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EAN : 9782818048078
256 pages
P.O.L. (22/08/2019)
3.39/5   375 notes
Résumé :
Rien ne destinait Rose, parisienne qui prépare son déménagement pour le pays Basque, à rencontrer Younès qui a fui le Niger pour tenter de gagner l’Angleterre. Tout part d’une croisière un peu absurde en Méditerranée. Rose et ses deux enfants, Emma et Gabriel, profitent du voyage qu’on leur a offert. Une nuit, entre l’Italie et la Libye, le bateau d’agrément croise la route d’une embarcation de fortune qui appelle à l’aide. Une centaine de migrants qui manquent de s... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (97) Voir plus Ajouter une critique
3,39

sur 375 notes
Rose s'est embarquée avec ses deux enfants pour une croisière en Méditerranée. Une nuit, leur énorme paquebot se porte au secours de migrants, perdus en pleine mer à bord de leur vedette surchargée. Emue par un jeune Nigérien de l'âge de son fils, Rose lui offre des vêtements et le téléphone portable de son aîné. Rentrée chez elle, elle pensera ne garder de cette histoire qu'un prénom, Younès, et des factures de portable qu'elle continuera à régler. Elle sera loin de s'imaginer où vont la mener son geste et ce lien désormais établi à travers ce téléphone.


J'ai été totalement séduite par la première partie du roman, à bord du bateau de croisière. le récit est enlevé, empli d'un humour sarcastique sur le tourisme idiot, tandis qu'il nous fait découvrir des personnages convaincants et réalistes, dans tous leurs doutes et leurs ambiguïtés. L'on se prend de sympathie pour Rose, pour son sentiment de gêne et de culpabilité dont elle pense se tirer à bon compte, une fois reprise par le tourbillon de son quotidien, comme pour tout un chacun pas si facile.


Le livre prend ensuite un rythme moins marqué, où l'humour se fait plus discret au fur et à mesure que Rose se retrouve confrontée à de vraies décisions. Si le souffle du récit n'est plus le même, le questionnement qu'il nous soumet prend tout son sens : et vous, jusqu'où laisseriez-vous un enfant qui n'est pas le vôtre bouleverser votre existence ? Sans misérabilisme ni manichéisme, Marie Darrieussecq met le doigt sur l'embarras de notre société face à l'afflux de réfugiés que les politiques migratoires ne parviennent pas à gérer. Elle nous interroge aussi sur nos priorités et nos tracas quotidiens, si centrés sur nous-mêmes, notre famille et notre travail. Enfin, elle insiste sur l'importance du « toit » et du « chez soi », ces centres de gravité qui nous équilibrent, nous protègent, et nous identifient.


Malheureusement, cette seconde partie du récit m'a agacée par l'inutile et improbable évocation des pouvoirs de magnétiseuse de Rose, et déçue par la facilité presque naïve du dénouement, dont j'attendais bien davantage eu égard à la gravité des thèmes abordés. Ce qui commençait comme un livre coup de coeur s'est ainsi mué en une jolie lecture, sympathique et très actuelle, mais d'une profondeur par trop inégale pour convaincre totalement.

Lien : https://leslecturesdecanneti..
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La Mer à l'envers, ce n'est pas la mer à boire...
Quand justement Rose part en croisière avec ses deux enfants, elle n'imagine pas un seul instant que plus rien ne sera comme avant, comme le surgissement de l'inattendu dans ses jours ordinaires.
Son couple est un peu en perdition, elle ne sait plus trop bien où elle va, avec l'ennui qui l'étouffe, son métier qui ne la passionne plus et un mari alcoolique. Cette croisière sur la Méditerranée dans cet immense paquebot de luxe est l'occasion pour elle de prendre un peu le large, faire ce pas de côté devenu salutaire. Rose est une femme et mère un peu perdue dans sa vie, elle a pourtant l'habitude d'aider les autres, elle est psychologue, un peu guérisseuse aussi, mêlant la magie à la pratique de son métier, c'est ce qui rend également insolite son personnage un peu déviant.
Les couples sont un peu comme ces grands bateaux difficiles à manoeuvrer, à faire bouger de leurs trajectoires, et quand il y a une voie d'eau qui s'agrandit, c'est un peu comme le Titanic, l'orchestre continue de jouer sa musique comme si de rien n'était.
