Merci à Babelio pour cette Masse Critique privilégiée, à Marie Bisseriex (traductrice) et aux Editions du Nouveau Pont. Félicitations à Claire Mollaret, illustratrice pour cette très belle couverture à l'aquarelle d'un avion de chasse qui semble vous frôler.
Pat Conroy confirme son style précis, imagé et parfois sarcastique. Il est l'un de ces bons auteurs sudistes, comme William Faulkner et Tennessee Williams, qui excellent dans les drames et adorent le Sud américain.
Mes compliments s'arrêtent ici.
J'ai détesté ce livre et si je n'avais pas eu un engagement vis-à-vis de Babelio, je l'aurais abandonné. Je me suis donc appliquée à lire 360 pages en rageant.
Voilà un auteur qui puise dans les ravages de sa famille, causés par un père égocentrique et violent, pour écrire des livres. Rien d'anormal ou d'illicite sauf quelques égratignures pour les uns et les autres. Après tant de succès, autant de dépressions récurrentes et quatre adaptations cinématographiques, Conroy trouve qu'il n'en a pas fait assez et le voilà qui s'attelle à son autobiographie.
Et tout revient : le père, Irlandais de Chicago, pilote de chasse et héros de trois guerres, apprécié à l'extérieur et haï chez lui, mari et père qui bat sa femme et ses sept enfants pour un oui ou pour un non, qui les humilie et les insulte à tour de bras. Normal que tous soient un peu déstabilisés par cette vie chaotique, en raison des affectations du père, d'une part, et de la peur qu'il suscite dès qu'il atterrit, d'autre part.
Pat Conroy est l'aîné, il est en première ligne pour les gifles, les coups de poing et les tirs de ballon dans la figure. « Mon père était fait de la pire étoffe, mais comme je suis son fils, je suis fait de la même » (p. 102).
Le « Me, Myself and I » est omniprésent. Vous me direz que c'est une autobiographie, OK, c'est aussi de l'auto-flagellation, de l'autosatisfaction et très souvent c'est même Superman et Steve Austin réunis.
Sa mère, qu'il adule et qui fait connaître la littérature à ses enfants, finit par demander le divorce. Et là, changement de ton. le Grand Santini, surnom qu'il s'est donné lorsqu'il était pilote, du nom d'un type qui sort vainqueur de toutes les situations, commence à chialer. Dès qu'il est retraité du Marine Corps, il vient habiter près de chez Pat, marié, trois filles, ancien instituteur qui s'est mis à écrire. Et chaque jour, ce père s'invite à prendre le café avec son fils comme si de rien n'était. Lorsque paraît le Grand Santini, qui sera adapté au cinéma, le père redouble d'insultes mais accompagne son fils aux séances de dédicaces de son livre. Il arrive que le père ait de plus longues files que le fils. Pathétique.
Alors qu'il ne s'est jamais préoccupé de ses enfants, le grand Santini, une fois retraité, décide de rassembler le maximum de documents à leur sujet, jusqu'à constituer deux cents dossiers bourrés de photos, de bulletins scolaires, de correspondance, de coupures de journaux. Lorsque Pat Conroy décidera d'écrire la présente autobiographie, longtemps après la mort de son père, il consultera ces archives et constatera que son père passait derrière le facteur pour subtiliser son courrier. C'est ainsi qu'il trouve une lettre de Barbra Streisand suite à son adaptation du Prince des Marées, une lettre du président Jimmy Carter, une autre du metteur en scène Martin Scorcese, plusieurs de maisons d'édition ou d'amis qu'il a ensuite perdus de vue. A part quelques noms d'oiseaux à titre posthume, que pouvait-il faire ?
Il paraît que ce livre est celui de la réconciliation. C'est là où je n'adhère pas du tout. C'est évidemment un beau sentiment que le pardon – encore que ce mot ne soit jamais écrit - mais sur 360 pages, j'ai acquis la conviction qu'il s'agissait davantage de l'acceptation par le fils du déni total du père.
Lorsqu'il lui dit qu'il aurait dû être plus sévère, comprenez, plus cogneur ; lorsqu'il pleure comme un veau à n'importe quelle occasion et surtout lors du suicide de son plus jeune fils, la coupe de l'hypocrisie est pleine pour moi. Si Pat Conroy estime que père et fils ont finalement trouvé l'amour, ça le regarde, mais qu'il n'écrive pas trois pages plus loin qu'il garde une rancoeur inguérissable de ses souvenirs d'enfance. Et tout est de la même eau, une chose et son contraire. Amour et haine ont mille visages.
Le déni jusqu'au bout. Alléluia.
