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EAN : 9782889490165
234 pages
5 sens éditions (13/11/2017)
4.25/5   4 notes
Résumé :
Elijah est un klezmer, c’est-à-dire un musicien ashkénaze. Il vit en Transylvanie Roumaine, il a
vingt-cinq ans en cette année mille neuf cent vingt-cinq. C’est lors d’une de ses prestations qu’il
commence une révolution en trois étapes, qui opéreront sa transformation. Il prend d’abord
conscience du milieu juif auquel il appartient, du racisme et du nationalisme qui enveniment son
pays. Puis il se rebelle, revendiquant le droit d’exister... >Voir plus
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Que lire après La révolution du klezmerVoir plus
Critiques, Analyses et Avis (3) Ajouter une critique
Je dois dire qu'avant de lire ce roman, je n'avais aucune idée de ce qu'était un klezmer et je pense ne pas être la seule. Aux côtés d'Elijah, je n'ai pas appris seulement la définition de ce terme, mais c'est tout un voyage initiatique que j'ai eu l'occasion d'effectuer. L'auteur nous emmène au gré de la musique et des rencontres de son protagoniste dans différentes régions, avec leur vision de la vie, de la politique et des traditions.

C'est un réel voyage voire une quête qui nous est proposée ici. Elijah se laisse porter par la vie et ce qu'elle a à lui offrir, cherchant par là même à savoir qui il est, ce qu'il veut et ce qu'il cherche. Les différentes rencontres qu'il va faire vont nous apprendre beaucoup de choses sur lui, sur les autres et surtout sur les mouvements qui commencent à naître partout en ces prémices de la deuxième Guerre Mondiale.

Sur fond de climat tendu, d'idéaux politiques et de racisme, l'histoire nous emporte au coeur de cette période troublée avec simplicité et justesse. L'auteur réussit à nous faire ressentir au plus profond de nous-mêmes ce que vit Elijah et sa quête d'identité. L'acceptation de qui il est et d'où il vient sera le seul moyen pour lui d'avancer et de se retrouver lui-même au bout du chemin, pour enfin s'aimer et donner de l'amour à ceux qui l'entourent.

Pour cela, plusieurs personnes vont l'aider, certaines par leur amitié ou leur amour, d'autres par leurs réactions dures et hostiles. Tous mettront une pierre à son édifice que nous verrons se construire au fil des pages. Entre poésie, joies et douleurs, ce roman nous embarque pour ne plus nous relâcher avant le chemin terminé.

En bref, ce livre nous permet un moment d'introspection et nous conduit sur un chemin de réflexion intéressant dans une époque de notre histoire troublée et troublante.
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Quête .

Nous sommes en Transylvanie roumaine en 1925, Elijah parcourt le pays de village en village offrant ses services de klezmer.
Il semble en quête de quelque chose , en quête de lui-même peut être.

Étant passionnée d'histoire et de musique je ne pouvais décemment pas résister à l'idée de lire ce livre ayant pour héros un musicien.
Pour tout vous avouer , avant de lire le résumé de ce livre je ne savais pas ce qu'était un klezmer, je n'en avais jamais entendu parlze.
J'étais très intriguée à l'idée de suivre l'histoire d'un klezmer du début du 20e siècle.
J'ai donc découvert qu'un klezmer est un musicien ashkénaze et dans le cas d'Elijah il s'agit d'un violoniste.

En faisant la connaissance d'Elijah j'ai basculé dans le temps , j'ai fais un bond de presque cent ans en arrière.
J'ai plongé au coeur de la Transylvanie roumaine , j'ai découvert la multitude de ses peuples et de ses habitants , la variété de cultures qui animent ces Terres qui jusqu'ici m'étaient plutôt méconnues.
Tout comme Elijah , j'ai été parfois charmée par ce que je découvrais et parfois atterrée face à certains comportements.