Une nuit le paquebot de croisière où séjournent Rose et ses enfants rencontre une embarcation en difficulté, remplie de migrants à son bord. Rose, dans cette cabine de passagers un peu étroite pour trois personnes, se doute qu'il vient de se passer quelque chose... Elle entend des voix, des cris... Pendant que la croisière s'amuse, Rose va être témoin du sauvetage de ces survivants.
Elle est un peu perdue comme cette nuit-là sur le pont du bateau avec la Méditerranée qui l'entoure, immuable, se frayant un chemin parmi les membres de l'équipage et les réfugiés transis de froid, elle enjambe les corps de ceux qui se sont peut-être noyés, tandis que d'autres passagers continuent de danser deux ou trois étages plus bas dans l'ivresse et la frénésie de la musique.
On distribue des couvertures de survie, du café chaud, on évacue ces nouveaux arrivants dans la zone sous l'eau, juste sous le casino, des femmes bercent des bébés en pleurs. C'est une scène sidérante avec l'angoisse de la nuit, peinte avec justesse, j'ai l'impression d'être aux côtés de Rose qui s'active parmi les visages hagards parce qu'elle sait y faire. Parmi les naufragés, le regard d'un jeune homme capte son attention, c'est encore un adolescent, il s'appelle Younès, il a seize ans, plus tard elle apprendra qu'il est venu de son Niger natal en passant par la Libye. Ce dont il a besoin, c'est d'un téléphone. Il est aussi perdu qu'elle, comme venu de nulle part... Alors elle court vers sa cabine et lui ramène celui de son fils Gabriel qu'elle lui a pris à son insu, avec son chargeur... Elle ne sait pas encore que ce geste déclenchera tout.
Le lendemain, les garde-côtes italiens emportent les migrants sur le continent. Gabriel, désespéré, cherche alors son téléphone partout, et verra en tentant de le géolocaliser qu'il s'éloigne du paquebot. Younès l'a emporté avec lui, de l'autre côté du paysage, dans son périple au-delà des frontières.
J'ai aimé cette image du signal de la géolocalisation comme une étoile égarée dans la nuit sidérale d'un écran informatique, comme un fil invisible qui continue de les relier encore un peu et peut-être à jamais...
Imagine-t-elle à ce moment-là que l'étoile refera surface dans le ciel... ?
Marie Darrieussecq esquisse une histoire de vie presque ordinaire, avec comme toile de fond le sujet prégnant de l'immigration qui parvient jusqu'à nos quotidiens par le prisme de l'actualité. C'est le chemin d'une mère de famille pleine de bon sens qui croise le destin d'un jeune migrant. Ce sont deux trajectoires qui se croisent dans l'incompréhension réciproque de deux mondes.
Plus tard, quand Younès refera surface dans sa vie, il y aura le regard des autres sur Rose, celui de ses proches, ses enfants, son mari alcoolique, sa mère, ses amis...
La plume de Marie Darrieussecq est sarcastique pour dire l'hypocrisie, l'indifférence, l'incompréhension des autres. Il n'y a aucune morale, aucun jugement, aucun bon sentiment pour dire cela, Rose aussi est égoïste, tâtonne aussi dans cette incompréhension. Marie Darrieussecq ne dénonce rien, elle observe et raconte une histoire aux apparences légères sur un sujet qui prend aux tripes.
L'écriture pourrait presque paraître banale, le texte est gorgé de phrases courtes qui cueillent l'instant et charrient des sensations très fortes. Malgré ses apparentes maladresses et ce sentiment d'inachevé, ce récit poétique, où s'invite un peu de magie, porte une humanité qui fait du bien.
C'est un roman étrange et attachant, perturbant aussi, dont la voix continue de résonner longtemps après, comme ce petit signal de géolocalisation, sorte de bouée en perdition dans la nuit abyssale.
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La croisière (ne) s'amuse (pas).