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En premier lieu, je tiens à remercier sincèrement les Éditions le Nouveau Pont pour m'avoir adressé gracieusement ce livre que, sans cette aubaine, je n'aurais pas hésité à acheter.
Je salue au passage l'excellente traduction de Marie Bisseriex. Il faut aimer les auteurs et la littérature pour s'acquitter de cette tâche avec brio et, force est de constater, que tous les traducteurs ne sont pas animés de ces louables motivations. Il convient donc de le souligner quand, comme présentement, la traduction est réalisée avec talent et respect de l'esprit de l'oeuvre et de son auteur.
Alors, sans doute est-ce parce que l'histoire de cette relation avec son père a pour moi une résonance particulière, mais j'ai trouvé que Pat Conroy avait très habilement mené son autobiographie. Il a, en effet, réussi à me faire passer par toute la palette des sentiments.
Avec lui, et graduellement, j'ai éprouvé : la détestation, la rage, l'acceptation, l'indulgence, l'empathie, la considération et, aussi inattendu que cela puisse être, une certaine tendresse pour cet homme invivable qui se serait pourtant contrefoutu de mon opinion, ou de celle de quiconque, à son encontre.
Aîné d'une fratrie de sept, Pat Conroy a très vite compris que le seul moyen de sortir plus ou moins indemne de cette relation destructrice était de se blinder, de prendre de la distance. À la violence, les vexations, les humiliations paternelles, il a opposé l'ironie, la dérision, la désinvolture, l'humour. Il s'est forgé une carapace sur laquelle Don n'a plus trouvé la moindre faille pour le dégommer.
Dans ce jeu de massacre qu'il avait lui-même instauré, le Grand Santini qui ne respectait que la force a, j'en suis persuadée, fini par nourrir de la fierté pour ce fils qu'il n'était pas parvenu à démolir et dans lequel il se retrouvait.
J'aurais aimé lire ce livre il y a vingt ans. Cela m'aurait permis de connaître la seule stratégie efficace dans ce genre de situation tordue. Je n'aurais pas attendu l'impossible, ne me serais pas bercée d'illusions, n'aurais pas offert le flanc par une attitude de fillette vulnérable... J'aurais eu conscience des véritables règles du jeu et pu poursuivre la partie jusqu'à son terme au lieu de déclarer forfait en fuyant cinq ans avant la fin.
Mais mon père n'était pas le Grand Santini, pilote de chasse dans les Marines et, surtout, surtout... je ne suis pas Pat Conroy.
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Le soir, après l'Happy Hour, mon père garait sa voiture devant la maison pour rejoindre sa femme et ses sept enfants. Il sortait de son véhicule, pareil à un jeune premier dans son blouson de vol, et marchait vers la maison, ivre et voûté, écrasant les petits animaux lors de sa la lente progression.
Ma sœur Carol Ann, postée à la porte, s'écriait, "Godzilla est de retour !" et nous, ses sept enfants, galopions jusqu'à elle pour le voir faire son entrée.
La porte était grande ouverte et le plus puissant des pilotes des Marines rugissait : "Prêts pour le pilote de chasse".
Il alignait alors ses sept enfants le long du mur et leur demandait :
"Qui est le plus grand de tous ?
- C'est toi, O Grand Santini, c'est toi.
- Qui sait tout, voit tout et entend tout ?
- C'es toi, O Grand Santini, c'est toi."
Nous ne menions pas alors une enfance normale et pourtant, aucun de nous n'en était vraiment sûr car c'était la seule enfance que nous aurions jamais.
Pour nous, tous les hommes rentraient à la maison en criant à leur famille, "Prêts pour le pharmacien" ou "Prêts pour le chiropracteur".
Dans le monde bizarre et déconcertant des enfants, nous savions que nous étions en présence d'une personnalité écrasante et phénoménale mais nous n'avions pas conscience d'être élevés par un génie dont le mythe était auto entretenu.
Un jour où j'étais assis au milieu de mes frères et sœurs je leur demandai : "Est-ce que Papa a déjà fait quelque chose de gentil pour nous quand nous étions enfants - rien qu'une fois ?"
Ils réfléchissent un petit moment puis Mike dit : "Nan. Pas une seule fois."
Mais j'insistai. "Est-ce qu'ils nous a jamais sortis pour aller prendre un hot-dog ou un soda ,
- Est-ce que tu délires ? dit Jim.
- Jamais, dit Tim. Hé, j'ai une question pour vous. Bon, je n'avais jamais eu d'intuitions sur le comportement de Papa de toute ma vie mais j'en ai finalement une. Question : quel est le seul cas où vous étiez certains que Papa allait vous frapper ?