Partout en Europe les années 20 et 30 ont marquées un tournant dans l'histoire. Elles ont été le catalyseur de nombreuses tensions et ont été révélatrices de certains extrémismes.

En accompagnant Elijah, certains comportements et certains façons de penser se révèlent à nous.
On découvre des gens qui souffrent , qui vivent pour beaucoup dans un certain dénuement .
Comme chacun le sait , cela rend propice la montée de certains sentiments, racisme , antisémitisme, nationalisme...
Et à travers cette histoire on se rend parfaitement compte de tout cela , on voit à quel point la situation est grave et ne demande qu'à empirer . L'Histoire est là pour nous le prouver.

Elijah est un peu le témoin de cette époque troublée. Sa vie de musicien errant le conduit de place en place et l'amène à prendre conscience de tout cela.
Et à mesure qu'il va à la découverte des autres c'est lui qu'il découvre.
Il va se mettre à mal pour mieux se trouver.
Mais cela ne va pas se faire en un jour et certaines rencontres vont se montrer déterminantes pour lui.

Que ce soit Rebecca, Istvan ou les autres personnages qui vont croiser son chemin, chacun à un rôle à jouer dans le destin de ce klezmer. Ils vont être pour lui plus importants qu'il n'y paraît , ils vont l'accompagner sur son chemin et le conduire là où il doit être. Même s'il va lui falloir un peu de temps.
Mais ce n'est pas la durée du voyage qui compte mais ce qu'il nous a apprit.

J'ai apprécié suivre le parcours d'Elijah, j'ai aimé voir l'évolution de sa personnalité et voir certaines prises de conscience se faire.
Même si certains termes liés à la religion , à la musique ou à cette région spécifique m'ont quelque peu échappés au départ ( je n'avais pas remarqué le lexique en fin de roman, lexique qui m'aurait bien aidé lors des premiers chapitres ) j'ai fini par me laisser porter par le rythme des mots et par le voyage auquel nous convie l'auteur de ce livre , Jean-Luc Bremond.

Un livre à découvrir.
__________________

http://www.bla-bla-blog.com/archive/2018/10/03/rencontre-avec-un-alter-artiste.html

BBB – La révolution du Klezmer se passe en Europe orientale dans l’entre-deux guerres. La première guerre mondiale est terminée et le monde va, dans quelques années, connaître un conflit dévastateur, notamment pour les juifs. Pourquoi avoir choisi les années 20 pour situer votre roman ?

JLB – J’ai découvert la musique klezmer par la danse. En voyageant dans les pays d’Europe centrale, j’ai pu constater que la recherche d’identité nationale se figeait encore dans ces années de perte de territoire, post première guerre mondiale, pour retrouver le grand pays, la souveraineté culturelle et religieuse. Quand m’est venue l’idée de raconter l’histoire d’un klezmer, un musicien, je l’ai placé dans son milieu juif où, dans les années 20, s’affrontaient ceux qui recherchaient l’intégration pour sortir de la souffrance de la discrimination, quitte à faire des compromis, et ceux qui voulaient y échapper par le sionisme, une possible terre de liberté, sans concession, aveuglés par le nationalisme. Les idéologies séparent ; la musique, ou tout autre expression venant du tréfonds de la personnalité, pourrait résister à la division et empêcher l’histoire de se répéter.

BBB – En filigrane c’est la Shoah qui se dessine. On pense à cette sinistre Garde de Fer.

JLB – J’ai très jeune été choqué par la Shoah, révolté contre cette ignominie ; aussi parce qu’un de mes grands oncles s’était porté volontaire comme médecin à la libération d’un camp d’extermination, et qu’un autre était mort comme prisonnier, en tant que résistant, dans un autre camp. En écrivant, je ne pouvais m’empêcher de penser à la fin tragique de mes protagonistes. La garde de fer en Roumanie, la terreur blanche en Hongrie, le fascisme en Italie, le nazisme en Allemagne…Par jeu d’alliance et de collaboration, l’étau se resserrait pour ceux que ces mouvements xénophobes condamnaient.


