Je ne partage ni tous les points de vue de l'auteur ni ne souscrits à son utilisation peu critique des noms (juifs, hébreux, palestinien, etc). Cependant je trouve très intéressante, les manières d'analyser certains phénomènes.
Dans une première partie «
La persistance de la question palestinienne », outre des rappels forts pertinents sur le sionisme d'hier et d'aujourd'hui (colonialisme de peuplement, mépris longtemps affiché pour la diaspora et la destruction des juifs d'Europe, destructions des villages palestiniens, etc), l'auteur analyse l'« organisation de fouilles archéologiques destinées à étayer l'avenir des Juifs par le passé des Hébreux », les « quête contemporaine de ”marqueurs génétiques” juifs »
Sur la volonté des israéliens de s'approprier l'histoire des populations comme histoire d'ancêtres hébreux des juifs d'Europe, je renvoie aussi au très beau livre de
Schlomo Sand : La création du peuple juif (Réédition chez Champs Flammarion. Cette réécriture historique comme l'éradication des noms palestiniens du territoire sont décrits comme une véritable « opération palimpsestique » planifiée dès le début de la colonisation. (Sur ce sujet :
Ilan Pappe :
le nettoyage ethnique de la Palestine, Fayard, Paris 2008 ) ;
Joseph A. Massad s'attache à comprendre la place de l'« opposition binaire entre soi et l'autre » et conclut sur l'antisémitisme « La persistance de l'antisémitisme comme épistémologie directrice du sionisme rend donc compte, pour une grande part, de
la persistance de la question palestinienne ».
A la suite d'
E. Said, il critique l'orientalisme des visions européennes et souligne les nécessaires luttes contre l'antisémitisme « qui afflige une grande partie de l'Europe et de l'Amérique et mobilise la propre haine du sionisme, à la fois à l'égard des Juifs juifs et des Palestiniens ». Il insiste à juste titre, me semble-t-il, sur « Ce que les Palestiniens appellent de leurs voeux, c'est l'asiatisation des juifs européens d'Israël, avec le résultat qu'ils en viennent à se considérer non seulement comme étant au Moyen-Orient, mais comme étant du Moyen-Orient »
La seconde partie du livre « Oublier le sémitisme » est une brillante analyse des dessous de l'antisémitisme « Si la désignation ”Sémite” a été précisément une ruse pour désigner l'autre du Sémite, son supérieur aryen, il devient alors, semble-t-il, impossible de distinguer le sémitisme de l'antisémite »
L'auteur discute aussi des réécritures modernes autour des peuples du livre, la création d'une notion d'histoire « abrahamique » qu'il associe à une véritable oeuvre de dépolitisation des réalités.
Joseph A. Massad réfléchit aussi sur les notions d'identité, sur le souvenir et l'oubli « la formation identitaire requiert des porteurs d'identité qu'ils se rappellent ou oublient non seulement certains souvenirs relatifs à soi, mais aussi des souvenirs relatifs à l'autre, dont l'histoire et le présent doivent subir une série d'opération déterminant ce dont il faut se souvenir et ce qu'il convient d'oublier ».
Reste à confronter ce travail à ceux d'autres auteur-e-s, à reprendre les disputes, pour lutter ensemble contre les spectaculaires édifices idéologiques d'altérisation.