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EAN : 9782823600506
624 pages
Editions de l'Olivier (04/09/2014)
3.97/5   88 notes
Résumé :
" Citoyens, rassemblez-vous devant vos haut-parleurs! Dans votre cuisine, votre bureau, votre atelier, partout où vous pouvez nous entendre, montez le son, et écoutez l'histoire de la plus grande nation du monde, la République populaire démocratique de Corée ! "


Jun Do grandit bercé par la voix de la propagande nord-coréenne. Devenu soldat, il exécute sans ciller les ordres criminels du terrible leader Kim Jong-il. On le fête comme un héros. M... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (26) Voir plus Ajouter une critique
3,97

sur 88 notes
Comment écrire sur la Corée de Nord? Ou plus exactement, comment écrire une oeuvre de fiction qui ne soit, par là-même, une approbation du régime? Car la dictature héréditaire des Kim a perfectionné le roman national comme aucun autre pays. Dès lors, quelle vérité un roman sur la Corée peut-il apporter? Adam Johnson peut-il ne pas être un allié objectif de la propagande nord-coréenne, puisqu'il emploie les mêmes subterfuges qu'elle, en donnant à croire ce qui n'est pas?
Bon, on se doute bien que Johnson a quelques billes et qu'il s'est largement documenté avant de traiter le sujet. Mais le livre s'intéresse peu aux faits: c'est l'art de la fiction qui l'intéresse, et une question fondamentale qui le taraude: qu'est-ce que la vérité?
Le roman, tel qu'il apparaît dans la table des matières, est composé de deux parties: une biographie et une confession. Mais il est plus complexe encore car différentes voix narratives s'entremêlent et les histoires y sont sans cesse réinventées ou interprétées. Si un marin manque à l'appel, le reste de l'équipage lui invente une mort honorable pour ne pas être contaminé par sa traitrise. Si une délégation est invitée par les Américains pour un pique-nique, elle hurlera à l'humiliation pour avoir dû manger avec les doigts. Mais est-ce mentir que de croire à ce que l'on affirme? le cher dirigeant est persuadé que l'otage qu'il torture est secrètement amoureuse de lui. Or le syndrome de Stockholm existe bel et bien. Et la propagande la plus éhontée ne ment pas toujours quand elle rapporte certaines exactions américaines. Si l'art officiel mythifie la fille du peuple, la femme qui l'incarne peut susciter un amour vrai...
De cet immense jeu de cache-cache entre vérité et mensonge, Johnson parvient à tirer deux enseignements:
- Ce n'est pas la propagande qui fait la dictature mais l'unanimité. le roman dit la vérité puisqu'il multiplie ici les narrateurs; et quand bien même ce ne serait pas le cas, il la dit, puisqu'un auteur de fiction n'a pas plus de légitimité qu'aucun de ses personnages ou de ses lecteurs.
- Il y a pire que l'union sacrée contre le bouc émissaire pour détruire la démocratie: c'est la haine de soi. Quand les enfants dénoncent leurs parents et que les époux se méfient l'un de l'autre, là se trouve la pointe acérée du fascisme. Et Johnson lui oppose une très belle valeur: l'intimité, "quand deux personnes partagent tout, quand il n'y a pas le moindre secret entre eux".
Quoi, c'est pas gai, comme bouquin ? Forcément, amis lecteurs, ça parle quand même d'une des pires dictatures qui soit. Mais comme disait peu ou prou cette chère Marguerite D., ça fait mal, oui, et ça fait du bien.
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Pak Jun Do et la Corée du Nord. Combien de vies volées comme la sienne ? Cette émouvante histoire nous guide à travers La Corée du Nord, au gré des turpitudes et des caprices d'un «Cher Dirigeant» assoiffé de reconnaissance et de pouvoir (tout comme l'ont étés ses aînés et comme l'est, sans nul doute, son successeur). Jun Do ressent, plus qu'il ne sait, la vacuité de son existence dans ce pays étrange où tout semble irréel. Tellement irréel que, bientôt, il finit par adopter l'identité d'un autre dans l'unique but de survivre. Sa nouvelle identité va le conduire dans une situation plus inconfortable encore, mais va lui offrir un luxe que peu de de ses concitoyens, y compris «le Cher Dirigeant» en personne, n'ont l'occasion de découvrir en ce pays mystificateur. Ce luxe, que nous autres occidentaux, considérons comme acquis, s'appelle l'Amour. Et cet amour, bien qu'il le conduise vers un inéluctable et funeste destin, va lui permettre de comprendre le sens du mot «Liberté». Amour et Liberté, notions et sentiments formellement interdits et sévèrement réprouvés dans ce pays sans foi ni loi où règnent en maîtres la souffrance, la peur, la faim et l'ignorance. Jun Do, être étonnamment clairvoyant, au coeur pur et loyal, va permettre, par son sacrifice, à son Amour Sun Moon et à ses enfants de goûter pour de bon cette Liberté. Liberté chérie de nous tous, et que pour rien au monde, il ne faut accepter de perdre. Roman instructif, édifiant et bouleversant à la fois, La Vie Volée de Jun Do est à lire absolument !
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Kim Jong-Il est mort trop un an tôt pour pouvoir le lire, puisque «La vie volée de Jun Do», roman dont il est l'un des principaux personnages, est paru en 2012, et en septembre 2014 en français (traduction Antoine Cazé, Éditions de l'Olivier).