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Le commentaire de Cathy :
Elijah est un klezmer, un musicien ashkénaze, il parcourt la Transylvanie Roumaine de 1925. Lors d'une journée un peu comme les autres, il va avoir un déclic, une envie de voir autre chose, de découvrir autre chose, sa quête ne fait que commencer. Plonger, en compagnie d'Elijah, dans un pays que je ne connaissais pas, dans une époque que je ne connaissais pas à été pour moi une bonne découverte. J'ai l'impression d'avoir beaucoup voyagé pendant ma lecture, j'ai aimé découvrir ses différents peuples, ses différentes cultures qu'Elijah va rencontrer pendant sa quête. Différents personnages vont croiser le chemin de notre musicien, chacun à sa manière va avoir une grande place dans l'évolution de ce dernier. L'auteur a eu la bonne idée de nous faire un lexique à la fin de son roman ce qui m'a permis de pouvoir, à chaque fois que je ne connaissais pas certains termes, trouver leurs significations. L'auteur a une plume que je trouve très agréable, et un style fluide. Merci Jean-Luc Bremond pour le voyage que vous venez de me faire vivre.

Lien : http://lesmilleetunlivreslm...
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Citations et extraits (3) Ajouter une citation
Elijah se retourne vivement, il a senti une présence der-
rière lui. Sur le pré fleuri de coquelicots, la silhouette d’un
enfant lui cache l’astre rayonnant, malgré la pénombre sur
son visage il peut voir qu’il lui sourit. Le garçon descend le
talus, il se place hardiment devant le musicien qui a cessé
de jouer. Le klezmer contemple l’enfant maintenant éclairé
par le soleil de l’été. Il a les vêtements en lambeau, les pieds
nus, les pantalons courts qui laissent apparaître la crasse
de ses jambes, les cheveux très blonds mal coupés, par lui-
même, un plaisantin ou un mauvais barbier ? Il a les yeux
bleu délavé, légèrement bridés, ils clament l’innocence et la
gaîté, ils semblent dire au musicien : « pourquoi pleures-tu,
es-tu seul toi aussi ? »
Elijah regarde les mains du garçon et, chose inouïe, elles
tiennent un violon. Il ne peut s’empêcher de se revoir, à
peu près au même âge, jouer dans les rues pour quéman-
der de l’argent, afin de manger et de se loger, pour lui, ses
sœurs et ses frères.
« En joues-tu ? lui demande-t-il.
– Je dois bien manger, répond l’enfant en ricanant.
– Comment t’appelles-tu ?
– Istvan, et toi ?
– Elijah. Quel âge as-tu ?
– Onze ans et toi ?
– Vingt-six ans. Es-tu seul ?
– Oui. Est-ce que je peux venir avec toi ? »
Elijah ne sait quoi répondre, tant il est désarçonné,
bouleversé.
L’obscurité qui l’avait auparavant englouti dans la noir-
ceur de la culpabilité s’est, d’un seul coup, dissipée, comme
par magie, mais il n’en est pas moins embarrassé. A-t-il le
droit de se déplacer avec un mineur, sans doute un fugueur
échappé de sa maison ? Le klezmer réfléchit. S’il dit oui, il
ne serait plus seul, ils pourraient même jouer ensemble et
se faire plus d’argent.
« Je veux bien, mais tu dois d’abord me dire d’où tu
viens, répond-il à l’enfant.
– De Cluj. »
L’homme écarquille les yeux.
« De Cluj, mais c’est très loin d’ici ! Où est ta famille ?
Que fais-tu en Bessarabie ?
– Je gagne ma vie.
– Mais pourquoi pas en Transylvanie ? »
L’enfant ne répond pas. Elijah fronce les sourcils.
« Si tu veux venir avec moi, il faut m’en dire un peu plus,
dit-il avec sévérité. Où sont tes parents ?
