A priori, l'opération Masse critique Mauvais Genre de Babelio ne m'intéressait pas. J'y ai déniché, chez un éditeur de science-fiction et fantasy (Le Bélial', collection Parallaxe), un ouvrage de deux scientifiques reconnus,
Roland Lehoucq, astrophysicien au Commissariat à l'énergie atomique de Saclay et
Jean-Sébastien Steyer, paléontologue au Muséum d'histoire naturelle de Paris et au CNRS. Les deux spécialistes se penchent sur une quinzaine de films de SF afin d'en analyser les fondements scientifiques ("Seul sur mars", "Gravity", "Interstellar",...).
"... après avoir visionné un film de science-fiction, nous le décortiquons de façon ludique et, à la lumière de nos connaissances actuelles, nous tentons de comprendre ce qui nous est montré. [...]. Notre objectif n'est pas de critiquer ces films, mais de mener une enquête à leur propos, d'en extraire des informations qui ne sont pas données explicitement grâce au raisonnement scientifique."
Sans surprise, force est de constater que, à de rares exceptions, une grande partie de ce cinéma multiplie les incohérences. Certains «bons» films, visuellement attractifs, sont fortement décrédibilisés. J'aurais cependant été en peine de déceler la plupart des lacunes soulignées par les auteurs.
Ludique, mais... Parti la fleur au fusil, je me suis vite rendu compte qu'il fallait s'accrocher pour suivre les explications : dès la page 25, on est dans la physique quantique et les naines blanches pour tenter de comprendre comment on peut rapetisser (ou pas) des objets ou des humains ("Chérie, j'ai rétréci les gosses!", "Ant-man", etc.).
Fait d'explications concises et sérieuses, "
La science fait son cinéma" propose une excellente (re)mise à niveau scientifique. Par exemple, des expériences dans une éventuelle station spatiale en orbite martienne, permettent de remémorer des lois basiques (gravitation) qui prennent des aspects inattendus en impesanteur (Force de Coriolis). On a aussi l'occasion de se remémorer le rôle du hasard dans la théorie des espèces (la notion de progrès dans l'évolution est anthropocentrique) dans le cadre de films qui exhibent des monstres improbables (Godzilla). Quant aux machines (Jaegers) qui les combattent, il faudrait plusieurs réacteurs nucléaires pour que le bras armé de ces engins, hauts comme la tour Eiffel, puisse asséner un coup violent.
De tout ce qui a été analysé par les auteurs, une nouvelle de SF, "L'histoire de ta vie" (
Ted Chiang, 1998) dont a été tiré le film "Premier contact", émerge grandement par son intelligence. Une linguiste, Louise Banks, est consultée afin d'établir une communication avec des extraterrestres heptapodes dont l'écriture est faite de glyphes circulaires complexes. le déchiffrage de ceux-ci (démarche joliment expliquée avec détour par les hiéroglyphes) et la compréhension de ce langage permettent de démonter deux mythes tenaces (p.178). le premier, lié à l'hypothèse de Sapir-Whorf (la langue influence notre façon de percevoir le monde, les couleurs par exemple), est que la langue modifierait nos structures mentales. Communiquer, représenter, retenir, convaincre sont de fameux pouvoirs du langage mais il n'a pas celui de contrôler le fonctionnement du cerveau ou la perception du temps (voir l'avenir, par exemple). le second mythe est l'existence d'une langue universelle "qui synthétiserait les facultés linguistiques et approcherait la matérialité même de l'univers". Malgré
Noam Chomsky (langage inné), controversé aujourd'hui, c'est un "fantasme classique", concluent les auteurs.
Revenons à l'écriture circulaire des étrangers: elle offre l'occasion de s'attarder sur le magnifique principe dit de moindre action (p.181), qui fait intervenir une nouvelle quantité, l'action (les bases ici). Les équations de la physique peuvent s'écrire selon ce principe de parcimonie, à condition de trouver l'action adéquate. L'unification des concepts (y compris quantiques) qui en découle conduit à une manière pratique et compacte de décrire les lois physiques, de mieux les comprendre, de mieux les généraliser.
C'est grâce au principe de moindre action que la linguiste de la fiction parvient à déterminer le langage des extraterrestres: il n'est pas séquentiel (chez nous, humains, un morphème suit l'autre) mais simultané, global, une page entière est lue simultanément. Avant de l'écrire, il s'agit de connaître toute la phrase, son organisation, ses conséquences. Une façon d'envisager le monde : "la beauté insolite d'un principe fondamental de physique transposé au langage". Bien que ce principe «holistique» fonctionne pour les physiciens, philosophiquement, le problème n'est pas réglé....
Merci aux Éditions du Bélial' et à Babelio pour les joies que procure cette lecture.
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