Veyne, que j'aime deux fois, comme expert de la Rome antique et de
René Char, est érudit et perspicace. Ironique aussi : « En ces temps-là, l'astrologie, fondée sur de solides connaissances astronomiques, était en crédit, comme chez nous la psychanalyse » (p 178). Il nous donne ici un document impeccable avec plan détaillé, index nominal et thématique, carte et bibliographie. Pour inciter à sa lecture, voici les traces de deux thèmes dominants :
« Les Tranquillisations ». Ce chapitre du livre suffit à en justifier la lecture. Il traite des relations entre la divinité, la philosophie et les sectes. le dieu singulier (local, national, tutélaire) est d'une race supérieure à la race animale (mortelle, sans raison) et à la race humaine (mortelle, raisonnable). Il appartient tout de même au monde, à une race sexuée, faillible, imprévisible, qui vit ses aventures dans l'indifférence aux races inférieures. le dieu n'est jamais le maître d'un drame cosmique où l'homme joue son salut. À la rigueur pour les hommes instruits, les dieux dans leur ensemble sont les images ou les facettes d'une Providence ou d'une Fatalité. On les honore comme on honore la Sagesse ou la Cité. Pour qui se respecte, les rites funéraires sont une nécessité consolatrice, mais l'immortalité de l'âme n'est pas un concept raisonnable : « Chez nous, la philosophie est une matière universitaire et une partie de la culture ; c'est un savoir qu'apprennent les étudiants et auquel des personnes cultivées s'intéressent par haute curiosité (...). Chez les Anciens, règles de vie et exercices spirituels étaient l'essence de la « philosophie », non de la religion, et la religion était à peu près séparée des idées sur la mort et sur l'au-delà. Il existait des sectes mais elles étaient philosophiques, car la philosophie était la matière des sectes qui proposaient, aux individus que cela pouvait intéresser, des convictions et des règles de vie ; on se faisait stoïcien ou épicurien et on se conformait plus ou moins à ses convictions, de même que chez nous on est chrétien ou marxiste, avec le devoir de vivre sa foi ou de militer » (p 207-8).
Le cynisme. le Haut Empire était un monde plus arbitraire et plus inégalitaire que le tiers-monde d'aujourd'hui, une société militaire mais sans police, un monde de spéculation, de violence judiciaire, de vendetta. « Trop d'historiens (...) se sont écriés qu'à Rome la corruption, le bakchich et le clientélisme étaient partout, ou encore ils n'en ont rien dit du tout, estimant que ces « abus » n'avaient d'intérêt qu'anecdotique (...). C'est oublier que l'Etat moderne n'est pas la seule forme efficace de domination : un racket, une mafia le sont tout autant » (p 98).