– Je n’en ai plus. J’ai suivi des amis.
– Et où sont-ils à présent ?
– Ils sont partis plus au sud, à Tighina.
– Pourquoi ne les as-tu pas suivis ?
– Parce qu’ils voulaient continuer à voyager, ils comp-
taient même aller à Bucarest, mais moi je suis fatigué.
– Et tu crois qu’avec moi tu seras plus tranquille ! Mon
pauvre ami, je suis un musicien moi aussi, je n’ai pas de lieu
où aller.
– Mais vous êtes un adulte, vous pouvez me protéger,
mes amis sont comme moi des enfants, ils prennent trop
de risques.
– Comme ?
– De se faire voler, abuser ou même tuer. »
Elijah hoche lentement la tête. Il n’a plus le choix, il
ne peut pas laisser le garçon livrer à lui-même, il doit s’en
occuper.
« Bon, nous retournons en ville. Nous jouerons tous les
deux jusqu’à ce que je trouve une solution. Quel est ton
répertoire ?
– Tout ce qui se joue en Roumanie, chant populaire,
musique de danse, de fanfare et de Taraf. Je vous remercie,
vous ne le regretterez pas. »
Istvan et Elijah dorment dans des granges, des paillets,
des cabanes éloignées. Le klezmer regrette son violon, car
il lui ouvrait plus facilement les portes des foyers. Ici la
flûte est connue, mais c’est l’instrument des bergers. Les
gens ont certes pitié de l’enfant, mais ils ne prennent pas
assez au sérieux ses talents de violoniste au point de le
payer. Les deux musiciens reçoivent de la nourriture mais
pas de lit pour s’y coucher, pas de bains pour s’y laver.
Heureusement c’est l’été, il y a les rivières pour se baigner
et les prairies pour s’y lover. Après deux semaines à sil-
lonner les routes de Bessarabie, ils arrivent à Iassy. Avant
de pénétrer la ville moldave, les voyageurs choisissent les
berges d’un large cours d’eau pour nager. Après quelques
brasses dans la fraîcheur des flots, ils s’étalent sur l’herbe
grillée par l’été. L’enfant observe son compagnon qui ferme
les yeux, aveuglé par le soleil ardent. Cet homme réservé
ne l’a jamais vraiment questionné, il a respecté ses petites
cachotteries. Le garçon a apprécié la discrétion d’Elijah
mais, maintenant, il est impatient de connaître l’homme
qu’il considère en secret comme son père.
« Pourquoi es-tu sur les routes, n’as-tu pas de famille ? »
Le klezmer tourne la tête dans sa direction. L’enfant
s’est relevé, il est assis face à lui.
« Comme toi je me suis mis très tôt à jouer de la
musique pour gagner ma vie. Je fais partie d’une lignée de
Klezmorim. Mon père m’a initié au violon. Il n’a pas pu
transmettre son métier à mes deux jeunes frères, car ma
mère est morte quand j’avais huit ans, mes sœurs et mes
frères respectivement six, quatre, trois et un an. Puis il est
parti, deux ans plus tard, en nous confiant à la famille de
ma mère. Je me souviens de ses paroles comme si c’était
hier. Il imite la grosse voix de son paternel : Elijah, tu es
l’aîné, donc le responsable de tes sœurs et de tes frères. Je vais partir
pour retrouver Dieu qui m’a ravi mon aimée. Je dois me réconcilier
avec lui et avec moi. Je dois gagner la paix pour pouvoir continuer.
Chaque jour je prierai pour vous et quand je serai prêt je revien-
drai. La famille est d’accord pour vous prendre en charge, ils vous
répartiront, mais c’est toi, mon fils, qui est le responsable de mes
enfants. Tu dois gagner très tôt ta vie et entretenir ta fratrie, je ne veux
pas que vous soyez séparés. Je te fais confiance. »
Istvan rit.
