Grande, belle, fine, élancée, ravissante, éblouissante, surprenante… Il manquait de vocabulaire pour la décrire et elle avait ce je-ne-sais-quoi qui la rendait très attirante. Elle hantait ses rêves. Cette superbe créature l’envoûtait et il ne pouvait pas se l’enlever de la tête. Idiot qu’il était, il n’avait jamais osé lui parler. Il faut dire qu’elle l’hypnotisait avec ses grands et beaux yeux marron en forme d’amande. À chaque fois qu’elle passait à côté de lui, à savoir dès qu’elle franchisait le poste de sécurité menant à la zone archéologique, il arrivait à peine à décrocher un médiocre « bonjour ». Il devait lui paraître froid, frigorifique. Quel âne il faisait ! Elle devait vraiment le prendre pour un imbécile ! Il faut dire que la fille n’était pas n’importe qui. Il avait épluché tout le dossier à son sujet, secret-défense le dossier. Il l’avait même relu, et relu encore, jusqu’à le connaitre par cœur.
Écrivain débutant, car secrètement, il préparait son deuxième livre, un roman d’aventure doublé d’une belle histoire d’amour, la suite d’un ouvrage traduit et publié, dans une version remaniée, en 1903. En attendant, il était journaliste reporter pour le quotidien Washington Post. Issu d’une ancienne lignée de la haute noblesse dans son pays natal, le faste, il le connaissait. Mais ici, même son titre ne lui permettait pas de pavoiser. En Amérique, il devait faire ses preuves, se surpasser. Il aimait son métier, plus encore depuis quelques années, depuis que la presse avait dissocié le fait de son interprétation, créant une éthique de l’objectivité.
Chaque injection lui permettait de régénérer ses cellules. Cela lui faisait gagner quelques années de vie supplémentaires. Il n’avait plus accès aux bains régénérateurs, comme autrefois, dans le Palais des Rois. Quand il avait dû fuir, avec ses quelques honnêtes servantes, il avait tout juste eu le temps d’emporter ces capsules. Il repensa à sa femme, la Mère, elle y était resté, elle, car son neveu, avide de pouvoir, l’avait personnellement exécuté, sous ses yeux, en faisant glisser sa longue lame tranchante sur sa pauvre petite gorge, séparant les chairs pour mettre au jour la trachée… Une scène qui hantait ses rêves, ses cauchemars plutôt.
Qu’elle était belle ! Sa fille, son amour, celle qui illuminait chaque jour de sa vie, celle qu’il avait cherchée durant des siècles, de solitude, isolé, traversant le temps, ne pensant qu’à elle. Celle qu’il avait récupérée, il y a environ cinq années, après maintes péripéties, lui était revenue. Sen, son robot protecteur, avait réussi à la ramener sur Terre, d’où elle avait été enlevée, deux millénaires auparavant.
À soixante-quinze ans, les marques du temps commençaient à se graver sur sa peau. Même s’il n’était plus tout jeune, il était encore dans la force de l’âge. Étant capable de régénérer leurs membres, les Grassiens pouvaient vivre jusqu’à cent-quatre-vingts ans en moyenne. Certains atteignaient deux-cents ans, ou les dépassaient.