Saviez-vous que le conflit le plus meurtrier de tous les temps n'a probablement pas été la seconde guerre mondiale ? « Probablement », car chiffrer exactement le nombre de morts provoquées par la révolte des Taipings est strictement impossible. Les estimations vont de soixante à cent-vingt millions de morts ! Elle se déroula dans la Chine du sud et du centre de 1851 à 1864, et une seule chose est sûr : à la fin, des villes gigantesques étaient devenus des villages, des provinces riches et surpeuplées des déserts. Nankin vit sa population intégralement massacrée deux fois. de gigantesques famines firent des ravages.
Années 1850. La dynastie Mandchoue des Quing règne sur la Chine depuis deux-cent ans. Elle est à l'agonie. A l'internationale, elle est impuissante à résister face aux puissances occidentales, qui lui arrachent bribes après bribes de son territoire, et viennent de lui infliger une terrible défaite pendant la Guerre de l'Opium. le règne des Mandchous est de plus en plus mal vécu par la population chinoise. En interne, leur pouvoir est de plus en plus chancelant. La cours est minée par les intrigues et les luttes de clans, l'armée pléthorique et archaïque, les dépenses colossales. Dans les provinces, les gouverneurs se comportent en despotes, l'anarchie et l'insécurité règnent, les grands propriétaires terriens sont de véritables seigneurs féodaux. Périodiquement, de terribles famines ravagent des provinces entières. Dans ces conditions, il n'est pas surprenant de voir éclore des révoltes. Pas étonnant non plus qu'elles prennent un tour messianique.
Tout commence dans le Guangxi, en Chine du sud, quand un certains Hong Xiuquan, un étudiant raté membre de la minorité Hakka, découvre le christianisme. Pris d'illumination, il proclame être le deuxième fils de Dieu, envoyé sur terre pour établir le royaume céleste et venir à bout du mal. Assisté de son premier disciple, Feng Yunshan, il crée la « société des adorateurs de Dieu », sorte de syncrétisme entre christianisme, confucianisme, croyances chinoises traditionnelles et sociétés secrètes. Sa prédication rencontre un immense succès parmi les Hakka, puis au-delà dans l'immense masse de la paysannerie chinoise misérable.
En 1850, il donne le signal d'une insurrection minutieusement préparée. le succès est foudroyant. Les forces gouvernementales, très faibles, sont prises totalement au dépourvu. Quelques mois plus tard, les premières villes tombent entre leurs mains. L'armée des révoltés grossit au point d'atteindre plusieurs centaines de milliers d'hommes. En 1852 Nankin, l'ancienne capitale de la dynastie Ming, tombe entre leurs mains. Ils contrôlent une immense région en Chine du sud. Hong Xiuquan proclame le « Royaume céleste de la Grande Paix » : Tàipíng Tiān Guó.
Il serait trop long de faire tout l'historique de la révolte. Il faudra aux Quing une décennie et l'aide des Européens pour la mater, au prix de dizaine de millions de morts. Les Taipings développèrent une idéologie unique, fondèrent un véritable royaume, connurent tous les affres du pouvoir. On y trouva des héros et des monstres. Ils représentent un pan complet de l'histoire de la Chine, totalement inconnu en occident. Dur à suivre en raison du nombre colossal de noms (et de leur consonance chinoise, les rendant difficiles à mémoriser pour nous-autres occidentaux), ce livre n'en est pas moins passionnant, et une référence absolue – en fait il est LE SEUL sur le sujet en langue française.
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Les Taiping, comme tant d'autres soulèvements de l'histoire, se sont heurtés aux contradictions inhérentes à la définition d'un ordre rebelle. Faut-il se borner à harceler l'adversaire, à rendre manifeste sa déchéance, à combattre, à détruire ? ou faut-il à son tour se hasarder à construire une nouvelle machine sociale, nécessairement tributaire de toutes sortes de servitudes et d'obligations ? La révolte peut-elle se traduire et s'informer en une structure stable, sans pour cela se réifier en une entité qui impose ses propres exigences. Les Taiping ont d'abord mené la guerre de mouvement, la guerre du peuple, et des foules immenses de paysans se levaient pour les acclamer à mesure qu'ils avançaient du lointain Sud-Ouest. Mais, à partir de leur installation à Nankin en 1851, ils ont créé un appareil politique. Ils se sont donnés une capitale, un système politique, une administration bureaucratique, une couche dirigeante; tout cela impliquait que le pouvoir nouveau demande toujours davantage à la paysannerie, désormais sujette d'un gouvernement, et non plus force motrice du mouvement.