Entre des mains malhabiles, quand un samouraï breton rencontre une
geisha du 77, ça aurait pu conduire tout droit à une japoniaiserie. Pour être honnête, c'est avec cette crainte que j'ai entamé
La petite boutique japonaise, même si le résumé avait attiré ma curiosité.
Isabelle Artus a composé un conte contemporain à la sauce teriyaki. Ses héros, Pamela la
geisha de Melun-Sénart et Thad le samouraï shaolin version cowboy solitaire de Saint-Brieuc, ont décidé de vivre leurs rêves japonisants en en faisant leur réalité. Se voulant eux-mêmes dans leurs attributions, ils se retrouvent éloignés de leurs proches qui ne les comprennent pas.
L'auteure montre à travers ces fantasmes d'Extrême-Orient une quête d'identité et de soi, une volonté d'accomplissement. L'une par la voie des arts traditionnels et du divertissement des hommes vécu comme un art.
L'autre en suivant la Voie du guerrier, le Bushidô. Bien que fantaisistes au regard de leurs compatriotes, leur recherche va plus loin qu'un simple déguisement ou posture pour se démarquer. Ils le vivent avec tout le sérieux tiré de leurs lectures et visionnages de Shôgun, Kill Bill, Candy, Les mémoires d'une
geisha, etc.
Mais voilà que l'amour s'en mêle et s'emmêle. Difficile de concilier perfectionnement et relation amoureuse pour le guerrier. Surtout, il y a ce besoin, au-delà des apparences dressées par les rôles qu'ils se sont eux-mêmes attribués, de se découvrir soi-même, de faire face à soi-même et d'affronter ses sentiments et ses vrais désirs. Et accepter que la réalité doive être regardée en face et non fuie...
Dans ces quêtes,
Isabelle Artus met beaucoup d'humour et de dynamisme, sans pourtant tomber dans la caricature ou le burlesque. Son couple Pamela-Thad est très attachant et fantasque. On les suit avec bonheur dans leur initiation.
D'autre part, le roman fourmille de références télévisuelles, démontrant la place conséquente que cet appareil a pris dans nos existences et l'imaginaire collectif; et les excès qu'il occasionne par trop de consommation. Ainsi, fan de Dallas, la mère de Pamela a failli l'appeler Sue Ellen...(pauvre gosse...; toute ma compassion va aux enfants qui doivent supporter un prénom gage de l'addiction aux séries et à la télé en général de leurs parents).
Quant à Thad, sa mère étant affectivement absente et son père inconnu, il a été éduqué par la nounou cathodique, des Mystères de l'Ouest aux Sept Mercenaires et, surtout, la série Kungfu et les Sept samouraïs. Il a développé ses principes de vie à partir de ces héros de fictions, hésitant entre
Steve McQueen, David Carradine et Toshirô Mifune.
Pamela, elle, trouve sa vocation à partir de la petite Chiyo devenue la belle Sayuri de
Geisha d'
Arthur Golden. Ils se sont fabriqué, chacun de son côté, un Japon de rêve monté de bric et de broc dans lequel ils interprètent le rôle principal.
Étant très attirée par la culture et la civilisation japonaise, le résumé de ce livre - puis sa lecture - m'a interpelée. J'avais envie de voir comment d'autres tombaient dans l'addiction nippophile. Bon, à côté de Pamela et Thad, je suis matériellement une petite joueuse, me contentant de lire beaucoup sur le sujet, sans me transformer en
geisha ou en guerrière de renom, pas plus qu'en lycéenne à marinière ou autre représentation du fantasme occidental sur l'archipel.
Pourtant, comme eux, et malgré la multiplication des lectures, m'a vision du Japon contient une part d'imaginaire indéniable. Pour moi comme pour notre duo d'originaux, qu'en sera-t-il de la confrontation avec la réalité japonaise? Exaltation? Déception? Émerveillement? Désillusion?
La petite boutique japonaise souffle un vent frais et touchant. J'ai aimé le ton gentiment moqueur d'
Isabelle Artus. Mine de rien, sous ses allures de comédie légère, on apprend beaucoup de choses sur la recherche de soi, sur l'univers des
geishas et sur la réalité de la vie de couple au Japon (entre autres). Une lecture sympathique et bienfaisante, surtout après plusieurs romans aux sujets plus sombres. Arigatôgozaimasu, Artus-San!