Rose est gâtée : pour Noël, sa mère lui a offert une croisière en Méditerranée sur un luxueux paquebot. Elle tente d'y passer un séjour agréable avec ses enfants, tandis que son mari est resté à Paris, mais elle n'est pas dupe de l'énorme machinerie capitaliste sur laquelle elle vogue. Une nuit, le paquebot croise une embarcation de migrants sur le point de chavirer et leur porte secours. Rose va s'attacher à l'un d'eux, Younès, du même âge que son fils, et sa vie va s'en trouver modifiée.

J'aime bien Marie Darrieussecq, parce qu'il y a toujours une légère touche de bizarre dans ses histoires, et celle-ci n'y coupe pas. J'aime aussi son intelligence et son humanité, et sa façon d'aborder les sujets d'actualité avec une honnêteté qui fait du bien. On n'est pas dans les bons sentiments, ici, on est dans la réalité, avec ses limites, ses contraintes, ses possibilités.
Et avec Rose, donc, responsable et pragmatique, mais aussi capable d'initiatives qui dérogent à son rationalisme, et de choix pas toujours explicables mais toujours justifiés par quelque chose qui la dépasse. Et j'ai été impressionnée par la façon dont l'auteur excelle à saisir ces instants furtifs où la vie déraille, et par son talent à retranscrire le vertige juste avant qu'il se dissipe.
Mais ce roman est aussi un témoignage juste des années 2020, entre angoisse climatique, crise migratoire et tournant identitaire ; comment envisager sereinement l'avenir dans ces conditions, et surtout comment vivre au mieux ce présent anxiogène quand on a grandi dans le confort mental des années 70-80 ? Toutefois, si Rose n'hésite pas à donner son point de vue sur ce que lui inspire le monde, ce livre n'est en aucun cas une incitation à l'activisme ; Marie Darrieussecq ne dénonce rien, elle raconte -qui plus est, sur un ton léger, presque futile. Et ce décalage entre le fond et la forme rend la lecture encore plus perturbante -et passionnante.

J'ai donc énormément aimé ce roman un peu étrange mais attachant, qui interroge sur la façon d'appréhender les événements selon notre éthique, et qui offre un portrait de femme complexe (pléonasme !) très réussi.
Et à bien y réfléchir, c'est quand même plus enrichissant qu'une virée avec le Capitaine Stubing.
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La mer à l'envers où comment j'ai lâchement changé de tactique pour un bouquin qui ne m'intéresse pas.
L'histoire : Rose et ses deux enfants sont sur un bateau, enfin un truc monstrueux de douze étages qu'on trouve en centre ville à Venise ou au plus près des icebergs pour donner des sensations à de riches désoeuvrés…
Bon, là c'est pas Rose qui paye. C'est maman qui offre un break (une coupure, pas une voiture) à sa fille pour qu'elle fasse le point sur son couple, son mariage. Va-t-elle divorcer ou suivre son mari en province. Que c'est trop dur la life hein.
Pourquoi j'ai ce bouquin entre les mains ????? Euh… Ah oui… si la croisière s'amuse, le Pacific Princess du livre va croiser un chalutier surchargé de migrants et les secourir.
Alors oui pendant une bonne vingtaine de pages j'ai commencé à entrer dans l'histoire et puis… j'ai attendu, j'ai attendu que ça commence vraiment. Page 51 tout est terminé, tous les rescapés sont expédiés sur une vedette direction la Sicile. Rideau.
Jusque là, c'était pas violent non plus niveau émotions. Rien sur le sauvetage ni sur les migrants, juste Rose, témoin, qui va de pont en pont pour mieux voir.
La mère à l'envers d'avoir assisté à ce dommage collatéral de la misère va réfléchir sur la vie, la société enfin si j'en crois les billets lus des autres babélioteurs parce que c'est maintenant que je vous donne ma nouvelle tactique sur ce coup là.
Page 89, l'escale en Grèce avec l'excursion au Parthénon parce que la Grèce c'est au programme de la troisième et du CE1 (les classes des enfants de Rose, c'est bien foutu quand même) ben… au Parthénon et à ses excursinistes je leur ai dit : Partez si, loin, très loin de moi. J'ai refermé le bouquin pour ne plus l'ouvrir. Abandonné, voui.