« Ça ne s’est pas passé comme prévu. Tu me demandes
si j’ai une famille, je te dis « oui » mais j’en suis le père.
Aujourd’hui chacun a trouvé un métier et s’est marié. Je
suis très proche de mes sœurs, restées à Satu Mare, mes
frères ont eu besoin de se distancier de moi, mais je les
aime. Ils habitent chacun un shtetl près de notre ville,
poursuit Elijah.
– Comment se nomment-ils ?
– Shimon et Isaiah. Mes sœurs s’appellent Annah et
Zelda.
– Et tes parents ?
– Deborah et Natan.
– C’est quoi les Klezmorim et les Shtetl ?
– Le klezmer est un musicien qui va de villages en villes
animer des fêtes et des cérémonies. Pour ma part, j’ai joué
pour des anniversaires, des mariages, l’arrivée d’un rabbin,
la venue d’une nouvelle Torah, l’inauguration d’une syna-
gogue, des circoncisions, des danses et des concerts. Le
shtetl est un village juif.
– C’est quoi les Juifs, la circoncision, la Torah, la syna-
gogue, le rabbin ?
– Tu poses beaucoup de questions, mais je vois que tu
écoutes. Un Juif c’est tout ça, et tout ça c’est mon peuple.
Mais parle-moi de toi.
– Est-ce que tu as des enfants en dehors de tes frères
et sœurs ?
– Istvan ! Ne me pose plus de questions s’il te plaît !
Je connais ton nom, ton âge et ta ville d’origine, mais j’ai
besoin d’en savoir plus maintenant ! »
Le garçon le toise d’un air frondeur.
« Je te préviens Istvan, si tu veux venir avec moi, il fau-
dra te montrer plus coopératif. Qu’as-tu à me cacher qui
pourrait me retomber dessus ? », demande Elijah sur un
ton autoritaire. L’enfant baisse les yeux. De toute façon,
il ne pourra pas longtemps le dissimuler, peut-être même
l’homme l’a-t-il déjà compris.
« Je viens d’un orphelinat à Cluj, je me suis enfui il y
a cinq mois. Je n’ai jamais connu mes parents, on m’a dit
qu’ils étaient hongrois. Tout ce que j’ai d’eux, c’est mon
violon. J’ai appris à en jouer à cinq ans, à l’institution. Le
professeur était très gentil, il m’a transmis tout ce qu’il
savait. Un jour il est parti et il n’a pas été remplacé. J’ai fait
comme lui. J’ai parcouru la Transylvanie pour le retrouver,
c’est alors que j’ai rencontré les amis dont je t’ai parlé.
– Ne sais-tu pas qu’un enfant en fuite est recherché ?
C’est pour cela que tu es allé jusqu’en Bessarabie ? Tes
amis sont-ils poursuivis eux aussi ? interroge nerveuse-
ment l’homme.
– Oui », répond le gamin en pleurant.
Elijah se prend la tête entre les mains. Que va-t-il faire à
présent ? Istvan lui prend le bras.
« Ne me ramène pas là-bas, je t’en supplie, je ne veux
pas y retourner.
– Tu étais donc si malheureux ?
– Pas toujours, mais ils veulent m’apprendre un métier,
moi je veux être violoniste. »
Elijah rit. N’est-ce pas son métier à lui, le klezmer ?
« Comment as-tu fait pour ne pas être attrapé ?
– Je me suis toujours arrangé pour rester près d’un
adulte qui m’inspirait confiance.
– Mais tes amis ne sont-ils pas des enfants ? demande
Eljah, surpris par la réponse du garçon, un peu déçu aussi
d’apprendre qu’il n’est pas le seul à s’être occupé de lui.
– Sauf un qui était plus grand, il avait seize ans je crois. »
Le klezmer a pris sa décision, il ne peut pas abandonner
l’enfant, ni même le ramener à l’orphelinat.
« Tu aurais tout de même dû me dire que tu t’étais
échappé. Ne le sachant pas, j’ai peut-être pris de risques
inconsidérés.
– Tu ne me l’as pas demandé.
– C’est vrai. Bien, l’interrogatoire est terminé, tu peux
rester avec moi. »
