« Tu te rends compte qu’un jour on appuiera sur un bouton et qu’on aura de la lumière ? »… Cette phrase anodine de ma mère m’habite encore aujourd’hui. J’ai sept ans quand elle me fait cette confidence. À ce moment-là, je n’en saisis pas l’importance ni la profondeur, juste la préciosité mystérieuse. Je sais que cette petite histoire condense le chemin qu’elle a parcouru, les rêves qui sont les siens et d’où elle vient. Elle tient sûrement à ce qu’on hérite de cette mémoire. L’ombre et la lumière sont indissociables.
« C’est facile d’être bonne, souriante et douce quand on est belle et riche. Mais être bonne quand on est bonne ! » comme le dit Jean Genet…
C’est pour ces femmes qu’on appelle les bonnes que je ressens, gamine, mon premier éveil politique. « Bonnes » et « espagnoles » sont alors synonymes. Ces femmes ont franchi la frontière à quelques kilomètres de Perpignan pour fuir l’indignité franquiste. Comme ma mère. Je me souviendrai toujours de ce mépris ambiant et bien-pensant à leur égard.
Ce « je » est fait de plusieurs autres. Avec ces autres « je », je m’autorise à embrasser les nombreuses personnes qui ont été pour moi enveloppantes, stimulantes, encourageantes, aimantes et amoureuses. Tout ce qu’elles m’ont appris, je ne l’oublie pas, et dans cette grande boîte à outils je puise. Je leur rends grâce car tous les ponts qu’elles ont dressés pour moi, qui m’ont ouvert des univers inimaginables, moi qui ai un « je » tremblant – va savoir pourquoi –, ont été une invitation à l’aventure, au hasard, aux surprises de la vie et de l’amour. Dans ce monde crépusculaire, je me dis qu’il faut garder du soleil dans la tête. La nuit ne dure pas, comme l’écrivait l’ami Daniel Darc.
Dans le savoir-faire du gros salaud, attention, il y a un talent, celui de s’immiscer au moment pile où le projet s’élabore. Comme un ver dans une pomme, il entre méthodiquement pour dégrader, frelater votre travail.
Le pourri a une autre qualité : quand il percute une proie, il ne la lâche plus d’une semelle. Il est là au réveil, vous emmène au café, vous dépanne de deux cents balles, vous achète vos cigarettes.
Pendant ce temps, nous, on travaille, on construit, on édifie, on échafaude, on structure.
Je mise toutes mes économies sur cet achat, comme dans les contes de Perrault, Le Chat botté, Les Bottes de sept lieues et Le Petit Poucet. En les chaussant, je sais que je m’éloigne de mon enfance pour entrer dans ma vie d’adulte. Je gagne une assurance que je n’ai pas encore. D’un coup de baguette magique, j’ai l’illusion, l’ivresse, d’acquérir mon indépendance.
Biographie de Dani (Deuxième partie).