Faut dire que les autres billets ne m'ont pas incité à poursuivre puisque même les chroniques richement étoilées laissaient entendre que le début et tout ce qui concernait la croisière étaient top et que ça se gâtait un peu une fois la terre ferme retrouvée. La croisière n'ayant déjà à mon avis aucun intérêt, j'ai pas eu le courage…
Si encore l'écriture m'avait attrapé mais là aussi, quelle platitude, quel ennui.
L'amer allant vers l'impasse, il n'y avait pas d'autre issue que la capitulation devant tant de fadeur.
Première et dernière rencontre avec Marie Darrieussecq.
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Entre divorcer ou suivre son mari (très porté sur la boisson) au pays Basque, Rose, psychologue et parisienne, hésite. Pour réfléchir à la question, sa mère lui offre ainsi qu'à ses enfants une croisière. Durant ce périple, Rose va croiser la route de Younès, migrant recueilli sur le bateau, à qui elle va donner un manteau et le téléphone de son fils. Ce choix va changer sa vie (et celle du jeune homme)...Un roman intéressant, qui pose un regard acéré (absolument pas manichéen) sur les politiques migratoires. C'est un récit qui questionne tout en étant le portrait très crédible d'une femme à la croisée des chemins. j'ai beaucoup aimé, tout m’a paru juste.
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critiques presse (4)
LeJournaldeQuebec
16 septembre 2019
Depuis son célèbre Truisme, Marie Darrieussecq ne parvient pas toujours à nous enchanter. Avec La Mer à l’envers, elle a cependant réussi autre chose : nous surprendre, en nous plongeant tête première dans la terrible réalité des migrants.
Lire la critique sur le site : LeJournaldeQuebec
LeMonde
29 août 2019
L’auteure parvient à injecter beaucoup d’humour et d’apparente simplicité à la gravité des thèmes abordés, grâce à des phrases courtes pourtant capables de charrier beaucoup de choses. La Mer à l’envers est un texte qui se demande très intelligemment comment habiter le monde. Et qui oscille entre l’excellent livre et le grand roman.
Lire la critique sur le site : LeMonde
Actualitte
26 août 2019
Le ton volontairement clinique de ce roman, ses détours parfois longuets dans l’histoire de Rose m’ont un peu déstabilisée au départ. Mais ce texte continue de m’habiter plusieurs semaines après sa lecture, sans doute parce qu’il a su rejoindre ma vie quotidienne. Magie de la littérature.
Lire la critique sur le site : Actualitte
LaPresse
20 août 2019
Avec La mer à l’envers, Marie Darrieussecq signe un des romans les plus forts de la rentrée française, roman sur l’absurdité des politiques migratoires, sur la famille, et un peu aussi sur le pouvoir de la magie.
Lire la critique sur le site : LaPresse
Citations et extraits (43) Voir plus Ajouter une citation
Tout en bas, sous elle, on mettait une chaloupe à la mer. Ratatata faisaient les chaînes. La chaloupe diminuait, diminuait, la surface de la mer vue d’en haut comme d’un immeuble. Silence. Les bruits fendaient la nuit de rayures rouges. Un officiel et deux marins descendaient le long de la paroi dans la chaloupe, un gros tas de gilets de sauvetage à leurs pieds. En mer il y avait comme des pastilles effervescentes, écume et cris. Et elle voyait, elle distinguait, un autre bateau, beaucoup plus petit mais grand quand même. Ses yeux protégés de la main contre les guirlandes de Noël s’habituaient à la nuit, et rattachaient les bruits aux mouvements, elle comprenait qu’on sauvait des gens.