Le garçon lui sourit, un visage illuminé, ses yeux et sa
bouche rient de bonheur. Puis, soudain, il fixe avec sérieux
son protecteur.
« Est-ce que tu es toujours triste ?
– Pourquoi me demandes-tu ça ? demande Elijah, mal à
l’aise par la question tranchante qui remue sa plaie béante.
– Parce que toute ton histoire est sans joie.
– Et toi, n’es-tu pas malheureux ?
– Non. Aujourd’hui je suis joyeux car j’ai trouvé un ami.
J’ai perdu le professeur qui me rendait heureux, je l’ai long-
temps cherché et je t’ai rencontré. »
L’homme reste en silence, ému par le naturel de l’en-
fant. Il est la joie qu’il cherchait, il est l’humour qui lui
manquait.
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Le klezmer se souvient de sa première rencontre avec
Sándor, juste après le départ de son père, deux ans après
la mort de sa mère, alors qu’il jouait de son instrument
dans les rues de sa ville. Il vit avancer un grand échalas,
maigre et affamé, la tignasse mal peignée, un violon à la
main. L’adolescent se mit à jouer avec lui, des airs hon-
grois. Le chapeau d’Elijah se remplit très vite, les musiciens
se partagèrent leurs gains. Sándor l’invita à manger, ils se
commandèrent des bureks serbes puis des Túró hongrois,
respectivement des chaussons fourrés à la viande et au fro-
mage blanc, le tout arrosé à la bière, un luxe, un véritable
festin. C’était la première cuite d’Elijah, la première grande
honte aussi, car Sándor lui tira ses péotes et se moqua
de lui devant tous les clients. Il prit son couteau et les lui
coupa, il mit les papillotes sur ses tempes et singea le Juif
devant tous les passants. L’enfant, d’abord interloqué, se
mit à pleurer, il voulut courir jusque chez lui mais il tomba.
Il se retrouva la face dans son vomi de bile et d’alcool.
Quand il rentra chez sa tante, il reçut une bonne raclée, il
fut privé de sortie trois jours durant et dû faire la promesse
de ne plus fréquenter les Gentils. Quand Elijah déballa
à nouveau son violon, dans une rue passante de la ville,
l’adolescent vint le retrouver, il s’excusa de son comporte-
ment et lui jura de ne plus jamais recommencer. C’est ainsi
qu’ils devinrent d’inséparables amis.
52Pourquoi personne ne l’a prévenu de sa mort, pourquoi
son épouse, Marta, n’a pas cherché un moyen pour l’en
informer ? Elijah se sent bien ingrat. Il a quitté la ville il
y a trois ans sans donné d’adresse et, depuis lors, il n’y a
plus remis les pieds. Il n’est jamais resté à la même place,
comment aurait-on pu lui communiquer le décès de son
ami. La tristesse du klezmer s’alourdit d’un grand désarroi,
tous ses projets tombent à l’eau, il avait imaginé rester en
ville, d’abord chez son ami, puis trouver au plus vite un
logement. Le violoniste contemple la grande avenue qu’il a
tant de fois arpentée pour se rendre à Cluj, à pied, en bus
ou en calèche, il ne lui reste plus qu’à la prendre, dans un
sens comme dans l’autre, selon l’inspiration du moment.
La femme revient un plateau dans les mains, elle le pose
sur une petite table verte. Elle remplit deux tasses de thé
brûlant et s’assoit à distance de son invité, elle ne tient pas
à alimenter les ragots des voisins et des passants. Elle offre
des gâteaux secs au musicien.
« Excusez-moi de vous demander cela, vu la circons-
tance, mais pouvez-vous me jouer quelque chose ? »
L’homme la regarde, surpris. Il plonge tout soudain
dans les yeux noirs intenses de son hôte, il tombe sans