Mais le héros de ce livre n'est pas le Cher Dirigeant mais Jun Do, un John Doe de Corée du Nord dont la vie est volée dès l'enfance avec la disparition de sa mère cantatrice, une enfance passée dans l'orphelinat "Lendemains Infinis" dont son père est le Directeur. Son père ne peut se permettre la moindre trace de favoritisme, Pak Jun Do est donc élevé comme les autres orphelins et sa vie ne vaut rien. Dès quatorze ans il rejoint l'armée un rat de tunnel, un soldat entraîné au combat dans l'obscurité totale. Il est ensuite envoyé en expédition pour kidnapper des citoyens japonais pour le compte du régime, puis en mission dans le fond de la cale d'un chalutier de pêche, le Junma, afin d'y espionner les communications étrangères.
Au cours de ces mésaventures qui font sans doute dévier ses convictions intimes et croître son humanité, ce qui n'est que suggéré dans cette première partie du roman intitulée «Biographie de Jun Do», un titre sur lequel on reviendra peut-être à la fin du livre en se demandant par qui et pour qui cette biographie a été écrite, Jun Do réussit à échapper à la famine, au froid mortel et aux chausse-trappes monstrueux du régime, et même à être reconnu comme héros de la nation, jusqu'à l'échec d'une mission en Amérique pour le Cher Dirigeant.

Dans la deuxième partie, une année plus tard, le régime a laissé Jun Do sauver sa peau et devenir un autre, sans mesurer qui il est vraiment devenu intérieurement.

«Là d'où nous venons, lui rappela-t-il, les histoires sont purement factuelles. Si l'Etat déclare qu'un paysan est un musicien virtuose, alors tout le monde ferait mieux de l'appeler maestro. Et en secret, il serait bien avisé de commencer à prendre des leçons de piano. Pour nous, l'histoire est plus importante que l'individu. Si un homme et son histoire ne s'accordent pas bien, c'est l'homme qu'il faut changer.»

La narration éclate alors en plusieurs voix, la propagande du régime et l'histoire officielle diffusée par la radio, que tout citoyen doit écouter en permanence, la voix d'un inquisiteur qui torture et interroge les prisonniers pour que rien de leur biographie n'échappe au régime, et enfin les souvenirs de Jun Do, de ses compagnons de route, de sa détention et de son amour pour Sun Moon, l'actrice la plus populaire de Corée du Nord.

«En prison, quand les pierres lui broyaient les phalanges ou qu'un coup de trique s'abattait sur sa nuque, il essayait de se transporter sur le pont du «Junma», doucement bercé par le roulis. Quand les aiguilles électriques du froid lui transperçaient les doigts, il tentait de se lover au creux de l'aria chantée par la diva, d'entrer dans sa voix même. Il s'efforçait de s'envelopper dans le jaune vif de la robe appartenant à la femme du deuxième second ou de rabattre la courtepointe américaine en capuchon sur sa tête, mais rien de tout cela ne marchait vraiment. Ce fut seulement après avoir vu le film avec Sun Moon qu'il put enfin disposer d'une réserve – elle le protégeait de tout.»