D’autres passagers au bastingage tentaient de voir aussi. C’étaient des Français de Montauban, elle les croisait au restaurant deLuxe. Ils la saluèrent, ils étaient ivres. Les deux femmes, jeunes, piétinaient en escarpins, il y en a pour des plombes estima l’une d’elles. Un homme criait à l’autre «mais putain tu es dentiste, dentiste comme moi», la phrase les faisait rire sans qu’on sache pourquoi. Un autre couple courait vers eux, baskets et survêtement, faisaient-ils du sport à cette heure ? Ils ne parlaient aucune langue connue: des Scandinaves? Rose leur expliqua dans son anglais du lycée qu’il y avait, là, dans la mer, des gens. Et peu à peu et comme se donnant on ne sait quel mot mystérieux, des passagers se regroupaient. Il était quoi, quatre heures et demie du matin. La chaloupe avait touché l’eau, cognant contre le flanc du paquebot, le moteur démarrait impeccable sous l’œil des passagers penchés, l’officier à la proue et les deux marins derrière, debout très droits, comme un tableau. D’autres canots de sauvetage étaient parés à la descente. Elle se demanda s’il fallait qu’elle aille réveiller ses enfants pour qu’ils voient. Un employé surgit, «Ladies and gentlemen, please go back to your cabins». Les canots peu à peu s’éloignaient, bruits de moteur mêlés. Les voix semblaient marcher sur l’eau. On demandait dans de multiples langues ce qui se passait, alors que c’était évident, pourquoi ils n’appellent pas les flics? C’est à la police des mers d’intervenir. Ces gens sont fous, ils emmènent des enfants. On ne va quand même pas les laisser se noyer. C’était une des Françaises qui venait de parler et Rose eut un élan d’amour pour sa compatriote honorable. Un officier insistait en anglais et en italien pour que tout le monde quitte le pont. Les Français ivres et dentistes avaient froid et un peu la gerbe: le bateau imprimait aux corps son léger mouvement vertical, sa légère chute répétée. Venez, on va s’en jeter un, dit un dentiste. Rose resta avec la Française honorable pendant que l’autre femme se tordait les chevilles à la suite des hommes. 
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Cette nuit-là, quelque chose l’a réveillée. Un tap tap, un effort différent des moteurs. La cabine flottait dans le bleu. Les enfants dormaient. Depuis sa couchette, les mouvements du paquebot étaient difficiles à identifier. Elle était dedans - à bord - autant essayer de sentir la rotation de la Terre. Elle et ses deux enfants devaient peser un quintal de matière vivante dans des centaines de milliers de tonnes. Leur cabine était située au cinquième étage de la masse de douze étages, trois cents mètres de long et quatre mille êtres humains.
Elle entendait des cris. Des appels, des ordres? Un claquement peut-être de chaîne? Il était quoi, trois heures du matin. Au hublot on n’y voyait rien: le dessus ridé de la mer, opaque, antipathique. Le ciel noir. La cabine «deLuxe» (c’est-à-dire économique) n’avait pas de balcon (les Prestige et les Nirvana étant hors des moyens de sa mère, qui leur a fait ce cadeau de Noël), et sans balcon, donc, on n’y voyait rien.
Elle arrangea l’édredon de la petite, resta une minute. La cabine était sombre, douillette, mais l’irruption des bruits faisait un nœud qui tordait les lignes. Elle ouvrit la porte sur le couloir. Un passager des cabines Confort (au centre, sans hublot) la regardait, debout devant sa porte ouverte. Elle portait un pyjama décent sur lequel elle avait enfilé une longue veste en laine. Lui, il était en pantalon à pinces et chemise à palmiers. Des cris en italien venaient du dessus, un bruit de pas rapides. Le voisin se dirigea vers les ascenseurs. Elle hésita - les enfants - mais au ding de l’ascenseur elle le suivit.
Ils descendirent sans un mot dans la musique d’ambiance. Peut-être aurait-il été plus malin d’aller vers le haut, vers la passerelle et le commandement? A moins que l’histoire ne se loge tout au fond, vers les cales et les machines? Le bateau semblait creuser un trou dans la mer, s’enfoncer à force de taper, interrogatif, comme cherchant un passage.
Les portes s’ouvrirent sur de la fumée de tabac et une musique éclatante. Décor pyramide et pharaons, lampes en forme de sarcophages. Des filles en lamé or étaient perchées sur des tabourets. Des hommes âgés parlaient et riaient dans des langues européennes. Le type des cabines Confort entra dans le bar à cognacs. Elle resta hésitante, à la jointure de deux bulles musicales : trois Noirs en blanc et rouge qui jouaient du jazz; une chanteuse italienne à boucles blondes, accompagnée d’un pianiste sur une estrade pivotante.