pouvoir se retenir dans le beau sourire de la femme aux
cheveux de jais. Il en reste pétrifié, incapable de parler. La
femme attend. Pourquoi a-t-il l’air si embarrassé ? Est-ce
par timidité, parce qu’il est troublé par la gent féminine, ou
parce qu’il est gêné de devoir la faire payer.
Elle ne peut retenir un fou rire de nervosité. Elle se
reprend aussitôt, honteuse de s’être ainsi moquée. Elle fixe,
captivée, le beau visage du violoniste, ses traits fins et doux,
sa barbe fleurie de miel, ses cheveux bouclés, clairs comme
le chaume des prés, ses yeux bleus comme le ciel dégagé.
Elijah ne peut sortir du regard envoûtant, luisant
comme deux pleines lunes dans une nuit étoilée. L’assiette
53de gâteaux reste accrochée dans le vide, à peine retenue par
les doigts délicats de la femme, la main d’Elijah suspendue
en haut, comme un oiseau planant au-dessus de sa proie.
Le klezmer relève brusquement une jambe, le plateau
valse à terre, un geste maladroit, les deux jeunes gens
partent à rire aux éclats. Le klezmer s’apprête à réparer ses
dégâts, mais la femme lui prend aussitôt les deux mains.
« Je vais m’en charger. Pendant ce temps, s’il vous plaît,
jouez-moi juste un petit air de violon, j’aime beaucoup la
musique.
– Alors ce sera un air joyeux, car la vie continue n’est-ce
pas, mon ami m’aurait certainement demandé cela. »
Il se lève puis il exécute sans attendre un Freilach, une
danse de joie, par un jeu énergique de l’archet. Il ne peut
s’arrêter, car la femme l’encourage à continuer. Pendant ce
temps, elle observe fixement, à la limite de l’indécence, le
musicien. Il n’a pas le type magyar des Carpates, les pom-
mettes saillantes et les yeux légèrement obliques, mais il a
l’accent hongrois des gens de cette ville, de langue oura-
lienne et ougrienne. Elle enseigne à des enfants de primaire,
dont beaucoup de blondinets aux yeux bleus comme lui,
aux noms ouralo-altaïques, tel Attila, Ildiko, Arpad, l’his-
toire et les légendes de Transylvanie. La musique du vio-
loniste la transporte malgré elle dans la région du Danube
où les Magyars se fondirent avec les Huns, une confédéra-
tion de différents peuples asiatiques composée majoritai-
rement de Turcs et de Mongols, puis vainquirent les Slaves
et poursuivirent les conquêtes d’Attila en Europe occiden-
tale. Les mélodies du klezmer l’emportent dans la mytho-
logie du peuple hongrois des Carpates. Elle y rencontre le
dieu Isten, le père des hommes, le démon ördôg, le sinistre
mano, les fées de la terre, de l’air et des eaux, dont le palais
royal se trouverait dans les montagnes de Transylvanie. Le
musicien fait-il partie des tribus anciennes, libres et nobles,
54comme celles de ses élèves ? Mais alors pourquoi place-
t-il dans son répertoire des airs yiddish et séfarades, les
mélodies de son enfance ? Est-il juif comme elle ? De son
côté, Elijah partage les mêmes pensées. Il ne sait pourquoi,
mais plus il regarde son hôte, sa longue chevelure noire et
bouclée, et plus il a envie de lui offrir des mélodies orien-
tales, bulgares, grecques, serbes, bosniaques, des airs des
Balkans, mais aussi des mélodies espagnoles, portugaises,
marocaines, turques comme ce taqsims qu’il interprète à
présent. La femme se lève, elle l’accompagne avec la voix ;
d’abord un chant sans parole puis, très vite, une chanson
en langue espagnole. Elijah ne s’était pas trompé, elle est