Extrêmement ambitieux et très impressionnant, «La vie volée de Jun Do» réussit le tour de force de construire un roman, fiction et dystopie pour le lecteur occidental, tout en étant totalement fondé sur ce qu'Adam Johnson a pu recueillir comme informations et apprendre lui-même, lors d'une unique visite en Corée du Nord. Il réussit à évoquer la vie quotidienne et l'intimité impossible des hommes de ce pays, à ne jamais tomber dans la caricature manichéenne, à dire la noirceur et l'horreur insoutenable des orphelinats, des famines, des camps de prisonnier et de la torture, tout en maniant un humour né de situations qui nous semblent totalement absurdes. Il réussit enfin avec Jun Do à construire un héros magnifique, qui s'est construit seul et dans le noir total.

«Et bien qu'il n'eût jamais su ce qui était arrivé au maître de l'orphelinat, Jun Do sentait que son père n'était plus de ce monde. Pour combattre dans l'obscurité totale, ce n'était pas différent : il fallait percevoir son adversaire, sentir sa présence et ne jamais se servir de son imagination. Les ténèbres au fond de votre crâne sont un puits que votre imagination emplit de récits sans aucun rapport avec la véritable obscurité régnant autour de vous.»
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Ce livre m'a laissé une impression bizarre.

L'écriture est intéressante sans être alambiquée. Les questionnements autour de l'identité sont très bien traités tout au long du roman, que ce soit directement ou par le truchement de certains procédés ingénieux . Tous les personnages n'ont pas "droit" à un nom, et cela n'est pas anodin car certains, pourtant présents régulièrement, sont toujours désignés par les mêmes expressions, reprenant leur fonction ou leur lien de parenté avec un autre personnage. le nom du personnage principal Jun Do est d'ailleurs plein de symboles. Toutes ces réflexions ont une portée universelle et peuvent trouver écho en chaque lecteur et le toucher de manière différente.

Mais on ne peut ignorer le contexte géographique et historique de cette belle histoire. Nous sommes en Corée du Nord, de nos jours. La découverte de cette société cachée habituellement à nos yeux d'Occidentaux est assez troublante. le fait que ce soit une fiction pousse parfois à se demander si c'est réellement ainsi que les choses se passent. L'alternance entre le discours officiel et différents regards sur cette réalité, surtout dans la deuxième partie, contribue à ce trouble. le passage de la première à la deuxième partie est d'ailleurs assez magistralement mené et bluffant.

Mais ce qui m'a surtout gêné est que ce livre reste malgré tout écrit par un Américain... et que l'image assez idyllique donnée des personnages américains ne contribue pas à rassurer sur une objectivité au moins partielle. Je ne prétend pas que la Corée du Nord soit une démocratie parfaite, un paradis de la liberté d'expression ou un monde idéal; je ne suis pas assez naïf pour ça. Mais voir décrit la réalité dramatique vécue par les Coréens du Nord... par un écrivain américain alors que l'Amérique est expressément désigné par le régime comme l'ennemi principal... Je ne peux m'empêcher de penser que le regard porté ne peut être que partial.

Je reconnais malgré tout à l'auteur des qualités indéniables pour dépeindre ses personnages et les rendre touchants et proches de nous. Mais qu'y a-t-il de politique dans l'attribution du prix Pullitzer à un tel livre... ?
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Saisissant ! Un mot pour décrire ce livre ? Ça serait celui-là, saisissant. Il vous saisit du début à la fin, tout est hallucinant dans ce bouquin. Personnages, ambiances, péripéties, tout est à couper le souffle. Bien que le portrait politique de ce pays reste sans nul doute le plus marquant pour moi.

Bien sûr le régime dictatorial de la Corée du Nord n'est pas une découverte pour moi, d'ailleurs personne ne l'ignore je pense, mais là le vivre de l'intérieur, le vivre avec les personnages, c'est une expérience différente. Honnêtement, quand j'ai lu ce livre plus aucune distance n'existait entre les personnages et moi. Je vivais avec eux. J'avais peur avec eux. Je m'inquiétais pour eux. Je me révoltais même pour eux ! Car pour moi c'était juste impossible de rester de marbre face à ce régime monstrueux, qui prône le culte de la personnalité, qui est vicieux, qui est injuste, qui est mensonger, qui ne devrait pas exister.

J'insiste peut-être, mais malgré le fait que ça soit un roman j'ai ressenti comme si j'y étais cette ombre menaçante et oppressante qui pèse sur chaque habitant, qui les empêche de s'exprimer librement, et qui instaure un climat délétère, d'hypocrisie, même au sein d'une même famille. (Un noyau censé être sûr !)