- Quand il était bourré, dit Jim
- Non, dit Tim. Parfois, il s'évannouissait.
- Après avoir frappé Maman, proposa Mike.
- Non, dit Kathy. Parfois, c'est seulement elle qu'il frappait.
- Quand il respirait, suggéra Carol Ann.
- Nan, il se passait parfois plusieurs jours sans qu'il nous gifle.
- Je ne me souviens pas de ces jours-là, dit Jim. Je pense qu'il a endommagé mon cerveau.
- Il y avait une chose qui faisait exploser Papa et pour laquelle, à chaque fois, il nous frappait avec la ceinture. Il nous battait chaque fois qu'il nous surprenait à vraiment prendre du bon temps", dit Tim.
Autant que je sache, chaque famille produit un être marginal et solitaire, reflet psychotique de tous les fantômes issus des enfers plus ou moins grands de l'enfance, celui qui renverse le chariot des pommes, l'as de pique, le chevalier au cœur noir, le fouteur de merde, le frère à la langue incontrôlable, le père brutal par habitude, l'oncle qui essaye de tripoter ses nièces, la tante trop névrosée pour jamais quitter la maison. Parlez-moi autant que vous voulez des familles heureuses mais lâchez-moi dans un mariage ou dans un enterrement et je vous retrouverai le barjot de la famille. Ils sont faciles à repérer.
"Au coucher du soleil, nous regardons monter la marée, en parfaite congruence avec le lever de lune. Peu importe l'heure, la rivière s'étale dans les pièces d'or jetées par le soleil; scintillant comme un chemin de table au milieu du vert transcendantal du grand marais salé. Chaque détail que nous remarquons est une pièce d'horlogerie qui nous rappelle le roulement de tambour assourdissant de nos propres jours de mortels."
[...] ... Quand Carol Anne reprit le contrôle d'elle-même, elle me regarda et me dit, "Mon Dieu, ce que Tom pouvait te détester. Il t'a toujours appelé son kidnappeur ou bien son ravisseur. Il ne t'a jamais pardonné de l'avoir forcé d'aller à Bull Street.
- Ce ne fut pas mon heure la plus glorieuse."
Elle secoua la tête. "Tom disait que tu étais pire que papa et que c'était la pire chose que l'on pouvait dire sur quelqu'un d'autre.
- Tom me faisait peur. Je pensais qu'il était capable de faire quelque chose de terrible contre lui-même - comme sauteur du toit d'un immeuble.
- Tom n'avait rien à voir avec le saut de l'immeuble. Toute la famille a conspiré pour le pousser à mourir. Ce fut long à venir mais nous sommes tous responsables du fait qu'il en soit arrivé là.
- Parle pour toi.
- Tom et moi étions très proches. Nous nous parlions tout le temps au téléphone. C'est toi qu'il détestait le plus après papa, et il commençait vraiment à ne plus pouvoir supporter Mike.
- Mike a pris soin de Tom tous les jours, Carol. Ne parle pas de ça à Mike," suppliai-je. "Il est possible qu'il ne se remette pas du tout de ça.
- Je vais souffrir de tout cela plus que personne dans la famille Conroy mais je garderai vivante la mémoire de Tom grâce à mon art et à mes poèmes qui l'honoreront.
- Si possible, Carol, essaie d'y aller doucement avec nous. Les deux prochains jours vont être durs pour tout le monde.
- A une condition," dit-elle. "Que personne ne sous-entende que Tom était fou. C'étail le plus sain de tous les Conroys. C'est la seule personne saine d'esprit que la famille ait jamais produite. J'arracherai les yeux de quiconque suggèrera que notre frère était fou. C'était un héros qui portait le poids de tout son clan de dingos sur les épaules. Mais c'était le seul enfant normal que Peg et Don aient fait. Nous autres sommes soit des cinglés, soit des connards comme toi et mes autres frères.
- Il y a ce petit détail : Tom s'est tué. Il a sauté du toit d'un immeuble. Certaines personnes vont peut-être en tirer des conclusions.
- C'était le seul à être sain d'esprit. C'est le monde qui est fou. J'ai écrit un poème pour Tom. Je le lirai à son enterrement si tu ne fais pas d'éloge funèbre et je ne supporterai pas que tu écrives un éloge funèbre pour un homme qui ne pouvait pas te voir en peinture," annonça-t-elle. ... [...]
Extrait de "Le Prince des marées" de Pat Conroy lu par Matthieu Farcy. Parution le 13 mai 2020.
Pour en savoir plus : https://www.audiolib.fr/livre-audio/le-prince-des-marees