bien juive séfarade, d’une culture qu’il méconnaît, si ce
n’est par ces quelques morceaux. Quelle coïncidence de la
rencontrer là, chez son ami disparu ! Mais il n’y a pas de
hasard dans la vie, juste des signes que tout est relié, qu’il
nous faut être à l’écoute de ce que nous disent les anges
gardiens, que Sándor, son ami chrétien, appelait l’esprit.
L’année qui a précédé son départ, ils échangeaient sou-
vent sur la spiritualité. Pressentait-il sa mort prochaine ?
Sándor défendait l’importance d’une pratique religieuse,
Elijah lui rappelait qu’il avait pourtant été le premier à le
condamner pour sa religion, en lui coupant ses péotes et en
l’incitant à raser ses tempes avant de venir ici. Pour Elijah,
l’important était d’être musical dans l’existence, le reste
passait après. Accueillir la résonance des êtres rencontrés,
changer de tonalité quand sa musicalité est désaccordée,
nourrir son âme de sons, est le travail de tout bon musi-
cien. Ainsi la communication devient fluide, on ne perd
pas de temps dans des demi-relations ou des faux liens
compliqués ! C’est précisément ce qui arrive maintenant,
alors qu’il joue devant la jeune femme de son âge : la voie
et la musique s’accordent, le lien est évident, sans obsta-
cles, ils sont dans une relation authentique, quasi magique.
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Elijah prend sa flûte. Il connaît le répertoire de ces gens,
appris lors de ses prestations avec ses amis. Il était quelque-fois le seul klezmer dans un ensemble tzigane, le plus souvent c’était l’inverse, mais là il se sent d’improviser dans la nuit chaude et étoilée. Évidemment il serait plus aisé pour lui d’avoir un violon, il pourrait même emprunter celui d’Istvan, mais il ne tient pas à lui faire de l’ombre. Elijah joue un air csángó, il ne s’aperçoit pas qu’il est désormais le seul à jouer, tant il est absorbé. Puis il poursuit par une mélodie ashkénaze. Il est très vite rejoint par son jeune compagnon. Une joute est lancée, klezmer contre tzigane. Mais les équipes sont inégales, le duo est très vite écrasé par les chants. Elijah abandonne, mais pas son acolyte. Le klezmer écoute les mots qu’il ne comprend pas, il s’imprègne de la joie arrogante venue de l’orient. Lui vient à l’esprit la remarque du jeune orphelin lors de leur rencontre, à propos de sa tristesse. Pourquoi donc les klezmers apportent-ils tant de joie à leurs auditeurs, pourtant plus enclins qu’eux à tourner en humour leurs malheurs, alors qu’ils dégagent eux-mêmes tant de sérieux ? Peut-être justement parce qu’ils ne vivent pas en clan, qu’ils sont seuls et sans tribu. Son voisin, un homme d’une quarantaine d’années, lui
tend une écuelle garnie de viande et de haricots.
« Tu joues de la flûte comme si tout ton corps ne
demandait qu’à rire et, pourtant, tu te retiens de pleurer ;
alors laisse tes larmes sortir avec tes notes inspirées et ton rire rejoindre nos chants de liberté. »
Elijah reste bouche bée, l’homme aurait-il lu dans ses
pensées ?
« Que le deuil noir mange ma mère si je mens, tu es un
sacré bon musicien l’ami ! Comment te nommes-tu ?
– Elijah.
– Szabolcs, je suis l’un des fils de celui qu’on a enterré
aujourd’hui, dit l’homme en se signant, je n’ai jamais
entendu tant de sons sortir d’un si petit instrument. Tu as
dû sacrément t’entraîner.
– C’est mon métier, je suis klezmer.
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