A côté de ça, la multitude des personnages fait aussi vivre cette histoire. Les différentes personnalités et les différents niveaux de la population qu'ils représentent, aide bien sûr à l'ambiance de ce roman, mais pas seulement, puisque là ils donnent vie à l'intrigue. Il n'y a aucune page qui ressemble à une autre grâce aux milles vies des divers personnages.

L'histoire prend certes du temps, 608 pages en l'occurrence, mais c'est tellement fluide, tellement riche qu'on ne les voit pas passer, à la différence des personnages qui ne cessent de défiler.

Un seul regret dans ce bouquin finalement, c'est la fin. J'aurai aimé qu'elle se finisse autrement, même si autrement elle aurait sûrement gâché tout ce qui avait avant. (Jamais contente cette fille ^^)

Pour résumer c'est un excellent livre que je recommande, si vous voulez vivre quelque chose de différent et découvrir de l'intérieur un pays très fermé.
Lien : http://voyagelivresque.canal..
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critiques presse (1)
Telerama
21 octobre 2015
Un livre édifiant, une épopée effrayante au royaume de la torture et de la corruption.
Lire la critique sur le site : Telerama
Citations et extraits (19) Voir plus Ajouter une citation
Mais tout d’abord, citoyens, une bonne surprise : nous sommes heureux de vous annoncer que l’opéra de Pyongyang compte dans sa troupe une nouvelle cantatrice. Le Cher Dirigeant l’a baptisé la Charmante Visiteuse. La voici donc qui chante maintenant, pour votre plus grand plaisir patriotique, les arias de Mer de sang. Alors, citoyens, regagnez vos machines-outils et vos métiers à tisser le Vinalon, et doublez votre productivité en écoutant cette Charmante Visiteuse chanter l’histoire de la plus grande nation du monde, la République populaire démocratique de Corée !
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..., mais aujourd'hui mener un interrogatoire, c'est toute une science : ce qui compte, c'est d'obtenir des résultats cohérents sur le long terme. La cruauté a tout lieu d'être, nous le concédons, mais elle doit répondre à une tactique, apparaître à des moments bien précis, à l'issue d'une longue période de fréquentation. Et la douleur - cette suprême fleur blanche - ne peut être utilisée qu'une seule fois étant donné la façon dont nous l'infligeons, une douleur totale, durable, transformatrice, sans mystère et sans fard.
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Je ne m'étais pas servi de mon insigne pour avoir accès aux sièges réservés dans le métro. J'avais pris place avec les citoyens ordinaires, et sur le corps de chacun, je ne pouvais m'empêcher de distinguer "Propriété de" en lettres rosâtres leur boursouflant la peau. Elles marquaient tout le monde, mais c'était seulement maintenant que je les distinguais enfin. Ultime perversion du rêve communiste qu'on m'enseignait depuis l'enfance. J'avais envie de vomir les navets qui me pesaient sur l'estomac.
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Wanda se tourna vers Jun Do. "Vous sentez-vous libre ?" Elle inclina légèrement la tête. "Savez-vous ce qu'on ressent quand on est libre ?"
Comment lui expliquer son pays natal, se dit-il. Comment lui expliquer que sortir de ses limites en partant naviguer sur la mer orientale... c'était cela, être libre. Ou bien que, à l'époque de son enfance, s'échapper de la fonderie l'espace d'une heure pour aller courir avec d'autres gamins au milieu des crassiers, malgré l'omniprésence des gardes... c'était la plus parfaite des libertés. Comment faire comprendre à quelqu'un que l'eau bouillante qu'on verse sur le riz caramélisé au fond de la casserole était un bien meilleur breuvage que toutes les limonades du Texas ?
" Est-ce qu'il y a des camps de travail ici ? dit-il.
- Non.
- Des mariages forcés, des sessions d'autocritique imposées, des hauts-parleurs ?"
Wanda secoua la tête.
"Alors je ne suis pas sûr de pouvoir me sentir libre, conclut il.
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Dans la lumière de leurs phares, ils virent un homme s'enfuir du zoo en courant, un oeuf d'autruche entre les mains. A la lueur de leurs torches, deux gardiens le pourchassaient.
"Eprouvez-vous de la pitié à l'égard d'un homme si affamé qu'il en est réduit à voler? demanda le commandant Ga. Ou bien plutôt envers les hommes contraints de le traquer?
- N'est-ce pas l'oiseau qui souffre ?" répliqua Sun Moon.
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Chronique confinée 5 : Adam "US Winner" Johnson et son deuxième recueil de nouvelles
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