Elle traversa en apnée le casino enfumé. Dans quel sens marchait-elle? Bâbord était fumeur et tribord non fumeur. Ou l’inverse, elle ne se rappelait jamais. Le casino se trouvait sous la ligne de flottaison. Les joueurs s’agglutinaient en paquets d’algues autour des tables. Elle avait envie d’une coupe de champagne ou de n’importe quel cocktail comme les filles en lamé or. Un couple très âgé se hurlait dessus en espagnol pendant qu’une femme à peine plus jeune leur attrapait les mains pour les empêcher de se battre, que lucha la vida, prenant on ne sait qui à témoin, elle peut-être, qui se déplaçait en crabe. Elle aurait aimé voir un officiel, un de ces types en uniforme qui fendent les bancs de passagers. Elle traversa un libre-service, pizzas, hamburgers et frites, l’odeur mêlée au tabac et aux parfums et à quoi, cette légère trépidation, la vibration de quelque chose, lui flanquait légèrement la nausée. Sa mère lui avait offert le tout-inclus-sans-alcool. Sortie de ce boyau-là c’était une autre salle de jeu, vidéo cette fois, pleine d’adolescents pas couchés. Puis des couloirs déserts, des boutiques fermées, un décor égyptien mauve et rose, et le grand escalier en faux marbre vers la discothèque Shéhérazade. Malgré la musique on percevait une rumeur, mais à tenter d’isoler les sons on ne l’entendait plus.
Elle hésita. Un amas de retraités ivres titubait au bas de l’escalier. Elle visualisa son petit corps debout dans la masse creuse du bateau, et la mer dessous, énorme, indifférente. Les passagers du Titanic eux aussi avaient mis un certain temps à interpréter les signes. Ce voyage était une promotion de Noël, peut-être parce qu’un des paquebots avait fait naufrage quelques années auparavant, trente-deux morts. Partir en croisière aussi comportait des risques.
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C’est sa mère qui l’a convaincue de faire cette croisière. Une façon de prendre de la distance. De réfléchir à son mariage, à son métier, au déménagement à venir. Partir seule avec les gosses. Changer d’air. Changer d’eau. La Méditerranée. Pour une fille de l’Atlantique. C’est plat. Une mer petite. Les côtes sont rapprochées. On a l’impression que l’Afrique pousse de tout son crâne contre l’Europe, d’ailleurs c’est peut-être vrai. Une mer tectonique, appelée à se fermer.
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«  Si vous faites attention , non à ce que vous pensez, mais à la forme de votre pensée. Vous vous apercevrez que vous faites rarement des phrases complètes . Il y a des morceaux de rêves , un fantasme, un souvenir, des chansons. On a des scies dans la tête » …
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Songe, lui dit son mari, que le sommeil nous plonge dans une vulnérabilité si grande qu'il faut s'en protéger le temps qu'il dure. Nous devons nous replier et répéter chaque nuit ce repli sans avoir à nous poser la question du où ni du comment [...] Nous les humains avons besoin d'un lit et d'une porte qui ferme. Un domicile. Une adresse sur la planète.
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Vidéo de Marie Darrieussecq
Lecture par l'autrice accompagnée du duo Namoro
« de quel côté était la vraie vie ? À quel bout des rails ? Ou dans quel ailleurs ? » Fin des années 80. Rose et Solange sont voisines et amies inséparables depuis toujours. Rose voudrait croire à son amour pour Christian (ou bien Marcos ?) et à ses études de psycho. de son côté, Solange ne croit plus en Arnaud (l'enfant qu'elle a eu à l'âge de 15 ans est-il de lui ?) et s'accroche à son destin de comédienne. du coeur de l'adolescence à l'âge adulte, les parallèles s'éloignent imperceptiblement, même si l'on s'efforce de garder le contact a minima. D'un trait rapide, haletant, très malicieux, Marie Darrieussecq nous livre leurs deux versions des faits, successivement : comment Rose et Solange vont passer de jeunes filles à femmes, souvent l'une sans l'autre mais toujours en compagnie des hommes, et donc de tout ce qui va avec…
À lire – Marie Darrieussecq, Fabriquer une femme, P.O.L., 2024. À écouter – Namoro, Balaclava, No more reality, 2023.
Son : Jean-François Domingues Lumière : Iris Feix, assistée par Hannah Droulin Direction technique : Guillaume Parra Captation : Claire Jarlan
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