit, parler, plus tard sourire des lèvres, et, plus tard encore, sourire à la fois des lèvres et des yeux. […]
Il a fallu quelques années pour que la peau neuve se reconstitue, se consolide. […] Reste que…
Comment se défaire de quelque chose enfoui beaucoup plus profond : la mémoire et la peau de la mémoire ? Je ne m’en suis pas dépouillée. La peau de la mémoire s’est durcie, elle ne laisse rien filtrer de ce qu’elle retient, et elle échappe à mon contrôle.
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Le nom de chaque camp sera dans la peau de chaque Allemand comme une plaie qui ne cicatrisera jamais.
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Pour abattre nos barbelés, il a fallu la coalition dans une guerre mondiale des des nations les plus puissantes, de leurs armées, la mobilisation de toutes leurs ressources industrielles, et la résistance des peuples subjugués. Sans la victoire militaire, nous périssions tous.
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Kalavrita des mille Antigone

Village grec où furent fusillés plus de mille homme. Les femmes les enterrent.
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Videos de Charlotte Delbo (20) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Charlotte Delbo
Charlotte Delbo : Spectres, mes compagnons - Lettre à Louis Jouvet (France Culture / Théâtre et Cie). Texte présenté par Geneviève Brisac. Réalisation : Marguerite Gateau, avec des archives INA. En partenariat avec l’association “Les Amis de Charlotte Delbo”. http://www.charlottedelbo.org/. Conseillère littéraire : Céline Geoffroy. Enregistré au Festival d’Avignon le 18 Juillet 2013. Diffusion sur France Culture le 2 octobre 2016. Texte lu par Emmanuelle Riva. Photographie : Charlotte Delbo, via le site internet de “L'association des amis de Charlotte” • Crédits : @copyright Schwab. « Charlotte Delbo fut l’assistante de Louis Jouvet au Théâtre de l’Athénée avant d’entrer dans la Résistance. Elle est arrêtée avec son mari Georges Dudach le 2 mars 1942. Le 23 avril 1945, après vingt-sept mois de captivité dans les camps d’Auschwitz-Birkenau et de Ravensbrück, elle fut libérée par la Croix-Rouge et internée en Suède. Elle n’avait pas encore trente-deux ans. Des deux cent trente prisonnières de son convoi, elles n’étaient plus que quarante-neuf. Et Charlotte Delbo se préparait à consacrer le restant de ses jours à trouver les mots justes, à écrire des livres et des pièces de théâtre pour faire vivre la mémoire et les mots de ses amies assassinées, et de son mari fusillé. La première chose qu’elle fit, le 17 mai 1945, ce fut d’écrire une lettre. On peut imaginer dans quel état de faiblesse elle se trouvait. C’était une lettre à Louis Jouvet, qui disait : « Je reviens pour entendre votre voix. » Il y eut d’autres lettres, jusqu’à cette dernière qu’Emmanuelle Riva lira, une lettre non envoyée, non terminée, non reçue, interrompue par la mort de Louis Jouvet, en 1951. Une lettre comme un testament politique et littéraire, où le courage, la peur, le rêve et la pitié pèsent leur juste poids. » Geneviève Brisac Cette lecture de « Spectres, mes compagnons » est agrémentée d'extraits de la Radioscopie consacrée à Charlotte Delbo, produit par Jacques Chancel et diffusée le 2 avril 1974. Remerciements à Claude-Alice Peyrottes, présidente d'honneur de “L'association des amis de Charlotte”. Source : France Culture
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